B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Juliette Tour­ret L’âme heu­reuse, 2019 (© Patrick Lazic)

28 décembre 2019 – L’âme heureuse

En écho aux com­po­si­tions ori­gi­nales de Juliette Tour­ret (CD col­lec­tor édi­té à 50 exem­plaires) dis­po­nibles sur les sites de télé­char­ge­ment légal.

Avec
Juliette Tour­ret (com­po­si­tions, piano)


Aver­tis­se­ment : Ce texte ne sau­rait pas­ser pour une chro­nique. C’est une pure fic­tion où se trouvent insé­rés en carac­tères gras les titres de l’album.

  1. Valse de l’Egarée 2. Accep­ta­tion 3. Dis­tance 4. Libé­ra­tion 5. Dans la lueur de l’ombre 6. L’âme heu­reuse 7. M

La valse de l’Egarée

Elle avait fini par le croire. Elle serait à jamais l’Egarée. Celle qui perd le nord pour des moins que rien. Celle qui perd pied quand la piste de danse est propre et lisse. Celle qui perd sa pan­toufle à chaque des­cente d’escalier, sans l’ombre d’un prince à sa suite pour la ramas­ser. Alors, oui, elle se croyait défi­ni­ti­ve­ment l’Egarée.

Ce monde fou l’avait mise à dis­tance. Le ciel était déci­dé­ment bien trop bas, bien trop gris. Alors elle se mit à croire qu’il suf­fi­rait de s’arrêter. Quelque part où il y aurait de la place pour ses rêves de lune. Bien sûr elle y mit de l’acharnement, de la volon­té. Il fal­lut long­temps errer et pas­ser encore pour l’Egarée. Cer­tains lui criaient au pas­sage des mots ailés dont elle per­ce­vait dif­fi­ci­le­ment les sono­ri­tés : « Li-bé-ra-tion », « a‑c­cep-ta-tion »… Chaque fois les finales s’évanouissaient dans l’air avant qu’elle n’ait pu en tou­cher la peau tendre. Pour­tant elle ten­dait les bras, aus­si loin qu’elle le pou­vait. En vain. Ces mots là n’atteignaient pas l’Egarée.

Une nuit pour­tant, alors qu’elle se croyait défi­ni­ti­ve­ment vain­cue, elle devi­na dans l’ombre de sa chambre une lueur. Elle vacillait, toute petite, toute fra­gile. Peu assu­rée, elle se lais­sa gui­der vers elle, comme mue par une force invin­cible. Peu à peu elle se sen­tit dans la lueur de l’ombre. Elle hési­tait bien sûr… Il y avait eu d’autres lueurs sur sa route d’égarée, d’autres étoiles aux­quelles elle avait cru de toute son âme heu­reuse pour finir par s’échouer, plus éga­rée encore.

Il fal­lait faire confiance, se lais­ser gui­der. Elle ten­dit une fois encore les bras et les refer­ma très vite de peur que la lueur ne se sau­vât. Une cha­leur se dif­fu­sa alors dans tout son buste. Elle s’arrêta net, hap­pée par l’image que lui ren­voyait son miroir. Un « » incroya­ble­ment lumi­neux se des­si­nait là, à l’échancrure, à la nais­sance de ses seins. Il s’effaça à peine appa­ru. Mais cet ins­tant avait suffi.

Une petite valse entê­tante se mit à réson­ner dans sa tête. Au bout de ses doigts elle s’agitait. Elle se lais­sa gui­der vers le pia­no blanc qui lui ten­dit ses noires et ses blanches.

Cette nuit là naquit la valse de l’Egarée.