Mélinée, Héroïne – 2017 (© Benjamin Bayer)

Méli­née, Héroïne – 2017 (© Ben­ja­min Bayer)

5 sep­tembre 2017 – Méli­née, Héroïne

Sor­tie de son deuxième album

Méli­née Bena­mou (textes, chant, musiques), Jona­than Bra­toëff (gui­tares, per­cus­sions, Fen­der Rhodes… arran­ge­ments, pro­duc­tion), Aly Keï­ta (bala­fon), Mar­tin Klenk (vio­lon­celle), Car­me­lo Leot­ta (contre­basse, basse), Jonas Mül­ler (accor­déon, pia­no), Karl Neu­kauf (pia­no), Joe Smith (bat­te­rie, percussions)


« Au fond du ciel
Des éper­viers planent
Sur les nixes nicettes aux che­veux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé »

Méli­née aurait-elle eu en tête ces vers du poème Automne malade de Guillaume Apol­li­naire ? Il nous plaît de l’imaginer au moment où nous rédi­geons ces lignes, où les mots et les musiques nous habitent encore, laissent leur empreinte tein­tée de bleu, de vert, de gris… Pour­tant le pré­nom de la femme, son nom d’artiste, Méli­née, nous entraî­ne­rait plu­tôt vers des rivages enso­leillés, médi­ter­ra­néens, où l’abeille est hono­rée. Habi­tés de para­doxes et de contraires qui s’entrechoquent, c’est ain­si que nous sommes tous. Et c’est pour­quoi le réper­toire de Méli­née qui vit depuis sept ans à Ber­lin fait mouche. Saluons au pas­sage sa déter­mi­na­tion à écrire en fran­çais, vivant en Alle­magne. Ses chan­sons pour­tant inti­mistes dans le choix des thèmes où domine l’amour, sont ancrées dans un pay­sage, dans une époque qui se sou­vient des décen­nies de dic­ta­ture à l’Est. Dans une ville : Berlin.

La cou­ver­ture de l’album pro­pose l’image d’une belle brune tête incli­née, vêtue d’une robe rouge, bras dénu­dés. Elle semble appa­raître der­rière une vitre où dégou­line la pluie dans une atmo­sphère réso­lu­ment verte… De l’eau, du vert, celui des divi­ni­tés ger­ma­niques du poète. À l’intérieur, le disque est posé sur une pho­to­gra­phie qui nous la montre cou­rant pieds nus, vêtue de la même robe rouge dans un décor froi­de­ment urbain. Quant aux illus­tra­tions du livret il faut attendre la der­nière et trei­zième chan­son pour la voir sou­rire en vis-à-vis, tête bais­sée, pau­pières closes, assise sur le dos d’une chaise dans un décor très froid. Son sou­rire illu­mine la page. Un sou­rire qui s’adresse à elle-même, et qui fait écho au texte de la chan­son : une invi­ta­tion, un espoir. « Tu serais l’ami et l’amant /​Je serais celle à ména­ger /​On irait prendre en alle­mand /​un bain d’amour et d’eau salée »… C’est une chan­son apai­sée où seule la gui­tare accom­pagne la voix.

Par­lons de la voix. Elle est claire, puis­sante, déter­mi­née comme peut l’être celle d’Anne Syl­vestre qu’elle nous a rap­pe­lée, par­ti­cu­liè­re­ment dans le titre L’attente. Les musiques et les arran­ge­ments pro­posent une balade dans le temps et l’espace sans jamais concur­ren­cer cette voix. On y trouve des touches folk, dans la pre­mière chan­son par exemple, Quand je te vois. Une décla­ra­tion d’amour assez énig­ma­tique où les mots invitent à choi­sir sa palette, du bleu céru­léen, du rouge, du gris… Mais on aime le choix d’introductions musi­cales qui invitent à une émo­tion sin­gu­lière, avant les mots. On cite­ra le vio­lon­celle pour Dis-moi, où l’Irlande, Gal­way, le Conne­ma­ra, les falaises de Moher et les harpes gaé­liques s’invitent à Ber­lin. Bien sûr, on cite­ra aus­si le bala­fon qui d’emblée nous prend par la main et nous entraî­ne­rait à dan­ser. C’est plu­tôt amu­sant cette conni­vence entre cet ins­tru­ment afri­cain et le texte en alle­mand. Cette chan­son adres­sée à un tech­ni­cien du son dont elle sou­ligne « les charmes de l’Est » (dein öst­li­cher Charme) prône l’amitié puis­qu’« être amou­reux dure le temps d’un clair de lune » (und dass « ver­liebt sein » /​ist kurz wie Mon­den­schein »). Par­fois on a cru retrou­ver les années soixante-dix avec le son du Fen­der Rhodes dans Rouge et Noir… et comme une rémi­nis­cence des chan­sons de Jean Fer­rat, y com­pris l’engagement pour une socié­té plus juste, plus lumi­neuse. Quand il s’est agi de s’adresser à celui qui boit jusqu’à l’ivresse, « bagnard d’un bleu bitume /​sur tes joues de for­çat » c’est la voix seule d’abord qui inter­pelle, judi­cieu­se­ment rejointe, très dou­ce­ment, len­te­ment par les ins­tru­ments où domine l’accordéon. On sou­li­gne­ra enfin l’émotion sus­ci­tée par le texte L’absence, avec ce lamen­to de l’accordéon en ouver­ture. Un texte qui pour­rait très bien être seule­ment dit, sans accom­pa­gne­ment musical.

Le 16 sep­tembre pro­chain Méli­née fête­ra la sor­tie de ce deuxième album (https://​you​tu​.be/​j​D​b​1​u​y​H​2​WxQ) dont la chan­son titre Héroïne porte suf­fi­sam­ment d’ambiguïté pour évo­quer son uni­vers, tout ce qui la porte et la trans­porte dans cette vie, « arrache-plume » comme « arrache-cœur ». On aurait aimé la rejoindre ce soir-là au Han­gar 49, un bar concert presque caché sous les rails de S‑Bahn, du côté du pont Jan­no­witz sur la Spree, à cinq minutes de la place Alexandre où s’est tenu le plus grand ras­sem­ble­ment avant la chute du mur, au centre de Ber­lin-Est. Un décor en bleu, en gris, un décor où les chan­sons de Méli­née pour­ront mettre le temps d’un concert leur « grain de sel ». Un peu d’amour et d’eau salée…