Barjac m’en Chante 2017 – Frédéric Bobin (© Luc Allegier)
3 août 2017 – Festival Barjac m’en Chante 2017
5e chapiteau – Marie Coutant – Frédéric Bobin
Avec :
Marie Coutant (guitare, chant), Romain Lévêque (percussions, chœurs), Jean-Charles Bazouet (contrebasse, chœurs)
Frédéric Bobin (guitares, chant) accompagné par Hélène Piris (violoncelle, chœurs) – Textes de Philippe Bobin
Chapiteau – Barjac (Gard)
Tant qu’il aura des hommes, titre emblématique d’une chanson de Frédéric Bobin, pourra être la conclusion de ces concerts du chapiteau. Fin de ces rendez-vous caniculaires et non moins passionnément enchanteurs. Le public ne se laisse pas décourager à Barjac aussi nous oserons glisser l’idée qu’une jolie petite salle climatisée serait méritée !
C’est Marie Coutant et ses deux musiciens, contrebassiste et batteur – nous avons beaucoup apprécié l’accompagnement musical surtout la finesse, la subtilité de la batterie – chanteurs aussi, qui commencent par lancer « Voici l’heure de la révolte ! » On est bien d’accord avec eux pour dire que « seuls les rêves qui vous portent feront les hommes grands ». On l’est sans doute moins avec une chanson qui s’inspire à l’envi de celles du passé, qui s’en tient aux mots et clichés rebattus. Au fil des décennies, nous pensons qu’ils ont perdu de leur force, de leur pertinence, de leur à propos. Ils se sont usés à la dure loi du temps, à nos désillusions, à nos compromissions. Savons-nous pour qui, pour quelles idées, contre qui et contre quoi, et avec quelles armes surtout nous devons encore nous battre ? On prendra pour exemple le mot « clochard »… Est-il vraiment encore en usage ? Avec quelle signification aujourd’hui ? Ou bien encore dans une petite valse lente, une déambulation si convenue dans Paris ou l’évocation d’une vie de deux citoyens de la fraternité qui façonnent leur terre pour un meilleur blé… Les chansons plus intimistes ne parviennent pas vraiment à nous toucher davantage. C’est ainsi. Le spectacle vivant et sa rude loi s’appliquent à Barjac comme ailleurs.
Pourtant la deuxième partie du concert offrira sur une tonalité plus rock, plus enlevée, des textes aux images originales. Notamment quand Marie Coutant fait un détour par Madrid. Elle rappelle les casseroles des révoltés, leur slogan « Si vous voulez nous empêcher de rêver, on vous empêchera de dormir… » Et ce souffle que Télérama résumait ainsi : « De Montréal à Tokyo, des citoyens révoltés, indignés… et bastonnés ! » La chanson de rappel reviendra au combat collectif pour nous signifier que nous avons à nous retrousser les manches dans un monde « où tout est tombé par terre »… A‑t-on encore assez de rêves en stock pour recevoir cet appel ? On avouera, c’est la chanson écrite dans les Cévennes et son image de bonheur simple, de poésie, qui nous aura un instant réconciliés avec ce concert.
On pourra nous objecter que Frédéric Bobin qui vient ensuite, nouvellement accompagné au violoncelle par Hélène Piris, est dans le même sillage. Il doit beaucoup en effet à cette chanson protestataire, cette musique folk. On y ajoutera la chanson française, cette chanson populaire de l’enfance diffusée sur l’auto radio de son père. L’une et l’autre l’habitent, lui et son frère Philippe, auteur de ses textes. Tant il est vrai que l’on ne peut vraiment échapper à son décor originel. On y revient toujours. D’ailleurs, devenus trentenaires, les deux frères ont envie de l’évoquer davantage encore sachant bien que chaque spectateur y reverra un bout de sa propre vie. Faire de l’intime, du cocon de sa vie, un propos universel… Voilà le petit miracle de la chanson ! Et particulièrement celle des Bobin ! La terre où ils sont nés, ce Creusot martyrisé comme tant d’autres villes ouvrières… des hauts-fourneaux, ailleurs des usines textiles qui ferment et laissent les âmes grises… La maison de grand-père – maison réelle ou fantasmée – joliment décrite pour symboliser « les photos jaunies, les illusions fanées, les parfums surannés ». Qui n’a pas dans un coin de sa mémoire vu cette maison-là ?
Mais c’est le monde d’aujourd’hui que Philippe et Frédéric ne cessent de regarder avec générosité, empathie, et d’y puiser leur inspiration. On prend toujours le même plaisir à entendre évoquer les petits monarques d’aujourd’hui, « la couronne à l’envers autour de [leur] crinière », à s’imaginer avec Frédéric inverser « la pyramide ». On aime plus encore son Joe de Géorgie, ce vétéran de la guerre du Vietnam, destin jadis fracassé au nom d’un pays qui ne le voit même plus, ou sa Tatiana, autre figure sacrifiée. Bientôt, dans son nouvel album, un autre personnage viendra les rejoindre, Sinbad, « voyageur fatigué… éternel nomade », celui qui « embarque ses rêves sur un cargo déglingué ».
Mais s’accorder de rêver, s’imaginer comme au temps de l’enfance, « horloger d’un monde sans failles », n’est ce pas ce qui permet de rester debout face à notre tragique condition « éphémère » ? « Souviens-toi que les fleuves se jettent dans la mer »… Chacun n’a‑t-il pas, quelque part enfoui en lui, sa « vie de rechange » ?
Frédéric Bobin a cette élégance qui nous attache, cette générosité que les textes véhiculent et qu’on lui connaît hors scène. Cette fois, le violoncelle s’ajoute aux guitares, pour exprimer la profondeur des émotions. De la douceur certes mais tout aussi bien des colères et des chagrins, ou des atmosphères sonores… Le cœur d’une usine qui cesse de battre comme l’univers intergalactique d’une guerre des étoiles imaginaire. Hélène Piris ne quitte pas des yeux Frédéric, s’attachant à ne rien manquer des effets recherchés. Elle y pose sa voix féminine et le répertoire y gagne en grâce et en finesse. Le duo qui s’est peu produit encore a visiblement séduit le public du chapiteau de Barjac. Peut-être un jour iront-ils plus loin dans l’idée d’un vrai duo où Hélène Piris pourra aussi chanter ses chansons ? Ce qui est sûr c’est qu’avec eux on croit en l’être humain. Et c’est sans aucun doute le plus beau cadeau qui nous est fait.
Mais pour un seul poète
Qui vole vers l’azur
Mais pour un seul prophète
Qui fait trembler les murs
Et pour un géranium
Qui pousse dans les charniers
Tant qu’il y aura des hommes
On pourra espérer