Davy Myrtho, Kwassa, Kwassa 2017 (© Desson & images Prod)

Davy Myr­tho, Kwas­sa, Kwas­sa 2017 (© Des­son & images Prod)

5 mars 2017 ‑Album solo de Davy Myrtho, Kwassa Kwassa

avec Davy Myr­tho (Gui­tares acous­tiques, voix, paroles et musique sauf Alain Sou­chon pour L’amour à la machine) et de nom­breux musi­ciens dont Eddy Radren­jen (gui­tare élec­trique solo, bat­te­rie), Gio­van­ni Vel­leyen (cla­vier), Jérôme Misme (basse) Fran­çois Legros (per­cus­sions) Alain Duba­nais (accor­déon)

Voi­là main­te­nant une dou­zaine d’années que Davy Myr­tho croise très loin dans son île de l’Océan Indien les influences vocales et sonores d’un cer­tain Fran­cis Cabrel. Il par­ti­cipe alors aux Ren­contres de Kabar­dock, décli­nai­son réunion­naise des ren­contres d’Astaffort. Après son par­cours avec le trio Bat’Ker, dans cet album solo Kwas­sa Kwas­sa, le style pop rock demeure, de même que sa dic­tion qui tend à appuyer exa­gé­ré­ment sur la syl­labe finale des mots… Comme si l’accent du Sud-Ouest de Fran­cis avait fait la traversée !

Mais on ne s’attardera pas trop long­temps à cette indé­niable ascen­dance pour s’arrêter au métis­sage de cet album en fran­çais et en créole, au croi­se­ment des sources de sa création.

L’hommage à la chan­son pop rock est musi­ca­le­ment impli­cite. L’hommage aux pré­dé­ces­seurs s’affiche avec une ver­sion « réunion­naise » de L’amour à la machine, avec aus­si La rue prin­ci­pale, cette rue de Saint-Paul où vint bru­ta­le­ment s’achever, un soir de pleine lune, la vie d’Alain Peters, celui qui habillait « le maloya » en poème. On est sen­sible à la dou­ceur du chant en créole, des bal­lades, où s’invitent accor­déon et per­cus­sions, dont les sono­ri­tés enso­leillées sont un voyage : Kan Fé noir y tombe ou Mariage lo diab, où le mythe évoque l’étreinte céleste de la pluie et du soleil. Mais cette note exo­tique, ne sau­rait faire oublier les réa­li­tés comme celles qui assom­brissent la vie à Mada­gas­car, dans cette autre chan­son en créole, Terre Rouge.

Si cer­tains auteurs com­po­si­teurs se voient repro­cher de ne pou­voir s’arracher à leur « Je », leur « moi » obsé­dant, ce n’est sûre­ment pas le cas de Davy Myr­tho. Il s’attarde aux dérives de notre temps, aux réseaux sou­ter­rains qui mènent notre éco­no­mie dans De la main à la pomme, à notre Réa­li­té vir­tuelle où l’homme achète, achète, confon­dant l’être et le paraître, et se trouve enfin confron­té au vide immense de sa soli­tude, « dans son fau­teuil en cuir noir ». Citoyen du monde, Davy Myr­tho se veut libre, ailes déployées ; il chante les mots qu’il a choi­sis, sans entraves, sans tabous, sans détours. C’est en chan­son, la der­nière de l’album, qu’il le dit. C’est sa condam­na­tion à per­pé­tui­té, une condam­na­tion consen­tie : « J’accepte tous ses blâmes, qu’elle m’enchaîne à ses poi­gnets, ma liber­té. »

L’album s’ouvre sur une image qui pour­rait être de rêve et d’évasion « Le soleil rayonne de toute sa splen­deur sur le bleu trans­pa­rent… » s’il ne s’agissait, hélas, d’une étrange croi­sière, d’une navi­ga­tion mor­ti­fère, celle où le regard cherche en vain « entre les vagues hautes la courbe de la petite terre ». On a beau prier « Que les vents soient avec nous, Poséi­don veille sur nous… ! » on ques­tionne en vain le ciel « Kwas­sa Kwas­sa »

L’album est ain­si par­cou­ru des ques­tions brû­lantes, dou­lou­reuses des êtres humains sou­mis à leur des­tin, par­fois absurde, par­fois tra­gique. Même les plus petits d’entre eux, les enfants, n’y échappent pas. On salue Petit papa Noël cette chan­son faus­se­ment tein­tée de magie, sur fond de notes cris­tal­lines des clo­chettes qui tin­tin­na­bulent. L’enfant qui tra­vaille à l’usine demande : « Dis-moi, tes lutins /​Sont-ils aus­si petits que moi /​A se lever tous les matins /​Com­bien de pièces ils gagnent par mois ? »

Que dire aus­si de cette course, celle de La dia­go­nale des fous que l’on peut écou­ter comme la méta­phore d’une vie où obs­ti­né­ment revient cette injonc­tion inté­rieure, « Faut pas que je décroche ». Le rêve est tout au bout, « aus­si haut que le piton Maï­do » où s’affiche, à plus de deux mille mètres d’altitude, un pano­ra­ma excep­tion­nel sur la côte ouest de l’île. Enfin, on est tou­ché par la chan­son qui pour­rait faire écho au poème Bar­ba­ra de Jacques Pré­vert, celle d’un homme qui « n’a jamais appris à faire ça », qui se demande ce qu’il fait là « sous cette pluie de fer /​De feu d’a­cier de sang » … Tout ça parce que « quelques hommes ont des rêves plus grands que le monde ». Les gui­tares élec­triques peuvent bien pous­ser leur cri aus­si déchi­rant que celui de Pré­vert « Quelle conne­rie la guerre ! »… Et ce cor­tège qui n’a pas de fin : « Irak, Iran, Israël, Soma­lie, Pakis­tan, Lybie, Syrie, Rwan­da, Bos­nie, Kos­so­vo, Tchét­ché­nie, Congo, Dar­four, Mali, Afgha­nis­tan… »

Dans l’abondance d’albums que ce début d’année 2017 pro­pose, on aime celui-ci ancré dans un uni­vers sen­sible, tou­jours à por­tée de nos réa­li­tés sans jamais s’y mor­fondre. La mise à dis­tance d’une plume, d’un regard, ceux de Davy Myr­tho dont le nom nous évoque –Prin­temps des poètes oblige – ce début de son­net de Gérard de Ner­val : « Je pense à toi, Myr­tho, divine enchan­te­resse ». Et plus loin ce ter­cet qui pour­rait par­ler à l’auteur sur son île vol­ca­nique :

« Je sais pour­quoi là-bas le vol­can s’est rouvert…
C’est qu’­hier tu l’a­vais tou­ché d’un pied agile,
Et de cendres sou­dain l’ho­ri­zon s’est couvert. »