Valérian Renault, un furieux appétit d’écrire (© Catherine Cabrol)

Valé­rian Renault, un furieux appé­tit d’écrire (© Cathe­rine Cabrol)

6 novembre 2015 – Valé­rian Renault, Laisse cou­ler

Label /​Édi­tions Aba­ca­ba, réa­li­sa­tion Mat­thieu Ballet


Valé­rian Renault est de ces artistes que l’on guette. À la pre­mière ren­contre en scène, il bous­cule, trans­perce, de sa voix qui s’en va légè­re­ment éraillée comme pour mieux sou­li­gner les fêlures, du jeu de sa gui­tare mais sur­tout de ses mots de mau­dit, de frère d’armes au com­bat déri­soire de nos vies.

Alors, on n’attend pas de le revoir. Ce sera très bien­tôt pour­tant. On écoute vite son album pro­mo­tion­nel, orné de ce visage aux pau­pières closes, bouche fer­mée lais­sant s’écouler l’encre, flot que l’on ne sau­rait rete­nir… Et ce titre Laisse cou­ler. Pas d’autre choix que de cla­mer, pro­cla­mer : « Tu ver­ras qu’ici cha­cun son prin­temps » Pas d’autre choix que de se jeter dans la vie avec avi­di­té : « Je jette ce que j’ai sur les bras /​L’amour je ne le porte pas, je le pro­jette ».

Valé­rian Renault a convo­qué cette fois-ci un ensemble orches­tral qui porte haut les cou­leurs de son écri­ture. Cordes et cuivres rejoignent la for­ma­tion rock et l’ensemble, textes et arran­ge­ments, hisse ses chan­sons vers des som­mets aux­quels nous ne sommes plus accou­tu­més. Accom­pa­gné par le Label Aba­ca­ba, ver­ra-t-on son nom fran­chir les fron­tières du micro­cosme qui est habi­tuel­le­ment le nôtre en Chan­son ? Ce serait jus­tice, assu­ré­ment. Pour l’heure nous nous délec­tons. Car c’est chan­son de haute fac­ture. Le cœur pal­pite à l’écouter et cette sen­sa­tion-là se partage.

Nous avons plai­sir à retrou­ver des titres qui nous sont fami­liers. Les entendre ain­si recréés, dans cette dimen­sion orches­trale, c’est bonus.

Valérian Renault, Laisse couler (© droits réservés)Mais le plai­sir va bien au-delà car l’album s’écoute comme on lit un roman dont chaque chan­son serait un nou­veau cha­pitre, écrit par Valé­rian Renault. Sept sur les onze mettent en scène la Femme : Joueuse d’abord, à laquelle répond Laisse cou­ler en un sub­til dip­tyque de jeux amou­reux, rejointe ensuite par la figure mytho­lo­gique de Cas­sandre et ses inutiles pro­phé­ties, Cas­sandre dont nous sommes tous les enfants. Puis ce sera Pan­dore (Au jar­din) celle qui ouvre son tré­sor malé­fique et offre la mor­sure du ser­pent, dans une évo­ca­tion nos­tal­gique du jar­din d’Eden : « Nous étions si bien dans notre jar­din à l’ombre du grand pom­mier… Nous ne savions pas encore que le diable était au corps. » For­cé­ment, depuis, nos amours sont dif­fi­ciles, la dou­leur imman­qua­ble­ment tapie dans son coin. Et pour­tant, pour­tant… Trois chan­sons, nous emmènent dans la dou­ceur et l’érotisme déli­cat, avec en fili­grane le trou­blant duo d’Éros et Tha­na­tos : Ber­ceuse, puis la rêve­rie de Tes hanches, bal­lade folk où Charles Azna­vour en per­sonne a bien vou­lu poser ses notes, et enfin – apo­théose ! – T’es belle avec l’envolée sym­pho­nique de ses cuivres, « T’es belle comme la lune qui n’a jamais su les poètes ». C’est un drame cette beau­té. C’est écrit, chanté !

Quelques res­pi­ra­tions nous sont offertes avec le récit en fan­fare que nous qua­li­fie­rions volon­tiers de « San­sé­vé­ri­nesque », dans une scène de film noir (A la Mon­tal­ba­naise) au milieu de l’album. Et puis, cette chan­son hom­mage née d’une tra­ver­sée, d’une halte au Qué­bec. Valse rapide et joyeuse de Petite Val­lée, cette terre fran­co­phone d’outre atlan­tique où « le moindre bon­jour se donne avec les mains, les yeux, le ventre, le cœur, la voix » qui rap­pelle aus­si que c’est là que lui vint l’appétit de chan­ter. Alors recon­nais­sons que la chan­son méri­tait bien de figu­rer dans l’album.

Mais c’est avec la pre­mière et la der­nière que nous vou­drions vous lais­ser sur l’envie d’acheter cet album dès sa sor­tie. Il ouvre sur la ter­rible dédi­cace A l’enfant, qui veut être une chan­son d’espérance puisque l’avenir n’est jamais loin. On en sort de cet enfer même si deve­nu adulte, on peut encore rap­pe­ler le lien qui nous unit comme une corde raide… une inflexible amarre… hur­ler sa dou­leur d’aimer à celui que l’on appelle « papa », le sup­plier de « mettre un peu de chair au lien qui nous unit… « Ouvre tes mains, tes bras et embrasse-moi ! » C’est sur ce cri déses­pé­ré et si beau que s’achève cet album. Deux chan­sons qui dénoncent un talent qu’il serait scan­da­leux de ne pas saluer.

Article initialement publié sur le site Nos Enchanteurs :
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