Lise martin & Valentin Vander – Vladimir Vissotsky – 2019 (©Claude Fèvre )
1er février 2019, – Lise Martin & Valentin Vander, Chansons de Vladimir Vissotsky (autrement orthographié Wyssotski) adaptées en français
Presque un cri…
Avec
Lise Martin (ukulélé, chant) Valentin Vander (guitare, chant)
Adaptation : Lise Martin, Valentin Vander
Traduction : Anne-Pénélope Dussault
La Cave Poésie (Toulouse)
Vladimir Vissotsky était le comédien phare du théâtre de la Taganka à Moscou, inoubliable interprète d’Hamlet, grand acteur de cinéma. Mais il était aussi poète, chanteur, interdit de publication de son vivant, auteur de concerts clandestins dont les enregistrements passaient de main en main. Porte-parole officieux des peuples d’URSS, témoin remarquable de son époque, cet amoureux farouche de la vérité a mis sa sensibilité d’écorché-vif au service de la vie, l’aimant en dépit de son caractère tragique.
« Quitter la Russie ? Pourquoi ? Je travaille avec les mots, j’ai besoin de mes racines, je suis un poète. Sans la Russie, je ne suis rien, sans mon peuple pour lequel j’écris je n’existe pas, sans ce public qui m’adore je ne peux vivre, sans leur amour pour l’acteur que je suis, j’étouffe. Mais sans liberté je meurs ».
Avant que ne s’ouvre le Printemps des Poètes, dédié cette année à La Beauté, un duo éminemment emprunt de poésie et de beauté, a investi la Cave Poésie à Toulouse. Lise Martin et Valentin Vander, délaissant la petite scène du lieu, se sont installés dans une alcôve, dans cet espace jadis dédié à la cheminée, tapissée de briques rouges. Une petite table, un verre, une bougie, deux chaises… C’est sans sonorisation, en toute simplicité, authenticité, au plus près des spectateurs, parmi eux souvent, dans une dramaturgie précise, qu’ils offrent cette rencontre avec l’artiste russe Vladimir Vissotsky dont ils ont adapté les chansons.
Nous savons, nous français, si peu de choses de cet homme, acteur reconnu, disparu très tôt. Les plus anciens parmi nous savent qu’il fut le mari de Marina Vlady… Cette union lui permit de sortir de l’URSS, de se rendre en France, aux USA, au Mexique… On apprend qu’il enregistra même des chansons partiellement en français, adaptées par Maxime Le Forestier, mais dont il est vain de rechercher le CD, jamais édité. Lui qui fut aux prises avec la censure dans son pays, lui qui chanta clandestinement, fut pourtant accompagné par une foule immense, près d’un million d’admirateurs, lors de sa disparition ! Peut-on trouver meilleure illustration de la force incoercible des chansons ?
Quels que soient les détails de sa biographie, c’est assez pour avoir le désir de l’approcher, d’écouter ses mots, de se poser la question de son immense succès de chanteur malgré l’oppression… La réponse est sûrement dans ce concert, une bulle de lyrisme, de souffle de vie qui se bat, se débat, dans cette vie si peu amène.
Dès la première chanson au souffle épique, quand s’élève d’abord la voix forte, engagée de Valentin, rapidement rejointe par celle de Lise, dont on connaît le grain si singulier, on devine que la parole du poète sera tout, sauf lénifiante… Dans la beauté et la protection du lieu, il ne sera pas question d’oublier à quelle destinée notre humanité est soumise depuis la nuit des temps, depuis ces temps enfuis qui nous laissent mythes et légendes, comme celle de la ville de Troie. Et cette parole qui frappe durement, définitivement… « Les visionnaires, les inspirés ont en remerciement fini sur le bûcher…. Face à eux, face à Cassandre, « la foule inculte… »
L’écriture de ce poète, ce chanteur russe, a l’indéniable capacité d’exprimer puissamment la tragédie… Celle de la guerre, de la destruction. On entend le bruit des bottes, le « fracas des armes… un bruit sourd [qui] fait vibrer notre terre » et fait fuir les cigognes. On partage avec lui cette lettre d’abandon reçue dans la tranchée, « Ton papier me tue d’une balle en plein cœur »… On voit l’image saisissante de ce soldat « debout face au feu… et le vent [qui] balaie les restes d’un papier bleu… ». On lève la tête vers le ciel, vers « une pluie d’étoiles » qui cèlent les destins. On ressent l’immensité du vide de l’absence quand la nature immuable, l’eau, les forêts, seuls demeurent… Quand La fin du bal a sonné bien avant l’heure pour l’évadé qui jamais n’atteindra son but, pour le fruit tombé sans avoir pu mûrir. « C’est les oiseaux, jamais les balles, qu’on arrête en plein vol. »
Le poète chante, au mépris des « griffes acérées », en dépit de la « colère », des « couteaux » il est aussi messager du Beau, du Doux… Il en appelle à notre capacité à « construire… faire un pont de [nos] fardeaux au-dessus de la rivière ». Il en appelle à la reconnaissance pour la vie « Tu peux dire merci, tu es encore vivant… ». A se saisir de l’amour « Je respire, ça veut dire que j’aime, et j’aime, ça veut dire que je respire »… Malgré les terrifiants moments de doute, dans le sillage de Gaspard Hauser de Verlaine, ces moments solitaires où Rien ne va plus… « Pauvre de moi, mon outre est pleine à craquer… ». Malgré les rencontres inopportunes de ces vieilles hideuses, Malchance, Imposture, il chante la renaissance, la délivrance, le prix de l’amitié et de l’amour, ce sentiment capable de nous faire croire que l’ont peut bâtir « un palais de cristal », que « tout l’or du monde fleurira sur [nos] terres »…
On l’a compris, le poète sait le prix de la vie et la menace de la mort. En fin de concert, juste avant le rappel, Les chevaux indociles en offrent une puissante métaphore. Bouleversante supplique adressée aux chevaux qui « n’obéissent qu’à leur caprice », pour qu’ils ralentissent un peu, le temps qu’ils boivent un instant… Le temps de finir son chant, au bord du vide. Qui sait ce qu’il advient de nous ? La chanson de rappel, Les Navires, ceux qui « font escale puis reprennent la mer » ouvrent un espace d’espérance … « Je reviendrai aussi… Les rêves plein la tête et d’amis entouré… »
Surtout, surtout « je chanterai encore une fois ».