Hélène Piris,  Non mais on  va s’en sortir, 12 mars 2021 (©Frédéric Bobin / Artwork Neomme Bruno)

Hélène Piris, Non mais on va s’en sor­tir, 12 mars 2021 (©Fré­dé­ric Bobin /​Art­work Neomme Bruno)

12 Mars 2021, De clip en clip

« Non mais on va s’en sortir » 

Avec

Hélène PirisNon mais on va s’en sor­tir, album épo­nyme, réa­li­sa­tion Auré­lien Mariat

Kel­ka, J’aime la chan­son de ma ville, réa­li­sa­tion Osca­ri­to Cas­tro, extrait du pro­gramme Aleph résiste, épi­sode 9 (Théâtre Aleph d’Ivry- sur- Seine)

Pau­line Paris, Chan­son pour mon ombre, réa­li­sa­tion We are the good chil­dren, Livre disque Treize poèmes de Renée Vivien, édi­tions Ero­sO­nyx 2019

Jean­Cris­tophe /​Jean-Chris­tophe Che­ne­val, Que sombrent les hommes, EP, réa­li­sa­tion Cédric Defert, danse Yohann Baran

Carole Mas­se­port, en duo avec JP NatafEn équi­libre, album épo­nyme – des­sin, ani­ma­tion, réa­li­sa­tion : Mickaël Ter­raz

Jérôme Pinel, Les avions, EP La valise d’Habib, réa­li­sa­tion Guillaume Carayol /​Re-créa­tions du Pourquoi


« Non mais on va s’en sor­tir /​Un jour /​Les chefs d’état ils vont enfin se réveiller/​Ils vont reprendre leurs droits/​Et ils vont foutre en cabane /​Les ban­quiers et tous les Tra­ders /​Les Mon­san­to et les Bayer /​Les ven­deurs de petites sœurs »

« Fal­lait pas l’énerver », c’est elle-même qui le dit. Qu’est-il donc arri­vé à Hélène Piris, à la chan­teuse yeux bais­sés sur la pochette de son album de 2017 ? Nous avions com­men­té alors les chan­sons, un bel hom­mage à l’amour, ses airs de sam­ba, bos­sa, ses bal­lades où elle pro­me­nait déli­cieu­se­ment son vio­lon­celle. C’est en scène aux côtés du gui­ta­riste Oriol Mar­ti­nez Codi­nachs, un jour où elle tes­tait ses chan­sons auprès du public du Théâtre du Grand Rond à Tou­louse que nous l’avions sen­tie prête à s’encanailler… C’est aus­si de ce côté-là qu’elle pen­chait avec TagadT­sing, qua­tuor vocal paro­dique. Et la voi­ci ce 12 mars explo­sant lit­té­ra­le­ment de colère et de fan­tai­sie mêlées. Effets conju­gués des mesures anti-Covid, des confi­ne­ments et couvre-feu, des pri­va­tions de concerts ? Sans doute l’accompagnement du Label lyon­nais Neômme n’y est-il pas pour rien… Tou­jours est-il que ce clip du titre épo­nyme d’un album à venir, Non mais on va s’en sor­tir, signe un choix pour une langue qui n’y va pas par quatre che­mins. Hélène Piris règle ses comptes à notre monde fou­traque et incite vive­ment à ne pas en res­ter là : « Alors viens on s’bouge le cul /​C’est bon pour les fes­siers /​La Pla­nète et l’humanité ! » Quant aux images sur fond car­ré­ment jaune, elles nous offrent le tableau d’un trio de musi­ciens en plein délire. Hélène tota­le­ment déjan­tée, maquillage outran­cier, gri­maces, joue du vio­lon­celle debout et pro­met une ère nou­velle « sans aucune chasse aux sor­cières /​Sans des­truc­tion de notre Terre… » si on veut bien s’y mettre et si on résiste aux forces contraires. Car elles ne manquent pas de sur­gir sous les traits de deux huis­siers, cam­pés – tenez-vous bien – par Amé­lie –les Crayons et Fred Radix !! La scène a tout du ciné­ma bur­lesque, au vieux temps du muet, appuyée musi­ca­le­ment par l’irruption des cuivres. Trom­pette, saxo­phone, trom­bone y mettent du leur ! C’est éner­gique, joyeux, fan­tasque et le mes­sage est par­fai­te­ment clair.

Il nous a sem­blé que nous avions besoin de ces cou­leurs, de cette cha­leur com­mu­ni­ca­tive, de ces rythmes pour secouer notre apa­thie, notre ten­ta­tion du repli.

C’est aus­si l’effet pro­duit par J’aime la chan­son de ma ville, l’enregistrement vidéo – pas vrai­ment un clip donc – de Kel­ka, en plan fixe, enca­drée par ses « hommes » – au sens où le disait Bar­ba­ra – Fran­çois Col­lom­bon et Paul But­tin. Le trio est fil­mé au théâtre Aleph d’Ivry-sur-Seine dans le cadre de son pro­gramme « Aleph Résiste ». Sur fond rose cette fois, ce sont d’abord des per­cus­sions cor­po­relles. Puis sur un ton enle­vé, léger, Kel­ka déroule les bruits plai­sants de la ville, tout ce qui en fait sa musique sin­gu­lière, de péta­rades en cris­se­ments, les voix échan­gées, leur cres­cen­do, les poèmes sur les murs, les lumières… Jusqu’à ce qu’elle marque un arrêt bru­tal et dénonce un refrain qui n’a rien de plai­sant, qui don­ne­rait même la nau­sée : sif­flets, miau­le­ments, mots et bruits divers du har­cè­le­ment de rue… « Hé made­moi­selle, t’as d’belles jambes, tu sais… Hé, tu t’retournes quand j’te parle ? … Avec ta tenue tu l’as bien cher­ché »… Bref, on connait tout de ce refrain, hélas… Ce qui était léger, allègre devient mena­çant, inquié­tant. La gui­tare et les per­cus­sions cor­po­relles sou­lignent ce chan­ge­ment bru­tal de ton. Disons-le, cette vidéo, l’accompagnement sonore dépouillé, et sin­gu­liè­re­ment effi­cace, l’interprétation de Kel­ka qui bas­cule de la joie à la colère et à l’angoisse délivrent un mes­sage essen­tiel : le har­cè­le­ment de rue prive une bonne par­tie de la popu­la­tion de la joie que pro­cure la ville. Une atteinte à la liber­té dont per­sonne ne s’est offus­quée pen­dant si long­temps et qui prend fin avec le vieillissement…

De clip en clip, il est bon de s’offrir l’évasion. Pau­line Paris, entou­rée de très près par deux hommes, Rafael Leroy à la basse et Dun­can Roberts à la gui­tare, nous en offre l’occasion de si belle façon avec le clip de Chan­son pour mon Ombre extrait du livre-disque Treize Poèmes de Renée Vivien. L’album super­be­ment illus­tré des des­sins éro­tiques à l’encre noire d’Éli­sa Frantz a été salué en 2020 par un « Coup de cœur » de l’Aca­dé­mie Charles Cros.

L’évasion est ici mul­tiple… L’image légè­re­ment sépia, nous trans­porte dans le Paris de la Belle époque, grâce au décor du Bouillon Julien au Fau­bourg Saint-Denis à Paris, perle de l’Art Nou­veau, dont nous aper­ce­vons la beau­té : l’éclairage, les mou­lures, les fresques. La chan­teuse tra­ves­tie en homme y rejoint donc la poé­tesse les­bienne, – celle que l’on sur­nom­mait « Sapho 1900 » ou « La muse aux vio­lettes » – telle qu’elle appa­raît sur une pho­to­gra­phie de 1900 signée Otto Wege­ner, tout en offrant une moder­ni­té inat­ten­due à la tra­di­tion de la mélo­die fran­çaise, celle des poèmes mis en musique. Le poème de fac­ture clas­sique avec ses octo­syl­labes prend une teinte nou­velle sous la voix de Pau­line qui dit le poème, puis le chante accom­pa­gnée d’un tem­po régu­lier, du son des gui­tares. C’est une déam­bu­la­tion étrange « Mon ombre marche à pas de louve, /​droite et longue comme un cyprès » dans un décor où plane le mys­tère, la menace « Lorsque je vais, por­tant ma gerbe /​Vers l’allée où gîtent les morts ». En résu­mé ce clip est un hom­mage à une poé­tesse notoi­re­ment amou­reuse de la musique, dis­pa­rue très jeune, à une époque où s’affirmèrent les amours fémi­nines. Une relec­ture d’aujourd’hui d’une poé­sie nour­rie d’un roman­tisme que l’on pour­rait croire oublié et que Pau­line Paris ravive. 

La déam­bu­la­tion presque spec­trale que nous venons de voir et d’entendre, n’est sans doute pas si éloi­gnée du clip mélan­co­lique de Jean­Cris­tophe, Que sombrent les hommes. Pour­tant ici nous sommes loin de la ville. C’est d’abord une image d’immensité, l’étendue de sable et l’océan. Deux hommes sur cette plage : l’un marche, l’autre danse… La camé­ra s’insinue entre les poteaux, s’arrête sur le flux et le reflux des vagues tou­jours recom­men­cées, sur l’eau qu’aspire le sable… C’est le regard de l’homme qui marche. Il a des yeux d’un bleu qui vous trans­perce… « Et seul face à la mer /​Je broie du sable /​Et j’ai envie d’irréparable /​Que sombrent les hommes /​Ces bêtes que nous sommes »… Et pour­tant de cette haine pour l’homme jaillit l’espérance… Serait-ce là, tout près, l’homme qui danse ? « Sou­dain des vagues de mon songe /​Emerge nu un ange ». On s’arrache dif­fi­ci­le­ment à la fas­ci­na­tion qu’exercent la musique et les images de cette immen­si­té, de ce regard d’homme, seul face à la mer.

Il y aurait aus­si quelque chose d’hypnotique dans le clip En équi­libre de Carole Mas­se­port (titre épo­nyme de l’album qui vient de sor­tir)  en duo avec JP Nataf (Les Inno­cents). Le réa­li­sa­teur Michaël Ter­raz s’est amu­sé, dit-il, en asso­ciant le des­sin et l’animation aux images fil­mées. Les pre­mières images sont celles d’un doux échange amou­reux. La camé­ra, confi­dente, caresse le haut des bustes, la peau paille­tée de minus­cules pépites dorées, les visages en gros plans, … Elle et lui sont dos à dos. Elle et lui apai­sés. … « Après tant d’années à s’apprendre…On est en équi­libre, nos vies en poin­tillés… On ne prend pas de ride à s’aimer… Si c’était à refaire, Si c’était à refaire, je le refe­rais… » Sou­dain les images illus­trant les paroles sont celles d’un des­sin ani­mé où l’oiseau se mue en corps de femme ou en corps d’homme, libre, infi­ni­ment libre… Belle élé­gie amou­reuse que ce clip qui dif­fuse une séré­ni­té à laquelle nous échap­pons le plus souvent. 

Enfin on ter­mi­ne­ra cette incur­sion dans quelques clips récem­ment parus avec celui de Jérôme PinelLes Avions, accom­pa­gnant la sor­tie de son der­nier EP. Voi­ci que, dans cette chan­son, le ciel où les trai­nées blanches des avions « des­si­nant d’étranges plans, d’étranges lettres », est le lieu d’une confron­ta­tion entre rêve­rie et réa­li­té. « Où vont-ils ces avions qui crayonnent l’horizon… des enfants ? » Des tableaux se suc­cèdent, celui de l’écolier fuyant l’œil du maître en rêvant, celui de l’enfant qui s’agrippe à sa mère et scrute ce ciel d’où peut faire irrup­tion la tra­gé­die, mais aus­si les vivres ou les secours… La camé­ra ne cesse de tour­ner autour du chan­teur qui appa­raît d’abord assis, bras bal­lant de part et d’autre d’un gros fau­teuil de cuir. On ne peut pas ne pas son­ger à l’Albatros de Bau­de­laire « ces rois de l’azur, mal­adroits et honteux/​Laissent piteu­se­ment leurs grandes ailes blanches /​Comme des avi­rons traî­ner à côté d’eux. » … Au fil de la vidéo il joue­ra de son envie de voler, avec un clin d’œil insis­tant à l’enfance qui joue à la guerre, au pilote, à Mickey… On aime­ra la pré­sence du mobile de la chambre à cou­cher des enfants, l’oie sau­vage de bois qui bat des ailes, celle qui emporte Nils Hol­gers­son… Une fois encore, Jérôme Pinel nous séduit et la réa­li­sa­tion de Guillaume Carayol sur le plan­cher d’une scène, devant un rideau noir a de quoi nour­rir notre ima­gi­na­tion et notre désir de grands espaces… L’image de fin offre une heu­reuse sur­prise : l’oiseau du début, ce « prince des nuées », finit par prendre son envol…et nous avec lui.