B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Marion Roch– Ren­contres Mat­thieu Côte- Céba­zat 2019 (©René Pagès)

12 novembre 2019 – Concert en trio

Marion Roch

Avec

Marion Roch (cla­vier, gui­tare, voix), Vla­di­mir Torres (contre­basse, basse), DJ Menas (pla­tines, scratch, beat box, per­cus­sions), invi­té Jean-Jacques Dar­ras, dan­seur de « krump »


Le Bijou (Tou­louse)

La décou­verte de Marion Roch s’est faite d’abord par l’image, par son affiche. Gros plan sur son visage, sur fond bleu tendre : deux yeux clairs, très beaux, déli­ca­te­ment maquillés se plantent d’emblée dans les nôtres. La bouche des­sine une déter­mi­na­tion farouche. Les che­veux sont savam­ment rele­vés en boucles sau­vages. Les pho­tos de scène de notre ami et confrère René Pagès, pré­sent aux der­nières Ren­contres Mat­thieu Côte à Céba­zat, confirment une pré­sence enga­gée, sans conces­sion. De toute évi­dence, elle en veut cette Marion… ! Et son patro­nyme colle mira­cu­leu­se­ment à cette pre­mière impres­sion… Nous ne tar­de­rons pas à la véri­fier sur la scène du Bijou. Elle n’est pas « une moi­tié de bonne femme », nous dira-t-elle dans une chan­son. Et sur­tout que l’on ne s’avise pas d’essayer de mettre « des bâtons dans les roues de [son] car­rosse rafis­to­lé »… !

Mais ô sur­prise, nous décou­vrons une sil­houette, petite, toute fine, habillée d’un pan­ta­lon, de bas­ket et d’un blou­son lamé argent…Clin d’œil aux musiques urbaines, le raf­fi­ne­ment en plus. Mais sur­tout, sur­tout, un beau sou­rire qui revient sans cesse quel que soit le conte­nu des paroles. Elle le confie au micro de René Pagès, son objec­tif c’est de dif­fu­ser de l’espoir quelles que soient les épreuves et les dures réa­li­tés d’une vie. Elle reven­dique « le droit d’avoir des rêves plus grands que [soi] ». Elle se ras­sure et ras­sure les autres en pen­sant à ces moments où se dif­fusent en soi un sen­ti­ment de bien-être devant des bon­heurs simples : « Ces moments où j’ai comme une envie d’éternité́ /d’une sai­son écor­chée j’ai ren­du les armes j’ai comme une envie de tout figer /​de m’abandonner dans ce joli vacarme ». 

Les ins­tru­ments et la tech­nique en scène indiquent un uni­vers com­plexe où s’assemblent les « machines » d’un DJ – si peu esthé­tiques, il faut bien le recon­naître – contre­basse, basse, gui­tare et cla­vier habillé d’une guir­lande lumi­neuse. C’est sans aucun doute ce qui carac­té­rise le style du concert, cet entre­lacs de styles.

Il s’agit bien de textes qui se déroulent dans une écri­ture plu­tôt pro­saïque, celui de la langue par­lée, avec une scan­sion proche du rap… Mais la voix chante aus­si, une voix puis­sante – par ins­tants elle rap­pel­le­rait net­te­ment celle de Bar­ba­ra Wel­dens – accom­pa­gnée ryth­mi­que­ment par le « scratch », le beat box du DJ et par le jeu superbe du contre­bas­siste. Marion est souple, féline, elle arpente la scène micro en mains à l’image des rap­peurs, elle se rap­proche sou­vent de ses deux par­te­naires et le trio emporte le public par son authen­ti­ci­té, sa cha­leur humaine et la fusion de sons venus de tra­di­tions dif­fé­rentes. Mariage sub­tile de la Chan­son avec la musique « urbaine ». On s’interroge inévi­ta­ble­ment : vers quel public Marion Roch va-t-elle se tour­ner ? Quel est celui qu’elle retien­dra d’abord ?

Ses textes s’apparentent à une longue confi­dence sans fard. Au fond, on y retrouve tout ce que l’amour a tou­jours ins­pi­ré, entre Viens et Va-t-en… En jeune femme d’aujourd’hui elle reven­dique le droit au désir « désir je te sens dans tout mon corps, et j’ai pas honte que tu existes /​tu n’es pas mort et si moi je suis une femme alors pour­quoi je rou­gis quand tu me débordes ». Quand, s’accompagnant alors à la gui­tare, elle s’en vient à une ver­sion plus char­nelle dans le titre Can­ni­bale, elle évo­que­rait Camille Har­douin. Elle s’attarde sur les dou­leurs de la sépa­ra­tion. Mais c’est en adop­tant le point de vue du père face au Juge que l’on découvre un temps fort du concert. Le dan­seur de « krump » (déri­vé du hip-hop, mais dépouillé de ses dérives com­mer­ciales) Jean-Jacques Dar­ras appa­raît alors pour expri­mer sa dou­leur et son com­bat d’homme pri­vé de son enfant. « Moi j’ai rien fait de mal, j’ai sage­ment regar­dé mon fils mon­ter dans l’avion /​J’essaye de res­ter son père je devine son quo­ti­dien au bord de la mer /​et j’avale, j’avale l’injustice, j’avale le sou­ve­nir /​j’avale la dis­tance, j’avale les bar­rières qui gran­dissent entre nous… » Elle se confie briè­ve­ment sur son pas­sé de très jeune édu­ca­trice spé­cia­li­sée avant de prê­ter sa voix à une per­sonne sans domi­cile fixe au bout de son com­bat, tout au bout de cette vie où il lui semble avoir per­du son iden­ti­té même… En contre­point, on découvre le por­trait d’une femme de 74 ans, « un temps en noir et blanc » dans lequel elle scande cet émou­vant « T’es belle » et ter­mine par l’évocation de sa mort, en dou­ceur, en infi­nie ten­dresse avec ces der­niers mots : « Voles-tu tout près de tes hirondelles ? »

Voi­là en effet une dimen­sion de ce concert qui peut enchan­ter le public « Chan­son » même si, pour notre part, nous gar­de­rons sur­tout le sou­ve­nir d’une pré­sence scé­nique cha­leu­reuse, enga­gée, vivi­fiante. Un corps qui se donne et ne ment pas.