Alexis HK, Comme un ours, 2018 (© Pierre Leblanc)
5 octobre 2018 – Comme un ours
Sortie de l’album
Avec
Alexis HK (textes sauf Le Cerisier dont son père est l’auteur, musiques, guitares, banjo, ukulélés, contrebasse, percussions…)
et Sébastien Collinet pour la coréalisation, les programmations.
L’homme est seul, habillé d’un costume pour les plus grands soirs. Il fait face à un ours. Étrange tête à tête de silhouettes noires qui se détachent sur un fond bleu gris. L’ampoule au plafond, la table et la chaise en formica, le chandelier, les flûtes de champagne et la porcelaine font un ensemble dissonant. Voilà l’image qui nous accueille et nous parle d’abord de ce nouvel album d’Alexis HK, Comme un ours. Image puissante de solitude. Image d’une confrontation avec soi-même ? Image d’un antagonisme, une distorsion, « en apesanteur entre les deux hémisphères », comme le dit la chanson éponyme ?
Cet album propose une immersion dans un monde intérieur, une pensée mise en mots simples – ceux des âmes humbles – une pensée qui se heurte au pire et atteint le sublime. Cette création pourrait bien nous consoler tant elle est nourrie de nos ressentis les plus intimes pour peu que l’on ait perçu un jour ce sentiment d’être « tout étroit dans [sa] liquette, égaré sur la planète. »
L’artiste met donc son plus beau costume, habille ses mots d’une musique le plus souvent minimaliste, les assemble avec art, « porté par des idées célestes, des pensées de goélette ». Dans la valse lente du titre Porté, on partage enfin cette sensation d’apesanteur, de douceur à se laisser entraîner « par le vertige indécent, caressant les lignes de ton corps indolent, docile et brûlant. » Mais il a fallu en traverser de sombres réalités, d’obscures pensées, « des baffes à l’âme et des coups bas » pour en arriver là.
C’est très précisément cette traversée, de la brutalité du réel à l’écriture, à la création « qui approche le secret des choses », que nous propose Alexis HK.
L’album commence avec ce portrait de deux solitudes – « Il engueule ses glaïeuls comme si c’était ses enfants … Elle console son aïeul comme s’il était vivant » – auxquelles il donnera dans le clip le visage de Zaza Fournier et Benoît Doremus. On notera le glissement subtil vers l’interpellation adressée à l’auditeur… Ne sommes-nous pas, chacun, chacune, à notre manière comme ces « âmes seules ici-bas » ? Ne sommes-nous pas confronté-e‑s à nous-mêmes, réduits à notre errance, notre désarroi quand il nous faut affronter la violence et la peur, quand nous sommes brutalement réveillés de notre torpeur « à coups de Kalachnikov » comme ce vendredi 13 novembre 2015 ?
Les textes d’Alexis HK, s’ils nous montrent parfois une humanité glaçante, comme dans La chasse ou Les pieds dans la boue ne se limite jamais à un point de vue manichéen. On partage avec lui sa compassion pour les démunis, les faibles, pour ce « peuple offusqué » dont nous sommes parfois. Face au chaos, face aux infortunes, comment vivre, survivre ?
Si les cinq premières chansons de l’album montrant les dangers du fanatisme, du racisme – et même du refuge dans les sucreries ! – nous confrontent à nos réalités désespérantes – que symbolise si bien cet ours menaçant du verso de la pochette– toutes les autres chansons s’attachent à la beauté, à la tendresse. A l’amour… Et même le titre Marianne qui rassemble « les heures douces devant les terrasses bondées de bière rousse », la présence d’une Marianne, douce amie, légèrement mélancolique et inquiète ce jour là puis, brutalement, le sang, les cris et la douleur « que rien n’efface, qui nous mutile ».
Certains titres évoquent clairement l’univers de Pierre Perret, tout en humour et tendresse… Je veux un chien … « C’est ton copain, il fait pas les choses à moitié, c’est vrai, ça sert à rien, mais… » Ou bien La fille à Pierrot, cette « beauté en fleur… On n’ose pas contempler son chignon de peur qu’il se détache et s’attache au fond du cœur »… Ou bien encore cette lettre bouleversante d’un père à son fils, Salut mon grand, « Je ne suis pas en train d’écrire tout un roman, mais quelques pensées douces au mec que m’a donné ta maman »… En somme la parade contre la colère et la violence, c’est l’amour… « La grande secousse à nos âmes égarées »… Et même si le monde va mal, il faut relativiser, écrit avec bon sens le « papounet » : « Vivre de nos jours c’est au moins aussi moelleux que d’être un gueux en 1381 ».
Avant que la mort ne nous délivre de tout et même de la douceur d’aimer, « avant d’aller voir si c’est beau vu d’en bas ou de là –haut… Entre deux diables ou deux anges nus », avant d’aller retrouver ceux et celles qui nous ont devancés – qui sait ?- laissons –nous aller à savourer « la « mécanique universelle » du vivant, celle qui fait refleurir au printemps le cerisier qu’un obus de la guerre avait plié.
« Il est doux le temps des cerises et sa douceur me rendra fou. »
** Je découvre, amusée et ravie de la coïncidence, que Flavie Girval dans le numéro 9 d’Hexagone a donné ce même titre (emprunté à la chanson Porté) à son entretien avec Alexis HK.