B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Fran­çois Puyal­to « 44 », 2020(© Aglaé Bory /​gra­phisme Tho­mas Gabison)

6 mars 2020 – « 44 »

sor­tie offi­cielle du nou­vel album de Fran­çois Puyal­to en vinyle, cd et digi­tal. L’al­bum alterne chan­sons nou­velles et revi­si­tées (Léo Fer­ré, Jacques Brel, Allain Leprest, Jacques Hige­lin, Barbara)

Avec
Fran­çois Puyal­to en solo (voix et basse) – Katel (chœurs)


Aujourd’hui même, 4 mars 2020, c’est le coup d’envoi au Théâtre Thé­nar­dier de Mon­treuil des quatre soi­rées qui fêtent la sor­tie de cet album sin­gu­lier de Fran­çois Puyal­to, sobre­ment titré « 44 ».

« 44 », titre comme une énigme à résoudre… comme un anni­ver­saire pour un auteur, un musi­cien par­ve­nu à sa matu­ri­té ? Une façon de sou­li­gner la marche de ses sai­sons où affleurent sans cesse de nou­velles aven­tures. L’artiste est pro­lixe, géné­reux, il se prête à quan­ti­té de com­pa­gnon­nages. C’est auprès de San­se­ve­ri­no qu’on le décou­vri­ra bientôt.

Cet album, c’est une halte. On regarde alors le visuel qui laisse à peine devi­ner le visage, pau­pières bais­sées, dans un nap­page de gris… Car il prend le temps. C’est un album de la len­teur et de la sobrié­té. C’est un « album – hom­mage » à cet héri­tage dont il ne sau­rait se défaire – Fer­ré, Brel, Leprest, Hige­lin, Bar­ba­ra – et de l’effort qu’exige la créa­tion nous dit –il dans la chan­son légère et ryth­mée « ça bloqueça coule pas du robi­net… ça cra­chote, ça ondule. » Car « les mots sont des ani­maux qui s’ébattent dans le trou­peau, libres et sau­vages »… On retrouve sous sa plume l’idée si sou­vent expri­mée par Bar­ba­ra confron­tée aux affres de l’écriture, « Faut que j’les dresse un peu »… Alors on aime que s’enchaînent ces deux chan­sons, Ca bloque et Dis quand revien­dras-tu, parole de femme amou­reuse et libre pour clore l’album.

Ain­si ces dix titres alternent reprises et créa­tions. C’est un entre­lacs que des­sine la voix calme et sereine sou­te­nue par la basse, en par­faite osmose, pro­lon­ge­ment intime de son esprit de son cœur et de son corps. Ces quatre cordes sont plus qu’un accom­pa­gne­ment, on devine une res­pi­ra­tion, une cadence vitale… Ah ! Ce grand mys­tère du couple, celui du musi­cien et de son ins­tru­ment. Dans cet album l’artiste s’est débar­ras­sé de tout le super­flu – ce qui peut dérou­ter à la pre­mière écoute et se savoure au fil des audi­tions – et fait ain­si la part belle au texte où s’invitent en fili­grane ses petits sif­fle­ments fami­liers sem­blables aux « la, la, la » aimés de Bar­ba­ra, et la grâce de la voix de Katel. C’est tout sim­ple­ment beau. Le jour­na­liste Patrice Demailly dit avec jus­tesse : « Fran­çois Puyal­to s’offre fra­gile et sin­cère, creuse le sillon de l’épure. »

L’atmosphère est à la déli­ca­tesse des sen­ti­ments que ce soit l’homme et ses amours fugaces dans la chan­son Sa der­nière ciga­rette, un Jacques Hige­lin qui semble lais­ser cou­rir sa plume, la ten­dresse fami­lière de Petite, son appel à pro­fi­ter du temps qui passe, la parole déli­cieu­se­ment mutine de l’amoureux dans Aller jouer dehors – on se laisse por­ter par une scène ciné­ma­to­gra­phique, où l’on devine dehors la pluie, le vent, le fra­cas de l’océan – l’effleurement de la dou­leur de l’absence dans Arrose les fleurs d’Allain Leprest, les ombres de la guerre, la malé­dic­tion qui pèsent par­fois sur les des­ti­nées, comme sur celle du pathé­tique éclu­sier de Jacques Brel… On admire bien sûr le défi d’interpréter l’immense et énig­ma­tique chan­son de Fer­ré La mémoire et la mer, la finesse toute par­ti­cu­lière de l’accompagnement de la basse qui ponc­tue une dic­tion par­faite, sans aucune emphase. Le texte en retrouve toute sa chair et sa saveur.

Enfin, on s’arrête volon­tiers sur deux titres qui font écho à notre brû­lante actua­li­té : le dépla­ce­ment irré­pres­sible des êtres humains sobre­ment évo­qué dans Cette ville : « Qu’est ce que tu veux faire dans cette ville… y poser tes paquets ? » Sans que jamais ne s’éteigne l’espoir de trou­ver sur son che­min un sem­blable, un frère pour tenir chaud… Enfin, impos­sible de ne pas évo­quer pour conclure Fai­seuse d’anges chan­son où la voix de Katel ampli­fie la por­tée des mots, l’interpellation de toute audi­trice et tout audi­teur – on l’espère bien !- « C’était toi la fai­seuse d’anges, la man­geuse d’hommes, la ton­due, la per­due, la gitane aux pieds nus… C’était toi l’Eve et la pomme, la fau­tive, la cre­varde, la renarde, la tor­due, la louve, la lionne, c’était toi… » Décou­vrir le cor­tège des mots, des noms avec en illus­tra­tion la suc­ces­sion d’images choi­sies et mon­tées par Robi pour le clip, c’est violent, dou­lou­reux, bou­le­ver­sant, … Et bien trop juste… Jusqu’à l’explosion finale ?