B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Marie Bobin & Fran­çois Gaillard Tra­cer la route – Livre disque 2020 (© Marie Bobin – Fran­çois Gaillard)

20 février 2020, sor­tie offi­cielle du livre-disque de Marie BobinFran­çois Gaillard

Tra­cer la route

Avec

Côté livre : pho­tos, des­sins, et récits, car­nets de voyage de Marie Bobin

Côté disque : Fran­çois Gaillard (textes, accor­déon, chant) Michaël Coin­te­pas (réa­li­sa­tion, gui­tares, bat­te­rie, per­cus­sions) Laurent Flé­chier (cla­ri­nette), Flo­rian Cot­taz (har­mo­ni­ca) Denis Hénault-Pari­zel (contre­basse) Thi­baud Hémard (tuba)


Superbe livre de 250 pages, Tra­cer la route est à mettre dans toutes les mains, sans modé­ra­tion… Un appel à la liber­té, à la décou­verte, à la beau­té de la Terre et des gens… Un hom­mage à la vie ! 

Une épo­pée fami­liale, celle de Marie Bobin la mère, défi­ni­ti­ve­ment conver­tie aux car­nets de voyage (des­sins, aqua­relles, textes et pho­tos) Fran­çois Gaillard le père, accor­déo­niste – chan­teur, et trois lou­piots, bap­ti­sés Lola, Titouan et Plume. 

Régu­liè­re­ment depuis dix ans, ce quin­tet quitte Lyon, leur port d’attache, pour prendre la route en camion. Par­fois sim­ple­ment pour se poser au vil­lage de Névache dans les Hautes-Alpes où Marie pas­sait ses vacances d’enfants, par­fois plus loin en France, au gré des concerts, avec une pré­di­lec­tion pour la Bre­tagne… Sou­vent ils ont aus­si dépas­sé les fron­tières de l’Hexagone… Et ces voyages-là nous offrent moult détails en des­sins, en cou­leurs, en pho­tos : la Corse par exemple avec « ses pan­neaux de vil­lages cri­blés de balles, ses cam­pings fer­més en octobre (ou ouverts, c’est-à-dire payants, mais avec sani­taires fer­més !) » mais sur­tout avec sa famille Cot­taz et l’amitié qui en naquit…

Car tout est là, au détour des pages, le voyage est pré­texte à la ren­contre en tout lieu, tout le temps… Écosse, Ita­lie du Nord, Scan­di­na­vie… Eton­nant Dane­mark, terre de bon­heur… La ren­contre de la famille Ander­sen… Copen­hague… La Suède, la Nor­vège… Dépay­se­ment garan­ti. Et puis, plus récem­ment le Por­tu­gal… Mais avec un autre camion ! Car le pre­mier, le camion orange, a fini par rendre l’âme… On est un peu triste, on s’y était atta­ché depuis qu’on l’avait vu cara­co­ler sur les des­sins de Marie pen­dant le concert… Celui qui por­tait « Une éolienne côté cœur /​Et sur son côté droit… On s’en fout ! » Main­te­nant le camion est jaune et bleu. Son dos porte le visuel du concert des­si­né qui est aus­si la cou­ver­ture du livre. Il arbore fiè­re­ment de nou­velles maximes : « concert des­si­né Tra­cer la route », « Trans­port peu com­mun », « On the road again »…

Au fond, il suf­fit de lire en page de gauche les mots de Jack Kerouac « Une fois de plus, nos valises cabos­sées s’empilaient sur le trot­toir ; on avait du che­min devant nous. Mais qu’importe : la route, c’est la vie… », de regar­der, page de droite en vis-à-vis, petits pots de cou­leurs, palette et pin­ceaux avec l’intitulé : « Car­net de tour­nées en camion et en famille, en chan­sons et en dessins ».

Voi­là vous avez tout com­pris, Marie et Fran­çois sont des voya­geurs dans l’âme… L’une s’exprime par le des­sin, l’autre par la musique… Tous les deux ont les mots pour bagage. Écri­vains- voya­geurs, ils ont trou­vé le moyen de réunir leurs talents par le concert des­si­né dont nous avons déjà ren­du compte… Le livre est aus­si l’occasion de racon­ter cette aven­ture là. Ils jouent par­tout, en inté­rieur (nous les avons vus au Bijou, au Relais de Poche en Ariège) comme en exté­rieur… Quel déli­cieux sou­ve­nir que ce concert des­si­né dans le jar­din des papo­tages au fes­ti­val Bar­jac m’en Chante.

Le livre rend un hom­mage appuyé à cer­tains lieux inso­lites… « Sou­vent d’ailleurs leur pro­prié­taire est aus­si poé­tique et bar­ré que le lieu lui-même ». Il s’agit bien de faire la courte échelle à la poé­sie sous toutes ses formes, et à ceux qui sont capables de l’inventer ! Alors n’hésitons pas, citons-les : l’Inukshuk café à Cham­be­ry, le café –librai­rie  Sur la route en Bre­tagne le café Théo­dore à Tré­dez-Loc­qué­meau en Côte d’Armor, l’Etabli à Mire­peix, près de Pau, la grange de Mika et Mariel Le Chant des mou­tons  au Lieu-dit Les Thi­baults à Mont­cor­bon dans le Loi­ret, l’Art de rien, de Noëlle et Rémi Bau­douin à Bour­bon l’Archambault dans l’Allier, La Géli­notte sur les hau­teurs de Gre­noble, au bord du lac de Frey­dières, le chAn­tier – La BarAque à Nogent-le –Rotrou… Et deux Plan(s) B… à Beau­re­paire en Isère et à l’île d’Yeu…Encore une fois, une véri­table aven­ture que cette étape sur une île !

Par­ta­ger avec des cir­cas­siens, inven­ter, créer avec eux, invi­ter à décou­vrir cet art du car­net de voyage (si joli­ment résu­mé dans la chan­son Ecris-moi) par des expo­si­tions, des stages, c’est à chaque fois « tra­cer la route »… S’offrir le luxe d’un nou­veau rap­port à soi-même, aux autres, au temps, aux paysages…

Tout cela se dit aus­si en chan­sons avec Fran­çois. Car dans le livre haut en cou­leurs on trouve aus­si le texte des Chan­sons qui vivent leur vie dans le concert des­si­né et main­te­nant sur CD. Écoutons.

Voi­là que s’invite d’entrée l’harmonica de l’ami Flo­rian pour nous don­ner la touche coun­try, celle du rêve amé­ri­cain, celle de la route de Kerouac… Nous y sommes, il n’y a pas de doute avec Repas de por­ce­laine, comme avec Bol de café et Allez viens. La voix et les mots de Fran­çois nous rap­pellent à plu­sieurs reprises ce besoin de s’arracher à un monde bien trop dur, bien trop terne, bien trop violent… Fuir « tra­hi­sons et cha­grins », « petits dieux trouble-fêtes /​Roi­te­lets et pisse-froids » mais aus­si sor­tir « des clans /​des réseaux des familles… » S’inventer des che­mins, des ren­contres, de l’inconnu, se fabri­quer des « chouettes sou­ve­nirs » « Rien de pré­vu, rien d’écrit »… Bref, du rêve quoi… Et l’on a bien l’impression que c’est la cla­ri­nette qui s’invite alors, avec les oiseaux aus­si … Comme la bat­te­rie et le tuba rendent hom­mage au camion, ce fameux camion comme d’autres ont chan­té leur fameux trois-mâts ! … Car les chan­sons font place à la fan­tai­sie, à l’humour, même si elles égra­tignent bien un peu notre monde fou, « un vieux monde à refaire », nos conci­toyens aus­si comme dans le der­nier titre, L’aventura, où se suc­cèdent une série de por­traits plus caus­tiques les uns que les autres, d’une « huma­ni­té toute crue » : des « trans­hu­mants » et leur véhi­cule… « Le camion fait bien le lar­ron ». Enfin pas tou­jours, « Il faut se méfier /​des pro­prié­taires de camions » !

Ain­si il ne fau­drait pas croire que ces chan­sons là pro­posent seule­ment du rêve, de l’imprévu… Elles rendent hom­mage à la Terre qui « balance ses pleins phares… s’est maquillée » pour les voya­geurs… Des cadeaux, il n’y pas de doute, même au petit matin « dans une ville presque morte /​Juste avant le concert des réveils en furie »… « C’est beau une ville la nuit », écrit Richard Boh­rin­gerFran­çois Gaillard pour­rait lui aus­si pro­lon­ger l’écriture de cet ins­tant sus­pen­du « entre loups et chiens » car cette chan­son là, cette valse lente très ciné­ma­to­gra­phique, est l’une des plus émou­vantes de l’album…

Si les chan­sons parlent de ren­contres, de pay­sages, elles s’attardent aus­si aux pen­sées qui viennent au soli­taire, à celui qui médite sur le sens de son voyage, sur cette vie là… Pas facile alors d’échapper à ses « fan­tômes », à la pen­sée de la mort qui vien­dra… « J’ai posé la boule rouge /​Du soleil sur ma main /​Je vou­lais l’arrêter /​Il s’est cou­ché quand même… » Pas éton­nant que le héros du concert des­si­né, sa « mas­cotte », soit ce petit bon­homme consti­tué de quelques traits qui appa­raît par­tout dans les ani­ma­tions sur écran, dans toutes les positions…

C’est un peu cha­cun de nous, c’est toi, c’est moi, c’est Fran­çois quand il chante et nous invite « J’ai chaus­sé mon accor­déon /​C’est par où qu’tu veux par­tir ? »