B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Manu GalureThéâtre Sora­no, 2019 (© Claude Fèvre)

21 décembre 2019 – Concert du sol­stice d’hiver de Manu Galure

Fin de son tour de France à pied et en chansons

Avec
Manu Galure (textes, musiques, pia­no, voix)


Théâtre Sora­no (Tou­louse)

Hé bien oui, disons-le, ce serait ten­tant de com­men­cer par cette ques­tion qui valait à Gil­bert Becaud l’une de ses inter­pré­ta­tions les plus sai­sis­santes, en conni­vence avec ses musi­ciens. Alors raconte Manu…

Fran­che­ment hier soir nous avons été com­blés, nous, public tou­lou­sain, sans doute nom­breux à l’avoir escor­té le jour de son départ en sep­tembre 2017 dans ce même théâtre. Bien sûr nous avions été sou­vent sus­pen­dus à ses petites vidéos qui agré­men­taient son voyage. On y voyait un mar­cheur, un vrai, sur des petits che­mins de cam­pagne, s’arrêtant pour la beau­té d’un arbre, d’un oiseau, d’un ciel de pluie eu de neige, pour le souffle du vent, pour évo­quer le sou­ve­nir du concert de la veille. Mais ce soir, il est là. De retour dans sa ville… notre ville. Il arrive sur la scène, vêtu de son pan­ta­lon beige un peu court, tee-shirt blanc (vus sou­vent sur les der­nières pho­tos de concerts) et pied nus ! Les chaus­sures sont posées sur le pia­no et le sac à dos trône tout près. C’est fini, il pour­ra le vider.

Il s’installe au cla­vier – un beau quart de queue cette fois ! – et entame dans une totale décon­trac­tion le der­nier concert de ce tour de France inso­lite. Il com­mence, petit Pou­cet de notre temps : « Je tra­ce­rai ma route avec de la mie de pain … Bien sûr que ça vaut la peine de quit­ter ceux qu’on aime… » Deux heures à chan­ter « clo­pin clo­pan » et raconter.

356 jours, 9000 kms à pied, 4 ou 5 concerts par semaine, de Tou­louse à Paris, puis de Paris à Avi­gnon, et enfin d’Avignon à Toulouse…

Sou­vent il ne prend pas la peine de nous par­ler dans le micro. C’est comme à la mai­son, comme dans tous ces lieux qui l’ont accueilli… Petit public d’un salon, grand public d’un théâtre, peu importe. Il prend le spec­ta­teur par la manche et l’entraîne dans sa tendre fan­tai­sie comme aux tout pre­miers jours de sa vie de trou­ba­dour où il chan­tait amar­ré à sa contre­basse qu’il fai­sait tan­guer, cha­lou­per. C’était il y a 15 ans. Et nous étions déjà sus­pen­dus à ses chan­sons où la plus grande ten­dresse peut côtoyer l’étrangeté et par­fois même l’horreur. On pour­rait qua­li­fier cha­cune d’un vers de l’un de ses nou­veaux titres : « Chan­son qui n’a rien à voir »… Com­prend qui veut, qui peut. C’est un savant mélange de poé­sie d’un autre temps, une écri­ture nour­rie de la pro­so­die, des images de la tra­di­tion et d’une immer­sion dans nos rêves, nos cau­che­mars d’aujourd’hui. Car le poète, per­son­nage cen­tral de son concert, est celui qui dit ce qui dérange, qui fait face à « la folie des humains », même à l’apocalypse, mais « ne vit qu’avec ses ren­gaines », embar­ras­sé dans ses ailes de géant… Lui, le trou­ba­dour « marche trop légè­re­ment quand le monde court en boi­tant ». Alors for­cé­ment il est dans la marge… On le traite de « mau­dit gre­din, mau­dit Galure » enfin, c’est ce que dit la chan­son, car il pour­rait bien avoir le der­nier mot : « Gare à toi, vilain, vilaine, si tu ne paies pas le musi­cien… ! » C’est sans doute dans la toute der­nière chan­son du concert, en deuxième rap­pel, a capel­la, à deux pas du pre­mier rang, chaus­sures à la main, qu’il approche au plus près sa condi­tion de poète, de chan­teur méta­mor­pho­sé en arbre… A moins que ce ne soit lorsqu’il s’adresse aux enfants, lorsqu’il leur trousse une his­toire de pin­gouins, ou s’en prend bizar­re­ment aux trois petits cochons, une « chan­son d’horreur », lorsqu’il entonne une « chan­son idiote », celle des « pom­piers de Cher­bourg qui sont taillés pour l’amour »…

Mais ce soir si nous savou­rons la reprise de ses plus tou­chantes chan­sons – Ah cette der­nière feuille d’automne qui ne veut pas tom­ber ! – si nous décou­vrons, ravis, les nou­velles, on se régale tout autant de son récit de voyage. Depuis le pre­mier jour où il voit dans un couple ton­dant la pelouse (cha­cun sa ton­deuse, côté à côte !) « une belle défi­ni­tion de l’amour », jusqu’à la par­tie de domi­nos avec de veilles dames d’une mai­son de retraite, en pas­sant par la poule bap­ti­sée « Manu Galure », l’oiseau tom­bé du nid qu’il faut sau­ver d’une meute de chats, la bou­teille de cham­pagne dans les loges qui lui donne des airs d’Aznavour, l’évanouissement d’une spec­ta­trice – il s’est pris alors pour les Beatles ! – la ren­contre des chas­seurs : « Tirez pas sur le pia­niste ! » le pia­no cade­nas­sé au fond d’une l’église que des « païens » veulent trans­for­mer en lieu de culture…

Manu Galure, le trou­ba­dour des temps modernes, est de retour, avec des chan­sons écrites en mar­chant – ou pas – des images de coins de France dont lui seul gar­de­ra sou­ve­nir, de ses ren­contres ici et là. Si vous le croi­sez, deman­dez-lui de vous racon­ter et de chan­ter pour vous, à condi­tion que vous ayez des têtes d’oiseaux… ! Si, si !

Alors, Manu, raconte… Com­ment ça s’est pas­sé pen­dant qu’on t’attendait ?