B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Damien Robi­taille– Le Bijou – 2020 (© Claude Fèvre)

11 février 2020, concert solo

Damien Robi­taille

Avec

Damien Robi­taille (pia­no, gui­tare, voix)


Le Bijou (Tou­louse)

Venir au Bijou ce soir là – en pleine menace de confi­ne­ment, en pleine « coro­na­pho­bie », est-ce bien utile de le rap­pe­ler – écou­ter un chan­teur qui a tra­ver­sé l’atlantique pour venir jusqu’à nous, c’est d’emblée opter pour l’insolite.

On ne dira jamais assez com­bien le spec­tacle vivant est un pré­cieux remon­tant. Quand, de sur­croît, il s’agit de Damien Robi­taille, c’est un concen­tré de vita­mines qui vous est admi­nis­tré. Et l’on n’hésite pas à se sai­sir de l’un de ses vers, de l’une des images qui peuplent ses chan­sons pour expri­mer cette sen­sa­tion de s’échouer « là où les rêves se jette dans l’océan »…

Disons d’abord que le chan­teur en solo a ravi­vé quelques sou­ve­nirs. Car il nous est appa­ru avec la même fougue, la même joie com­mu­ni­ca­tive et la même plume qu’en août 2006 où il avait rem­por­té le Trem­plin Décou­vertes de la 9ème édi­tion des Défer­lantes fran­co­phones de Cap­bre­ton. Impul­sé par le regret­té Mau­rice Segall, ce fes­ti­val met­tait à l’honneur les com­mu­nau­tés fran­co­phones du Cana­da, sur une jolie scène en front d’océan. C’était du temps de cette chan­son qu’il a inter­pré­tée ce soir « Porc‑é, porc‑é, porc-épic /​Une bête ben sym­pa, sym­pa sym­pa­thique /​Quand y’a des pro­blèmes, pas d’problème, je dresse mes aiguilles /​Per­sonne ne peut péné­trer ma coquille.. »

Ce prix devait aus­si le signa­ler aux Décou­vertes du fes­ti­val Alors Chante qui le pro­gram­ma l’année sui­vante… C’est l’occasion de rendre hom­mage à deux évé­ne­ments pareille­ment dis­pa­rus depuis.

Bien enten­du on ne sau­rait igno­rer d’où nous vient Damien Robi­taille. Son accent le dénonce. Mais on pour­rait tout aus­si bien y ajou­ter son enthou­siasme en scène, son rire, sa fran­chise… Il est ori­gi­naire d’un vil­lage de l’Ontario – dont il parle volon­tiers et dont il fit une chan­son en ses débuts, Lafon­taine – anglo­phone par sa mère et fran­co­phone par son père. De cette alliance naît une chan­son sur la dif­fé­rence : « Mon père est cana­dien, amé­rin­dien, fran­co­phone /​Ma mère est russe, alle­mande, amé­ri­caine, anglo­phone /​Et moi, je suis le résul­tat… » Eh oui, « depuis la nuit des temps, les humains se mélangent » !

Quelle chance nous avons eue qu’il ait fina­le­ment opté pour le fran­çais ! Car notre langue lui ins­pire une écri­ture bien savou­reuse qu’il accom­pagne au pia­no et à la gui­tare avec un entrain, une éner­gie aux­quels on ne sau­rait résis­ter. D’ailleurs, dès la troi­sième chan­son, l’une de ses pre­mières, pré­cise-t-il, Mètres de mon être, le public lui emboîte le pas. « Mil­li­mètres, cen­ti­mètres, kilo­mètres, je suis maître /​De mon être /​Et mon exis­tence est tou­jours en crois­sance ».

Car sous ses dehors de joyeux drille, sous l’habillage de rythmes entraî­nants et joyeux, affleurent des pen­sées et des réflexions graves. C’est sans doute aus­si ce qui fait l’originalité de ses chan­sons, leur touche sin­gu­lière. Dans sa fran­chise il avoue lui-même avoir une pré­di­lec­tion pour S.O.S extraite de son der­nier album paru en 2017, Uni­vers paral­lèles. Un récit – un conte – que nous avons beau­coup aimé aus­si… Le nau­fra­gé échoué sur son île dont une belle sirène l’arrache en vain : « Sans lon­gi­tude ni lati­tude /​Ensuite j’ai per­du le reste, échoué sur l’île déserte après l’o­rage /​C’é­tait l’nau­frage… Lais­sez-moi tran­quille… » Bien enten­du, l’amour le ques­tionne, le hante aus­si « J’veux pu m’réveiller /​J’te vois tout l’temps dans mon rêve récur­rent… » Dif­fi­cile par­fois même de trou­ver les codes d’accès « Je veux ramol­lir ton cœur de roche /​J’vais sor­tir ma langue de ma poche /​Trou­ver les mots qui nous rap­prochent /​J’veux te faire de l’effet, donne-moi le code secret »… Car la femme est « élec­trique »… Et quand « Elle n’est plus éprise, on se divise / J’dois me débran­cher de sa prise /​Son cou­rant est par­ti, je suis seul dans le noir /​Je n’ai plus l’habitude de cette obs­cure soli­tude /​Alors j’allume ma chan­delle et je vais pen­ser à elle… »

Pas trop de deux en effet pour faire face à la vie, au monde autour « Vois-tu les flammes qui nous entourent ? /​Où est la sor­tie de secours ? » À soi-même aus­si, à son « enne­mi ima­gi­naire » : « J’ai créé ce monstre, je n’peux rien faire contre /​J’ai peur de mon ombre, il m’pousse et je tombe /​Je lui tends l’autre joue, mais il me roue de coups… » Alors quel sou­la­ge­ment de chan­ter en chœur avec lui pour finir :

« J’ai plein d’amour à don­ner, plein d’amour /​J’ai plein d’amour à don­ner /​J’ai plein d’amour »