Fraissinet, album Voyeurs 2017 (© Benjamin Decoin)
19 mars 2017 – Album Voyeurs sorti en janvier 2017
avec Nicolas Fraissinet (Textes et compositions, piano, chœurs, voix) Vincent Mouquet (guitares, piano, basse, batterie, programmations, arrangements, chœurs) David Obeltz (basse, chœurs), David Allevard (Batterie), Rosalie Hartog (violon), Olivia Gutherz (violoncelle) Nathalie Mouquet (chœurs)
Un titre, Voyeurs. En couverture le portrait de Fraissinet, celui d’un homme en noir. Regard bleu acier, bleu si profondément irréel. Lui donnerait-il, qui sait, la faculté de voir au-delà de nous, ou bien de nous pétrifier, comme cette Méduse qu’il chantait dans l’album Les Métamorphoses ? En quatrième de couverture le même homme, plongé dans le noir regarde vers une lumière ‑céleste ? – les yeux protégés de lunettes. Quelques détails graphiques dans le livret nous emmènent vers un autre temps, un Ailleurs fait d’aventures dignes de Jules Verne.
Nicolas Fraissinet aime l’étrange, le mystérieux…
Si la musique nous est vite familière, si la mélodie se fredonne, si les refrains se retiennent facilement, si les rythmes se dansent, se balancent, les textes, eux, ne sont ni légers, ni superficiels. Ce paradoxe c’est sa signature.
On y ajoutera des univers musicaux qui échappent aux classifications et qui sont autant de signes, de références aux aînés qui l’ont nourri. On remarque que l’intime s’exprime plutôt avec les notes du piano, rejoint par les cordes, que l’interpellation, l’appel s’accompagne des riffs des guitares, de la batterie, que certains morceaux recourent à l’électro, comme le titre éponyme Voyeurs. Chaque chanson dispose de son environnement sonore et l’écoute de l’ensemble de l’album nous promène ainsi dans des registres très différents qui relient l’auteur compositeur à ses influences, de Barbara à Noir Désir en passant par David Bowie. Et toujours cette voix singulière qui flirte avec d’improbables aigus, et cette diction qui ne nous prive d’aucun mot, d’aucune nuance.
Revenons aux regards. Le thème court tout au long de l’album. C’est d’abord dans Les Mutants, l’aveu d’un égoïsme mortifère pour la planète « Mais je vois, oui, je vois » s’empresse –t- on de dire tout en arrosant, indifférent, sa jardinière. Le regard, c’est aussi tout ce qui nous lie, nous relie à nos apparences. Celle du Militaire, cœur dissimulé « sous l’uniforme de guerre », celle de celui qui geint, se plaint, se lamente avec ses « regards blêmes », son « fardeau » qu’il souligne pour qu’on le voie de loin. C’est aussi le regard de la reconnaissance entre frère et sœur, liés par « le même départ… sous les mêmes ailes… Je n’aurai rien à dire /Juste un regard pour te voir comme avant » (Nos jeux d’enfants). Enfin, quand on rencontre l’Autre, notre semblable, notre frère celui qui vient de si loin, de là-bas, on le supplie ainsi de nous décrire ses paysages intimes : « Dessine-moi la mémoire, qui s’écrit dans la voix … Montre-moi l’évidence, celle qui ne se dit pas /Qui raconte en silence à regarder ce qu’on voit. « (Apprends-moi).
Quant à l’amour, nous le savons, il se nourrit des regards mais qu’il est bon de garder du mystère, ne pas tout voir, tout dévoiler comme au travers d’une serrure, « garder la clôture », comme savait l’écrire, le peindre les artistes du XVIIIème siècle : « J’ai le coup d’œil qui se perd le soir ». C’est à l’amour que l’on s’accroche comme ultime repère, pour « y voir mieux demain ». On aimerait sentir que « Dans le noir il y a des éclats de toi qui me tiennent par les deux mains ».
Nous sommes si fragiles dans nos vies suspendues entre deux rives. Nous avons tant besoin de repères. Ceux du passé, de l’enfance, mais bien plus loin encore de La mémoire de nos pères. Nous avons besoin des repères de l’amour qui relient, qui nous assemblent, font nos ressemblances. Comme ce père et l’enfant « d’un autre monde, sans histoire et sans famille » qui a grandi avec lui et qui lui a appris à aimer… Comme ce lien invisible et plus troublant encore, entre le receveur et le donneur d’organe dont il ne sait rien (Le cœur qui bat).
L’album s’achève sur Encore, un appel vibrant, une prière « pour tout voir /Les Nourritures Terrestres les espoirs… » tant qu’il en est temps ! Vite aimons-nous vivants !
« Regarde le soir comme si le jour y devait mourir ; et le matin comme si toute chose y naissait.
Que ta vision soit à chaque instant nouvelle. » André Gide Les Nourritures Terrestres