Aurore Chevalier (© Photo Sensible)

Aurore Che­va­lier  (© Pho­to Sensible)

14 au 16 mars 2017 – Concerts ultra féminins

Avec Emi­lie Per­rin /​La Reine des Aveugles accom­pa­gnée par Pas­cal Por­te­joie (per­cus­sions) et Jean Men­dez (gui­tare) – Aurore Che­va­lier (voix solo) – 1ère par­tie Cla­ra San­chez (accor­déon, voix) – Les Flow : Flo­rence Vaillant Etienne Abeillon (gui­tare)

Le Bijou (Toulouse)

- Une femme est vio­lée toutes les 7 minutes.
– Une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint.
– 82 % des sala­riés à temps par­tiel sont des femmes.
– 4 % des parents en congé paren­tal sont des hommes.
– 40 % d’é­cart sur les pen­sions de retraite.
– 2 % des noms de rues portent le nom d’une femme. Télé­ra­ma n° 3504

ÇA SE PASSE EN FRANCE

Devant ces chiffres qu’il ne sera jamais super­flu de rap­pe­ler, année après année, quand le 8 mars, jour­née des droits des femmes, affiche ces sta­tis­tiques déses­pé­rantes, que fait la Chan­son ? Elle qui depuis tou­jours se nour­rit du monde autour d’elle, de ses chocs et ses aspi­ra­tions, ses modes, ses goûts et ses rêves.

« Sur les blogs ou You­Tube, dans la rue, les pla­teaux de télé­vi­sion ou les éta­gères des libraires, le renou­veau fémi­niste s’ex­prime au grand jour de bien diverses manières » énonce Télé­ra­ma en intro­duc­tion de son abé­cé­daire “pluri-(elles) » un lexique écla­té. Des Femen aux Anti­gones, blanches catho qui leur répondent, d’Osez le fémi­nisme ! aux afro-fémi­nistes, des mili­tantes de La Barbe aux membres du Culotte Gate- sacré­ment culot­tées, les filles ! – impos­sible de réduire le fémi­nisme d’aujourd’hui à une défi­ni­tion univoque.

Que font alors les filles qui chantent ?

Au Forum Léo Fer­ré à Ivry nous avons appris qu’elles étaient cinq, Lise Mar­tin, Liz­zie, Lily Luca, Garance et Clé­mence Mon­nier au pia­no, pour créer tout exprès pour ce 8 mars un mon­tage de textes et de chan­sons inti­tu­lé TOUT contre ELLES. De la Chan­son certes mais pas seule­ment pour dire, non sans légè­re­té, humour même, leur féminisme.

A 700 kms de là, la scène du Bijou à Tou­louse dévoile son côté fémi­nin /​fémi­niste avec trois tem­pé­ra­ments qui ne vont pas par quatre che­min pour dire haut et fort ce que nos aînées – et nous-mêmes qui pre­nons de l’âge …- réduites au silence et à la sou­mis­sion, tai­sions. Petites sœurs, petites filles et filles de celles qui à tra­vers les siècles ont cou­ra­geu­se­ment tra­cé la voie de l’émancipation, de l’égalité, des acquis sans cesse mena­cés, remis en cause, par­fois sup­pri­més. Que nous disent, nous chantent La Reine des Aveugles, Aurore Che­va­lier, Cla­ra San­chez, Flow invi­tées cette semaine au Bijou ? En quoi sont-elles des femmes qui chantent, comme le disait si joli­ment Barbara ?

Tout pour­rait com­men­cer avec la chan­son reprise en guise de salut par Emi­lie Per­rin, La faute à Eve, notre aïeule à toutes comme cha­cun sait dans notre bonne vieille chré­tien­té, signée d’une plume savam­ment aigui­sée par Anne Syl­vestre : « Nous, les filles, on est dégueu­lasse /​Paraît qu’­ça nous est naturel
Et les gar­çons, comme ça passe /​Par chez nous, ça devient pareil… » 

La chan­son, ce n’est certes ni phi­lo­so­phie, ni socio­lo­gie, ni anthro­po­lo­gie, et pour­tant ! Écou­tons voir un peu…

La Reine des aveugles s’en va plu­tôt gaî­ment, avec son inso­lence, avec sa voix qu’elle hisse haut dans la gamme pour sou­li­gner davan­tage encore son côté méchante fille, trou­blante sor­cière avec son œil en moins caché sous la den­telle, son cla­vier, l’accompagnement de per­cus­sions créa­trices d’atmosphères étranges, et de la gui­tare élec­trique pro­pice aux cris, aux lamen­tos déchi­rants. Elle flirte avec la mons­truo­si­té des vies sacri­fiées, celle de la petite fille har­ce­lée pour sa pré­ten­due lai­deur, celle de la mamie qui se fait la belle, celle de l’enfant élé­phant qui ne peut refrei­ner sa bou­li­mie jusqu’à man­ger sa mère au petit déjeu­ner, celle du pigeon du zoo de Vin­cennes. Sur­tout celle des putains, de la Dul­ci­nea de Jacques Brel à Marijke échouée en Bel­gique, en pas­sant par celle du magni­fique poème de la cubaine Zoé Val­dès.

Femme à poil, femme oiseau, femme pieuvre… Femme qui devine les pen­sées… Pythie, Cas­sandre… Elle fait peur ! La peur, la peur revient sans cesse. Elle est si grande que La reine des aveugles en vient à cla­mer son droit à « vivre en toute sté­ri­li­té ». Cette parole là est d’une audace folle, encore aujourd’hui.

Le len­de­main la soi­rée s’ouvre en pre­mière par­tie sur Cla­ra San­chez, petite sil­houette de « femme – accor­déon »… Très jeune et jolie fille avec son béret noir qui sou­ligne le rap­pel de la chan­teuse des rues. Elle chante sa liber­té. Elle fait même venir sa mère en scène pour reven­di­quer son droit à chan­ter de café en café… Tableau tou­chant certes, bien qu’assez mal­adroit. Elle aus­si évoque la putain mais on s‘étonne qu’elle ait pour cela besoin de don­ner la parole à un homme à bars et à bor­dels. On atten­dra qu’elle trouve vrai­ment avec le temps, son réper­toire de chan­teuse réa­liste, gouailleuse, auda­cieuse. Un réper­toire de fille d’aujourd’hui !

Quant à Aurore Che­va­lier, on aura bien du plai­sir à prendre la mesure de son incon­tes­table avan­cée. Même si l’on retrouve la parole déli­vrée de toute entrave, une parole crue où le corps crie, exulte, on devine qu’elle a mis ce flot de sen­sa­tions, d’émotions à dis­tance pour en faire un spec­tacle. Seule en scène, sa pré­sence est un coup de poing. Une bande sonore l’accompagne pour sou­li­gner, ryth­mer, sa poé­sie. Par­fois il n’y en a pas, et c’est très bien ainsi !

La voi­ci deve­nue per­son­nage à part entière avec une voix off qui lui répond. C’est effi­cace. On se sur­prend à rire sou­vent bien que les textes soient déchi­rants, trou­blants, pro­vo­cants. Aurore Che­va­lier parle de doutes, de peurs, de mort, mais d’amour sur­tout. Elle clame qu’elle vou­drait ne connaître aucune limite, aucune entrave, et sur­tout pas la fusion avec l’autre et son enfer­me­ment. Elle s’empare des mots appa­ren­tés au corps mas­cu­lin. Elle bous­cule les genres pour cla­mer son amour des femmes. Pour finir, elle s’en vient dire dans le public, qu’il fau­drait être doux avec soi-même… Elle nous lais­se­ra sur ces mots, « Je suis Amour/ à part ça /​rien… » Écho à ceux du pre­mier texte du concert : « J’ai l’amour dans mes mains »…

« Avoir l’amour dans ses mains ». C’est ain­si que l’on pour­rait tout sim­ple­ment évo­quer la troi­sième soi­rée au Bijou. Oui, Les Flows, Flo­rence Vaillant & Etienne Abeillon nous ont offert géné­reu­se­ment de l’amour. Libres à nous de l’entendre dans sa force et son authen­ti­ci­té. Libres à nous de nous en nour­rir pour quelques heures, quelques jours. Sait-on ce qu’un spec­tacle est capable de faire ?

Flo­rence Vaillant, dans son allure de punk – sans chien ( !)- nous est appa­rue iden­tique à elle –même dans ses colères, sa rage contre les injus­tices qu’elle exprime aus­si entre les chan­sons. Tout ce qu’elle aime « est illé­gal, ou fait gros­sir, ou rend mar­teau » confie –t- elle dans une der­nière chan­son. Elle est atteinte de la mala­die de Jacques Brel : « Elle a mal aux autres ». Son inter­pré­ta­tion de Lily de Pierre Per­ret est un bijou. Et que dire de sa chan­son pour le Bata­clan, de son invi­ta­tion à danser ?

Mais dans les pre­mières minutes c’est en enfance, pour l’enfance et avec l’enfance, au cœur et au corps, qu’elle chante. Car, on le sait, parce qu’elle nous le confie, deve­nir mère, c’est être gar­dienne de la vie.

Valeur refuge contre la noir­ceur du monde, contre la peur sur­tout. « Le sou­rire d’un enfant, ça efface la galère », c’est de « la vie qui écla­bousse ». C’est sans doute cette enfance là qui la fait sou­rire ain­si en scène.

C’est sans doute cette enfance là qui nous attache tant à elle et nous attache tant à la vie.