Guillaume Barraband – Fantaisie macabre (© Marylène Eytier)
27 septembre 2017 – Ouverture de la saison de la salle Nougaro
Fantaisie Macabre – Nouveau spectacle de Guillaume Barraband
Avec
Guillaume Barraband (voix) Philippe Yvron (claviers, piano), Aladin Chaboche (guitare, accordéon, tuba, voix), Denis Badault (arrangements), Néry (mise en scène) ArnoTartary (lumières) Amélie Moreau (son) Karine Fricard (costumes)
Salle Nougaro (Toulouse)
Ce spectacle c’est un monde. Un monde fantaisiste, burlesque, clownesque, macabre. C’est même et beaucoup un monde enchanté, un monde chanté surtout. C’est selon l’angle choisi.
Il sera hasardeux d’y poser des étiquettes même si l’artiste lui-même a déjà longuement posé les siennes en amont, brouillant les pistes… Chacun s’évertuera sans doute à lui trouver des influences, des allusions, des collusions, des connivences. Nous avons beaucoup pensé au Cirque des mirages, à Yanowski, à Jean Guidoni des années 80, au cabaret expressionniste, à la poésie de fin de Siècle d’un Baudelaire, d’un Rimbaud, d’un Verlaine… D’ailleurs on s’empresse de dire que la reprise de Colloque Sentimental est dans aucun doute l’un des meilleurs moments du spectacle. Mais l’essentiel n’est pas dans ces références, il est d’abord dans ce plaisir partagé ce soir dans une salle comble. Le plaisir de se laisser séduire, emporter par la magie des corps qui gesticulent, sautent et dansent, celle des nez rouges, celle des costumes, des objets qui se travestissent, des musiques qui s’emballent, des textes fabuleux – entendons-nous bien, des textes qui empruntent à la légende, au mythe… Cette magie qui nous saisit irrésistiblement et nous arrache au réel. Guillaume Barraband auteur, comédien, chanteur se mue surtout en illusionniste capable de nous promener joyeusement avec ses deux complices dans ce qui nous obsède tous : les ravages et les rivages de la mort. Lui faire la nique à cette garce !
Même plus peur !
L’histoire commence par un récit d’enfance en « voix off » quand déjà sur scène finissent de se farder de leurs nez rouges les deux olibrius qui vont se prêter à un désopilant duo de clowns musiciens. Le petit, presque un môme, dans son costume de Spirou, groom d’hôtel, virevolte partout, se prend les pieds dans sa mission comme dans les objets qui s’obstinent à lui faire des niches. Et au milieu de toute cette course, au service des deux autres qui en font leur souffre douleur, il assure un accompagnement musical qui tient de la prouesse, entre son énorme tuba, sa guitare électrique, son accordéon. Chapeau bas, monsieur Chaboche ! Que voulez-vous qu’il advînt quand vos parents vous ont prénommé Aladin ?…
L’autre, le vieux (que Philippe Yvron me pardonne !) le ténébreux, le grincheux, chaussettes rouges, pantalon gris trop court, une sorte de Buster Keaton, ponctue toute cette frénésie de ses partitions au clavier et au piano. Il donne la cadence, sans jamais faillir, sans se départir de son sérieux même quand le conteur vient lui planter un petit pot de fleurs sur le crâne ou l’affubler d’un foulard et d’une longue écharpe pour évoquer une mamie au volant… Folle dingue la mamie bien entendu ! « Quand mamie est ulcérée, faut qu’elle s’illustre ! »
Quant à Guillaume Barraband, barbe noire fournie, long manteau usé, déchiré aux emmanchures qui lui bat dans les mollets – à la façon d’un Corto Maltèse ou d’un cow-boy évadé d’Il était une fois dans l’Ouest, vous avez le choix de vos références – il arbore le regard droit et fier, la voix profonde et grave de celui qui a tout connu, vécu, senti… Autoritaire, implacable souvent, il asservit le petit groom et impose au pianiste impassible ses pires fantaisies. Quand il apparaît en scène il manipule sur la peau d’un tambour des petites silhouettes en carton, des squelettes, des pendus… Voilà, le jeu peut commencer. Les textes nous entraînent dans un monde qu’Alice au Pays des Merveilles aurait pu croiser… Tout s’anime d’une vie étrange et fantastique, les objets, les vêtements, les animaux, les chats surtout – on s’en serait douté ! – même les plus petites bestioles ont d’étranges pratiques, on a même vu voler les limaces, c’est dire ! Quand aux êtres humains ils perdent la boussole, finissent souvent très mal, « on disparaît, on pâlit, on blanchit… en pointillé dans les mémoires »… Le conteur lui-même est aux prises avec son double. Pas sûr qu’il parvienne à lui prendre la place. Et l’amour ? Pas facile l’amour, comme dans un jeu de cartes… « Elle croyait au bonheur… Il était prêt à aimer une nouvelle fois »… Mais « Ils se sont croisés sans même se remarquer ». Echec et mat. Tout peut-être est dit dans cette scène où la toile d’araignée matérialisée jusque dans le public vient prendre dans ses fils une petite fée qui se donne – Quelle conne !
Vous l’aurez compris, la Chanson trouve son compte dans ce spectacle multiforme dont on vient de vivre la première, virevoltante, tourbillonnante… Une première où chaque participant a dû immanquablement compter ses erreurs, ses manques. Mais nous, nous retiendrons notre jubilation – celle qui se renouvelle sans cesse – d’avoir partagé une création exigeante, d’avoir laissé notre imagination nous arracher au réel.