Zédrine – 150 000 Km ‑2019 (©Gérald Debiard)
22 janvier 2019, nouvel EP de Zédrine (duo) paru le 15 janvier 2019
150 000 km
Avec
Zedrine (texte, voix) Aurélien Calvo (musique) Anousha (voix additionnelle) Scott Da Ros (mixage) Adrien Sauvaget (mastering) remix du titre « 150 000 km » par Cisco aka Francis Esteves
Voilà que Zedrine nous revient… Et même s’il croit nous faire faire un pas de côté –une chute est si vite arrivée quand on avance en âge ! – s’il nous imagine loin de cette écoute de chanson, nous nous sentons singulièrement familière de cette approche du texte et des sons qui le soutiennent. Avec son complice Aurélien Calvo, bidouilleur d’atmosphères, de rythmes, de scansions, il revient avec cinq titres, en attendant deux autres livraisons…
Au fond, que nous importent les mots, les étiquettes – slam, rap, chanson, électro, spoken word… ? Un peu tout à la fois – si l’émotion est là, bien là, et si les mots sonnent, résonnent à notre oreille et plus encore à notre cœur ! Car cette création, aux côtés d’autres noms comme Govrache, Archibald, Nevché, Mehdi Krüger ou Jérôme Pinel (Strange Enquête), a ce remarquable et précieux effet de rendre aux mots toute leur saveur, leur onctuosité. Chacun de ceux, précédemment cités, s’efforce en effet de nous en restituer la force, le pouvoir, dans la tradition la plus ancienne des aèdes, rhapsodes, griots. Alors réjouissons-nous de cette inclination de ce que nous appelons encore la chanson…
Avec 150 000 km, le premier titre (et le dernier où son ami Cisco se prête à glisser sa voix…) on pourrait croire qu’il concède à l’actualité, brûlante et terrifiante. Il est bien question d’un pays que l’on quitte, d’un pays où l’on va, « des lignes, des barrières, des murs, des remparts », il est bien question de voyages, de « lumerottes au bord de la route »… « d’un bateau qui danse
sur une mer agitée ». Mais le texte prend bien davantage d’ampleur, de force, pour considérer nos siècles d’humanité à chercher notre route. L’homme est en équilibre toujours fragile « entre deux riens, entre deux peurs », et la petite voix enfantine – celle d’Anousha « vivant métissage entre ceux qui ont dû quitter un pays et ceux qu’ils ont trouvé « ailleurs » » – nous confirme l’ampleur de la vision.
Zedrine, le poète, considère notre condition humaine. Comme nous tous, il fait le voyage et peut écrire : « Et la sève de mille générations de braves coule en mes veines… » Cette amplification spatiale, temporelle, nous la trouvons aussi dans le titre bien nommé Pulsion qu’une rythmique incantatoire escorte, comme un cœur qui bat sans fin… Une série d’images affluent, des visions de peaux noires soumises aux coups, une vieille femme qui pleure. On pense aux images d’un film comme Amistad de Steven Spielberg en 1997… Mais bientôt l’on ne sait plus si cette peau n’est pas celle aussi de l’instrument que l’on frappe… Ce vécu, c’est la même histoire qui s’étend à l’infini…Ce sont aussi des voix qui s’élèvent, des cordes qui vibrent et des refrains repris « Les musiciens ne fatigueront jamais /Le refrain est appris, transmis, /Repris par mille bouches, /Ou plutôt des millions… »
Avec Zedrine nous sommes à mille lieues de la poésie qui s’enferme dans un cercle sans issue. Depuis quand est un texte qui pourrait bien être une mise à distance de sa propre vie, de celle d’un frère, d’une part de soi, de l’autre, tout comme Alfred de Musset le fit dans Les Nuits, s’interrogeant sur l’évolution d’un être qui, au fil de sa vie, adopte tellement de postures : décider, s’exhiber, s’obstiner, parader, défier, posséder… « Depuis quand est-elle morte /La voix timide de l’enfant ? » Et quand il est (enfin ?) question d’amour, le texte navigue entre rêve et réalité, insérant de l’anglais… brouillant les pistes. Le rêve, le désir ne sont –ils pas plus forts que la réalité ? « Je ne te suivrai pas, je ferai ce qu’il faut /Pour que tu hantes encore /Mes visions et mon corps ».
Il faut le dire, l’image fantomatique de cette femme de dos est terriblement belle, attirante… « Elle a / les mêmes bottes qu’elle, /la même veste, /le même jean serré. /Et jusqu’au parfum de dame /qui faisait valser mon âme, but… who got the name, damned ? »
Vingt minutes de ces textes, de cette musique qui souligne, ponctue, se fond dans le débit, parfois se développe plus avant jusqu’à ce que la voix revienne au premier plan, donnent fortement envie d’en entendre davantage. Tant que l’homme s’interrogera, tant qu’il n’aura pas trouvé réponse – il semble que ce ne soit pas pour demain – nous aurons de la joie à partager de la poésie, comme celle-ci :
« Il est où
le pays d’où je viens ?
Il est où
le pays où je vais ?
Il est où
ce vent qui nous portait ?
Il était doux
avant qu’on soit marin… »