Claire Gimatt, Sorcières 2020 (© Photo Claude Fèvre – visuels Claire Gimatt et Jean Jadaud)
Claire Gimatt, Sorcières 2020(© Photo Claude Fèvre – visuels Claire Gimatt et Jean Jadaud)
Sorcières
Avec
Claire Gimatt (voix, chœurs) – Arthur Guyard (piano, claviers, guitare, basse) – Louis Navarro (contrebasse) – Chloé Bousquet (violon)
« Je songe parfois combien il me plairait, unifiant mes rêves, de me créer une vie seconde et ininterrompue, où je passerais des jours entiers avec des convives imaginaires, des gens créés de toutes pièces, et où je vivrais, souffrirais, jouirais de cette vie fictive » ? Fernando Pessoa, le Livre de l’intranquillité
« Je voudrais que la lecture de ce livre vous laisse l’impression d’avoir traversé un cauchemar voluptueux. » Fernando Pessoa, Le Livre de l’intranquillité.
Voilà ce qui pourrait se dire, s’écrire de cet album au goût étrange et sans doute aussi du concert de Claire Gimatt, seule avec son clavier, ses samplers, vous enveloppant dans sa voix au grain très singulier, aux accents d’orient, dans sa gestuelle de fée – de sorcière ?- dansante… Le texte de Fernando Pessoa imaginant une vie seconde, une vie de rêve figure aux côtés de la chanson Dans le noir. Une invitation : « Poussez-vous de la lumière… « Affûtons nos regards /Essayez donc pour voir /de derrière le rideau /peut-être qu’on pourra se voir /dans le noir »… » Un appel à plonger dans une autre dimension, celle de l’irréel, de l’imaginaire, d’une vie seconde. C’est précisément ce qui sert de fil rouge à cet album aux dimensions artistiques nouvelles.
Essayons de vous emmener dans cette découverte tactile, visuelle et sonore.
L’objet que vous avez dans les mains n’a pas des dimensions ordinaires : une pochette carrée d’un peu plus de 18 cm de côté. A l’intérieur, dix cartons du même format. Au recto une image empruntant aux éléments naturels, eau, ciel, rochers mêlés à des représentations insolites et à des silhouettes de la chanteuse. Le titre éponyme Sorcières offre l’image globale d’un puzzle, insérant les neuf autres. Au verso, vous trouverez le texte du titre, un QR code afin de pouvoir télécharger la chanson, deux encarts, « votre message » et « destinataire » pour faire de ce carton une carte postale… Une façon très originale de partager des chansons, vous en conviendrez. Outre l’esthétique de l’ensemble, cet album est un appel à faire voyager les chansons, à les partager en usant d’une technologie toute récente mêlée à la tradition du courrier postal…
Voilà pourquoi ce premier album est à la croisée des Arts.
Il en appelle à la lecture, la relecture de Fernando Pessoa, à la création d’images, à l’aventure musicale et poétique en écho à la peinture surréaliste de Dali. L’image de couverture de l’album est un plongeon vertigineux de la chanteuse en direction d’une île au milieu des flots… Plongeons avec elle, comme dans un tableau de Dali, nous dit le premier titre scandant « Hey je m’en vais »… Nous voici « à califourchon sur le dos /de l’aigle au dessus- des eaux… » Maintenant tout peut advenir… Dans des atmosphères aquatiques et nocturnes, où le feu et l’eau peuvent se marier, les rencontres tiennent du merveilleux des contes et des récits les plus anciens. On verra un vieil orme s’arracher de terre, s’enfoncer dans la nuit avec, à sa suite, une blanche silhouette, en entendra le chœur des pleureuses qui pourraient bien chasser les mauvais esprits… On suivra l’aviatrice « qui survolait le monde/Loin des odeurs et du bruit », l’épopée de Marine à la chasse au monstre, au Kraken… Marine « spectrale, carnassière », terreur des matelots, des pêcheurs, des corsaires… L’inquiétante baronne déchue qui « hante le manoir, impasse de l’infortune »… On verra apparaître « Un joli brin de fille /au gilet rouge sombre /sur une robe brune /dans une rue obscure … » un joli grain de nuit… Il ne vous aura pas échappé que ce monde là est habité de femmes étranges, diablesses expertes en ensorcellements, en magies et mystères… Alors, pas surprenant que le titre éponyme de cet album soit Sorcières où apparaît celle qui pourrait bien ôter le maléfice dont est frappée la chanteuse : « Un mage et un roi /m’ont ôté la voix »… Car il paraît que c’est un crime de danser, chanter à tue-tête !!
Ce titre aurait donc une portée inattendue au moment de sa parution, au moment où se rassembler pour chanter, danser est considéré comme une menace, un danger. Osons, comme dans la dernière strophe ces mots : « sans s’en faire plus que ça /entre leurs doigts nous glissons /et s’ils nous attrapent /même sur le bûcher nous chanterons. » Paroles de sorcières !