Art Mengo et Julie Oz, un élégant pas de deux (©Claude Fèvre)

Art Men­go et Julie Oz, un élé­gant pas de deux (© Claude Fèvre)

29 avril 2016 – Voix de femme(s)

Art Men­go (pia­no, gui­tare, chant), Julie Oz (chant), Akim Bour­nane (contre­basse)

Auditorium de Saint-Pierre des Cuisines (Toulouse)

« L’impudeur est vul­gaire et je n’ai pas envie d’être impu­dique. Je suis gêné par la souf­france décrite au pre­mier degré, par exemple. Mais ça ne m’empêche pas de par­ler de la dou­leur. Ma per­son­na­li­té de chan­teur est de toute manière un para­doxe : ce métier consiste à se mettre en avant alors que je suis plu­tôt réser­vé ; il faut livrer son inti­mi­té à tout le monde en espé­rant qu’elle ait quelque chose d’assez uni­ver­sel et ne montre pas trop de soi. Je crois que c’est une édu­ca­tion de déra­ci­né qui ne veut pas gêner, qui rêve de s’implanter quelque part sans faire de vagues. J’ai tou­jours – et mal­gré tout – la sen­sa­tion d’être accueilli en France comme dans un pays d’emprunt, ce qui explique sans doute cette pudeur dans tous mes comportements. »

Art Men­go répond à Ber­trand Dicale à l’occasion de la sor­tie de l’album Sujet libre (Le Chant du monde-Har­mo­nia Mun­di) 2009 

« C’est beau ici » s’exclame Art Men­go, à peine arri­vé face au public qui l’acclame déjà. C’est vrai, ce lieu char­gé d’Histoire, ces voûtes que les lumières vont habiller, au gré des mor­ceaux, d’ambre, de rouge ou de bleu, sont un écrin pour la musique. Une chance aus­si pour les spectateurs.

Il est arri­vé sou­riant, a bal­bu­tié quelques mots, a posé la main sur son cœur pour saluer avant de rejoindre le pia­no. Il entonne main­te­nant L’amour codé, C’est un quinze août en février /​Ton che­mi­sier débou­ton­né /​C’est ce par­fum dans tes che­veux /​C’est quand il pleut sur nos adieux…

Cha­cun et cha­cune peuvent se lais­ser aller à cette dou­ceur qui se répand, s’évader dans des sou­ve­nirs char­mants, des images au plus intime, ber­cés par la voix, son grain sin­gu­lier, ses éra­flures, recon­nais­sables entre tous. On pense au pou­voir unique de la chan­son quand elle a gagné d’être qua­li­fiée de « popu­laire » c’est-à-dire de ras­sem­bler, d’offrir le par­tage à des mil­lions de per­sonnes qui fre­donnent en chœur. Bien enten­du, on se délec­te­ra de ces ins­tants de fin de concert où le public reprend avec lui la chan­son « qui a accou­ché » d’Art Men­go – c’est lui qui le dit – Je t’ai tant aimée /​Que mon corps est pétri /​Des par­fums de sa vie /​Moi je l’ai ado­rée /​Ado­rée /​Que mon corps est pétri /​Des par­fums de sa vie…

On ne sau­rait aller plus avant dans l’évocation de ce concert sans saluer Akim Bour­nane, son sou­rire, l’accompagnement de sa contre­basse, sou­vent mise en avant et sur­tout la grâce de la chan­teuse belge Julie Oz : voix de femme, ô com­bien cares­sante, pour reprendre par­fois seule, par­fois en duo, ces chan­sons jadis offertes à Jane Bir­kin, Juliette Gre­co, Cla­ri­ka, Mau­rane, Ute Lem­per… et fina­le­ment dérou­ler ce fil, comme un leit­mo­tiv dont on n’aura jamais la note finale : De quoi c’est fait l’amour /​De quelle matière /​Du coton du velours /​Du papier d’verre /​Y a un ruban autour /​De quoi ça a l’air /​C’est pas du solide, cette affaire…

Cette soi­rée, ce concert, « entre deux », en atten­dant le stu­dio et l’enregistrement d’un nou­vel album, c’est un moment aus­si de retrou­vailles avec ses propres chan­sons, sur­tout pour ne pas perdre le contact avec le public, avec le vivant. On retien­dra les ins­tants sus­pen­dus de beau­té et de rêve de Pour vous aimer sur un texte de Marie Nimier et Jean Rouault, ou bien celui de Ultra marine : C’est comme un goût de sel sur fond bleu /​Quand on regarde le ciel en mieux /​Envie d’aller au gré des cou­rants /​Déri­ver, chan­ger de conti­nent… Le public de Tou­louse aura appré­cié aus­si le salut au « patron », à Claude Nou­ga­ro – à Paris, on dirait Hal­li­day ou Azna­vour, plai­sante-t-il – Mon­sieur Claude « qui nou­ga­ronne intra – murs roses ».

Nous avons assis­té à un très élé­gant pas de deux, non sans légè­re­té et humour. Art Men­go paraît avoir le cœur à la blague ce soir, comme s’il vou­lait se pro­té­ger du poids de son suc­cès qu’il rela­ti­vise constam­ment. Il s’adresse le titre de « G.O. au club Med » quand il fait par­ti­ci­per le public ou se moque de sa mise en scène « épous­tou­flante, digne de Mous­ta­ki », quand il va de son siège de gui­ta­riste à son piano.

Pour refer­mer cette paren­thèse dans la nuit tou­lou­saine, on repart avec cette chan­son-là, ce texte de Marc Estève, hom­mage aux femmes qui « balancent à leurs cous /​L’or des amants pla­qués /​Pour mas­quer tous les coups /​Que la vie sait don­ner », ces mots d’amour qui tiennent chaud : « Je reste un soli­taire /​Une pierre dans tes rivières /​Mais c’est la seule qui /​Roule la nuit dans ton lit… »