6 novembre 2015 – Valérian Renault, Laisse couler
Label /Éditions Abacaba, réalisation Matthieu Ballet
Valérian Renault est de ces artistes que l’on guette. À la première rencontre en scène, il bouscule, transperce, de sa voix qui s’en va légèrement éraillée comme pour mieux souligner les fêlures, du jeu de sa guitare mais surtout de ses mots de maudit, de frère d’armes au combat dérisoire de nos vies.
Alors, on n’attend pas de le revoir. Ce sera très bientôt pourtant. On écoute vite son album promotionnel, orné de ce visage aux paupières closes, bouche fermée laissant s’écouler l’encre, flot que l’on ne saurait retenir… Et ce titre Laisse couler. Pas d’autre choix que de clamer, proclamer : « Tu verras qu’ici chacun son printemps » Pas d’autre choix que de se jeter dans la vie avec avidité : « Je jette ce que j’ai sur les bras /L’amour je ne le porte pas, je le projette ».
Valérian Renault a convoqué cette fois-ci un ensemble orchestral qui porte haut les couleurs de son écriture. Cordes et cuivres rejoignent la formation rock et l’ensemble, textes et arrangements, hisse ses chansons vers des sommets auxquels nous ne sommes plus accoutumés. Accompagné par le Label Abacaba, verra-t-on son nom franchir les frontières du microcosme qui est habituellement le nôtre en Chanson ? Ce serait justice, assurément. Pour l’heure nous nous délectons. Car c’est chanson de haute facture. Le cœur palpite à l’écouter et cette sensation-là se partage.
Nous avons plaisir à retrouver des titres qui nous sont familiers. Les entendre ainsi recréés, dans cette dimension orchestrale, c’est bonus.
Mais le plaisir va bien au-delà car l’album s’écoute comme on lit un roman dont chaque chanson serait un nouveau chapitre, écrit par Valérian Renault. Sept sur les onze mettent en scène la Femme : Joueuse d’abord, à laquelle répond Laisse couler en un subtil diptyque de jeux amoureux, rejointe ensuite par la figure mythologique de Cassandre et ses inutiles prophéties, Cassandre dont nous sommes tous les enfants. Puis ce sera Pandore (Au jardin) celle qui ouvre son trésor maléfique et offre la morsure du serpent, dans une évocation nostalgique du jardin d’Eden : « Nous étions si bien dans notre jardin à l’ombre du grand pommier… Nous ne savions pas encore que le diable était au corps. » Forcément, depuis, nos amours sont difficiles, la douleur immanquablement tapie dans son coin. Et pourtant, pourtant… Trois chansons, nous emmènent dans la douceur et l’érotisme délicat, avec en filigrane le troublant duo d’Éros et Thanatos : Berceuse, puis la rêverie de Tes hanches, ballade folk où Charles Aznavour en personne a bien voulu poser ses notes, et enfin – apothéose ! – T’es belle avec l’envolée symphonique de ses cuivres, « T’es belle comme la lune qui n’a jamais su les poètes ». C’est un drame cette beauté. C’est écrit, chanté !
Quelques respirations nous sont offertes avec le récit en fanfare que nous qualifierions volontiers de « Sansévérinesque », dans une scène de film noir (A la Montalbanaise) au milieu de l’album. Et puis, cette chanson hommage née d’une traversée, d’une halte au Québec. Valse rapide et joyeuse de Petite Vallée, cette terre francophone d’outre atlantique où « le moindre bonjour se donne avec les mains, les yeux, le ventre, le cœur, la voix » qui rappelle aussi que c’est là que lui vint l’appétit de chanter. Alors reconnaissons que la chanson méritait bien de figurer dans l’album.
Mais c’est avec la première et la dernière que nous voudrions vous laisser sur l’envie d’acheter cet album dès sa sortie. Il ouvre sur la terrible dédicace A l’enfant, qui veut être une chanson d’espérance puisque l’avenir n’est jamais loin. On en sort de cet enfer même si devenu adulte, on peut encore rappeler le lien qui nous unit comme une corde raide… une inflexible amarre… hurler sa douleur d’aimer à celui que l’on appelle « papa », le supplier de « mettre un peu de chair au lien qui nous unit… « Ouvre tes mains, tes bras et embrasse-moi ! » C’est sur ce cri désespéré et si beau que s’achève cet album. Deux chansons qui dénoncent un talent qu’il serait scandaleux de ne pas saluer.