Syrano – Mysterium Tremendum (© Syrano)

Syra­no – Mys­te­rium Tre­men­dum (© Syra­no)

28 sep­tembre 2017 – Concert de Syra­no en duo

livre – disque Mys­te­rium Tremendum

Avec

Syl­vain Ade­line /​Syra­no (voix, pro­gram­ma­tions) & Patrick Neu­lat (accor­déon, programmations)


Le Bijou (Tou­louse)

« La lutte dans la joie ! »

Ce sont les der­niers mots posés en milieu de page quand se referme l’album de bande des­si­née paru l’automne 2016. Et c’est aus­si ce que l’on peut dire de Syra­no en quit­tant la salle du Bijou ce soir. L’artiste réus­sit cette gageure de nous abreu­ver de ce qui nous déchire, de ce qui pour­rait à jamais mettre au pilo­ri notre huma­ni­té, tout en dis­til­lant un pro­fond désir d’aimer la vie. Même si c’est aus­si éva­nes­cent que « la lumière éphé­mère et gra­cieuse d’un vers lui­sant », d’une luciole, « un récon­fort quand s’égarent les radeaux ». … Faire de cet amour là un pré­texte à créer, à chan­ter, à dan­ser ! La salle s’est mise debout ce soir. La salle du Bijou a exul­té. La salle a chan­té, dan­sé. A même mon­tré son « déhan­ché sub-saharien » !

C’est que de toute évi­dence Syra­no a du métier. Le show, ça le connaît ! Sa géné­ro­si­té en scène, sa sim­pli­ci­té de ton, son humour aus­si, gagnent d’emblée l’attention et l’envie de le suivre. Bien au-delà de cette ges­tuelle sin­gu­lière du rap­peur, buste pen­ché, micro bien en avant, bras et main qui scandent le flow, déam­bu­la­tion à grand pas, Syra­no danse. Il accom­pagne les mots et les mélo­dies de tout son corps souple qui des­sine dans l’espace la force, la vio­lence ou la ten­dresse des textes.

Quant à la musique, c’est à l’accordéon de Patrick Neu­lat posé sur les sons élec­tro­niques, sur les ins­tru­ments pro­gram­més – un dan­seur lui aus­si – que l’on doit toutes les nuances, toutes les atmo­sphères décli­nées à l’infinie. Chaque chan­son a son uni­vers, toute comme elle a ses planches de des­sin, son décou­page de vignettes, son gra­phisme sin­gu­lier, ses cou­leurs. On pour­rait croire qu’ils ont été qua­torze des­si­na­teurs à signer Mys­te­rium Tre­men­dum. Ce « trem­ble­ment de l’être », cet effroi qui peut sai­sir l’être humain face à l’indicible, l’incompréhensible depuis ses ori­gines (Le pire des hommes). Hélas, si l’album, livre et chan­sons, nous trans­porte dans un ailleurs his­to­rique, vers des temps de mons­truo­si­té, vers des pages écla­bous­sées de rouge, des épo­pées plus ou moins légen­daires, comme celle de Prince Vlad, nous savons que notre époque ne déroge pas à cette loi aveugle du sang ver­sé… Par­fois, c’est si violent que s’impose Une minute de silence. Une page blanche.

Un exploit, cet album qui pro­longe, ampli­fie les chan­sons enten­dues en concert. On le feuillette, puis on s’y plonge pour ne plus le poser. Les pages vous trans­portent dans une ima­ge­rie qui certes emprunte aux codes de la lit­té­ra­ture et du ciné­ma d’horreur, comme la page de cou­ver­ture, mais vous trans­porte aus­si en son milieu dans la dou­ceur, l’évanescence des lignes et des cou­leurs. Avec La bal­le­rine, celle qui tourne sur elle-même « figée dans une ara­besque éter­nelle », avec « La plume », « Légère et vola­tile je m’élève et m’envole, mais je pèse des tonnes » cet hom­mage décli­né en autant de plumes qu’il y a d’êtres pré­cieux aux côtés de l’artiste…

On garde une forme de recon­nais­sance pour le nombre de chan­sons, le nombre de pages consa­crées à des per­son­nages fémi­nins. On com­mence avec A la fin des contes de fées et toutes ces his­toires qui finissent mal en réa­li­té, cet espoir ridi­cule…Un jour mon prince vien­dra ! On est bou­le­ver­sé par le sort tra­gique de l’enfant né dans un camp (Comme une bête) – une fille, une femme, dans la BD – par la recluse de l’amour (Je t’appartiens), par La bal­le­rine, déjà citée, clouée sur son pié­des­tal, par Alice qui tapine sur le trot­toir souillé du bou­le­vard, loin de son Alba­nie, par le loup –garou qui s’empare de l’homme (Le lycan­thrope) et exige que la femme se sou­mette à son animalité…

A qui la faute ? A cet appren­ti sor­cier qui crie « Le monde est à moi ! » qui se prête à toutes les tam­bouilles dans son chau­dron, ses bocaux, qui se prend pour Dieu… ?

Syra­no, avec ses ailes d’ange et de démon sur la cou­ver­ture – les mêmes que celles de cha­cun de nous – croit à la force d’écrire, de des­si­ner, de chan­ter… Il croit au prix des « lucioles », dans ses livres, ses des­sins pour les petits et les grands, dans ses ate­liers d’écriture dans les écoles, les MJC ou les pri­sons… Par­fois « on a posé des cou­leurs à côté de la toile ». Tant pis !

Un seul slo­gan : « S’il vous plaît, res­tez ouverts, curieux et sen­sibles ! » (Lettre aux lec­teurs, aux auditeurs)