Amélie-les-crayons, Mille ponts - juin 2017 (© Samuel Ribeyron)

Amé­lie-les-crayons, Mille ponts - juin 2017 (© Samuel Ribeyron)

23 juin 2017 – Amé­lie les Crayons, Mille Ponts

Sor­tie de l’album

Avec Amé­lie-les-crayons (textes et musiques – sauf Un Enfant (Amé­lie-les-crayons/­Thier­ry Cha­zelle), voix, pia­no, per­cus­sions, gui­tare, chœurs, brui­tages, pieds), Oli­vier Longre (gui­tares, per­cus­sions, har­mo­ni­ca, cla­ri­nette, flûtes, chœurs, brui­tages, pieds), Bruz (per­cus­sions, brui­tages, trai­te­ments), Quen­tin Alle­mand (marim­ba, bugle, per­cus­sion), Oli­vier Kik­teff (gui­tares, vio­lon­celle), Guillaume Faure (ban­jo), Sébas­tien Quen­cez (uku­lé­lé, cajon), Guillaume Cla­ry (accor­déon, bodh­ran, flûte), Noé­mie Lacaf (chœurs, pieds).
Autres pieds, brui­tages : Char­lotte Jac­quot, David Char­rière, Awen le Faou, Kali­na, Mer­lin


Aux pre­mières heures de l’été, quand la Fête de la musique a lais­sé ses effluves, son haleine brû­lante, voi­là que vous arrive un album comme un souffle d’air frais.

Il est blanc, juste illus­tré de traits de crayons pas­tel. La cou­ver­ture offre l’image d’une fille accrou­pie à tête d’oiseau de pro­fil, bras écar­tés comme pour mieux s’envoler ou dan­ser. Des petites plumes – des feuilles ? – s’envolent. Les lettres majus­cules « AMÉLIE – LES – CRAYONS » tra­versent le des­sin et le titre Mille ponts d’un gris pâle se devine à peine. À l’intérieur, le livret n’est qu’une seule page de papier gla­cé, pliée au for­mat car­ré de la pochette. Le gra­phisme du fidèle Samuel Ribey­ron offre tou­jours, dans les mêmes tons de dou­ceur, les branches d’un arbre où s’est per­chée une ribam­belle de per­son­nages à corps de gar­çons et de filles et à têtes d’animaux : renard, hibou, cerf, san­glier, singe, chat, chien, anti­lope… et l’oiseau de la cou­ver­ture. Tout ce petit monde semble devi­ser gen­ti­ment, joi­gnant le geste à la parole. Image sym­bo­lique d’une éva­sion dans un monde, entre enfance et uto­pie, un monde paci­fié où sont abo­lies les dif­fé­rences. Les textes des chan­sons en capi­tales sont au dos de la feuille. Cha­cun porte une cou­leur, un colo­riage du titre et le regard s’y pro­mène déjà avec délec­ta­tion. Les tout pre­miers mots sont : « Quand tu délaces mon corps /​C’est long /​Quand tu dégrafes mes crocs /​J’sais plus /​depuis com­bien d’heures on y est »… Hé bien, nous allons prendre le temps… Prendre le temps de lais­ser les chan­sons, les textes et les musiques s’emparer de nous, « lais­ser le chant au chant /​pen­dant qu’on s’apaise len­te­ment »…

La sin­gu­la­ri­té de cet album c’est que les chan­sons ont pris nais­sance dans le rythme, la pul­sion. Comme autant de cœurs bat­tant la mesure. Tous les musi­ciens sont invi­tés à frap­per des pieds comme si de cette per­cus­sion cor­po­relle tel­le­ment simple, tel­le­ment natu­relle, de ce contact avec le sol, s’élevait une force vitale, tel­lu­rienne. Celle qui est à la source de la crois­sance de la plante, de l’arbre, celui qui tend ses branches à tout ce bes­tiaire des­si­né, « tous ces vivants sau­vages /​aux mul­tiples visages… la grande famille des vivants. »

On est trans­por­té aux sources mêmes de la vie. C’est la force de Mille ponts. Avec ces ins­tru­ments « pre­miers », qui collent à des pay­sages, des pays, des musiques des mondes, avec le uku­lé­lé ou le ban­jo, avec le bodhrán irlan­dais, avec le cajon ou le marim­ba, avec la gui­tare folk ou slide, avec l’harmonica, avec ces musiques et ces danses ori­gi­nelles qu’ils sug­gèrent, les textes, eux, nous appellent à des réflexions pro­fondes. Exis­ten­tielles, essentielles.

Lais­sons-nous prendre par la main car l’artiste, celui qui « danse aux cieux, aux esprits et à la force » est celui qui « prête main-forte ». Car bien sûr, nous le savons, « la terre n’est pas si ronde ». Qu’on le nomme l’ermite ou le cha­man, il est sur­tout « le ter­rien »… Il est celui qui « chante de toutes ses forces et mille ponts se font » ! Au fil des chan­sons se des­sinent de minus­cules points qui iront se rejoi­gnant, qui tra­ce­ront le che­min qui se fait en mar­chant. Amé­lie chante de sa voix claire et lim­pide qu’elle valse au bal des vivants. Elle raconte, esquisse plus qu’elle ne décrit : l’attente « au bord du che­min creux », l’entrée dans la danse, dans « un tableau géant » où nous sommes tous ras­sem­blés. Sur le plan­cher cha­cun de nous laisse « une marque écrite ».

Elle danse Amé­lie et frappe, frappe le sol, ins­pi­rée, por­tée par d’autres pas, d’autres âmes. Ils ont lais­sé en elle leur empreinte indé­lé­bile. Traces de guerre, force, beau­té et larmes mêlées, comme cet enfant, « une plume dans la boue », comme Lalei­na, qui « porte une robe à volants, un talis­man et sa voix » – elle res­semble étran­ge­ment à Amé­lie dans sa soif de liber­té, sa légè­re­té – comme cette mys­té­rieuse Madame, à laquelle elle reste liée par un lien, un fil indes­truc­tible. Et puis, com­ment ne pas citer Le secret ? Chan­son bou­le­ver­sante de la fille ren­due au che­vet d’une mère prête à s’envoler, à qui elle fait une ultime confi­dence. Elle a trou­vé enfin « la clé de l’Eden » : en elle-même.

Si l’on ne sait pas dan­ser, si la bouche est trop petite ou les mots trop gros, alors on invente. On donne forme à ses rêves… Cet album est une invi­ta­tion puis­sante à aimer la vie. « C’est la vie, c’est l’espoir /​Et la lumière /​qui m’accrochent à mon port. » Les obs­tacles ne manquent pour­tant pas sur cette terre mais quoi qu’il advienne, même le pire – même plus d’arbres, plus d’eau, plus d’oiseaux – cette vie-là, sur « ce tas de cailloux », est son pays. Celui de tout homme. Même dans La pou­drière, « sur le bord du cra­tère brû­lant /​Des vol­cans »… On mar­che­ra ! Et l’amour se moque bien des dif­fé­rences, « Toi le chien, Moi le chat… Pour s’embrasser c’est pas com­pli­qué /​C’est deux bouches /​Pour le même baiser…

N’allez sur­tout pas croire à un opti­misme béat, Amé­lie n’ignore rien de nos limites, de nos erreurs « Nous ne ver­rons pas /​Ver­rons pas plus loin /​Que le bout de nos pieds ». Mais son cre­do c’est « l’amour, des grandes idées en fleur et en bou­ton »… Et sur­tout, sur­tout « nos chan­sons et tou­jours des voix /​Des voix qui les chan­te­ront. »

L’album se referme sur une évi­dence qui ferait taire toute ten­ta­tion de repli, d’isolement, d’exclusion ou d’orgueil :

Tout dans tout une pous­sière /​Un bout de l’univers