Week-end avec ELLES & Chantons sous les Toits – Festival « Sous les toits de Lescure », avril 2022 (© Arpèges et Trémolos)
9 & 17 avril 2022 – Un pays sans nom qui n’appartient à personne
Concerts organisés par les associations Arpèges et Trémolos (Un week-end avec Elles), Oiseau Lyre Cie (Chantons sous les toits) et la commune de Lescure d’Albigeois (Festival « Sous les Toits de Lescure »)
Avec
Eva Glorian solo (piano, voix) & Claire Gimatt (piano, voix)
Joce (voix) en duo avec Benjamin Barria (piano, voix) & Louise O’Sman (accordéon, tambour, mandoline)
Café Flo à Florentin & Salle communale à Lescure d’Albigeois (Tarn)
Peu à peu, les programmations reprennent leur droit, en lieux et places attendus, après deux années où le spectacle vivant a tant peiné. Il en est même qui en rajoutent, preuve que l’imagination, l’envie des diffuseurs n’ont rien perdu de leur force. Reste- nous le constatons partout – la question d’attirer le public qui peine, lui, à revenir…
Laissons pour cette fois cette question et regardons du côté du département du Tarn où la Chanson a fait son nid, portée par d’ardents militants. Du 8 au 30 avril, les week-ends sont tout spécialement pour ELLES, grâce à l’association Arpèges et Trémolos bien connue pour l’organisation du festival Pause Guitare. Quinzième édition reconduite à la Maison de la Musique de CAP’ découverte à Albi avec ce qu’il est convenu d’appeler des têtes d’affiche, mais aussi itinérante dans les communes alentour, avec des talents que l’association s’efforce de mettre en lumière. Nous nous intéressons à cette programmation à laquelle l’association L’Oiseau Lyre Cie, organisatrice de Chantons sous les toits, s’est jointe.
Nous voici au Café Flo du village de Florentin, fort de ses 700 habitants. Soulignons que, depuis 2017, sur l’initiative de la municipalité, ce café associatif est un espace de vie avec différentes initiatives : café occitan, café parents, conversation anglaise, soutien scolaire, espace bibliothèque et spectacle vivant donc ! Dans la salle d’activité, nous nous trouvons rassemblés, en fin de matinée de ce samedi 9 avril, pour écouter Eva Glorian qui, en compagnie de son piano, avec sa chaleur, son insistance – combien de fois ne nous demandera –t‑elle pas si nous allons bien – nous invite dans son pays qu’elle a choisi de nommer Babel… Car, chose notable, nous constaterons que chacune de ces chanteuses que nous allons évoquer, propose d’échapper à notre réalité, de nous transporter ailleurs, loin d’ici. Eva Glorian rend hommage à notre humanité diverse, nous propose de la suivre dans sa pérégrination intemporelle, entre ciel et écume. Nous nous attarderons à cette image du funambule, artiste des nuages qui jamais n’achève sa quête d’équilibre… Quand elle nous proposera de descendre dans les fondations de la tour, où nous apercevrons une barque pourrie au milieu de la lave et de l’eau, un avatar du trépas, on croira entendre la voix de Barbara…
Après un temps convivial de restauration sur place, c’est Claire Gimatt qui lui succède. Nous savons par avance que nous pouvons compter sur elle pour ne jamais nous enliser dans notre réel. Au fil des chansons et des textes de présentation, au gré de sa voix aux accents orientaux, de ses recherches sonores, mais aussi à la voir danser, elle nous entraîne dans son pays imaginaire et, comme elle, nous pourrions finir par nous demander si ce n’est pas quand nous vivons notre réalité que nous rêvons… Nous aimons ce pays où l’on croise les sorcières, le fantôme de « la baronne au grand chapeau troussé », le monstre marin, « la louve des mers… spectrale, carnassière, » celle qui change en sable les bateaux, l’orme qui dans la nuit « a tiré ses longues jambes de la terre meuble du pays », où le chant des pleureuses pourrait bien à l’aurore nous ensorceler, où plonger dans un tableau de Dali deviendrait enfin possible.
Nous vous parlions, en commençant, de nouvelles initiatives. Voici donc, une semaine plus tard, celle de la commune de Lescure d’Albigeois qui, avec L’Oiseau Lyre Cie et Arpèges et Trémolos, organise sur trois jours un festival chanson « Sous les toits de Lescure ». Dimanche matin – dimanche de Pâques, notons-le… difficile, convenons-en, de rassembler du public ce jour-là ! – nous avons à nouveau rendez-vous avec ELLES, cette fois, dans la salle communale. Tout le monde connaît ces salles de village au plafond haut, à la froideur légendaire… Alors, on met un tapis moelleux, on évite bien entendu de s’installer sur la scène trop haute et trop vaste, on ajoute quelques lumières chaudes… Et la présence de l’artiste fait le reste. C’est la sémillante Joce qui commence, accompagnée par le piano virevoltant de Benjamin Barria. Dès la première chanson, on comprend que l’on ne déambulera pas dans la mièvrerie, l’inconsistance. Ce pays-là parle vrai ! Et Joce y met toute son âme, toute son énergie, sans se prendre trop au sérieux. Elle distille au passage quelques vérités sur le temps qui passe inexorablement, le couple – on assiste à un duo qui se chamaille à coups de métaphores bien senties– l’enfance… Mais elle vise particulièrement juste quand elle choisit quelques reprises, la superbe chanson d’Allain Leprest sur la tombe de Piaf, Le Gérontophile de Bernard Joyet – reconnaissez, faut oser ! – mais surtout, surtout, Je ne veux pas de ton amour de Barbara Weldens dont elle s’empare avec puissance et respect après avoir chanté une composition en son hommage. Dans ce festival Week-End avec Elles, évoquer cette disparue – « une tornade, une tempête », écrit Joce avec justesse – était un cadeau. Merci !
Enfin, nous refermons cette page féminine avec Louise O’Sman et son compagnon, son complice, l’accordéon. Car on ne saurait les séparer comme l’indiquent les premières minutes du concert. Louise s’installe, observant, paupières baissées, un temps de silence avant de laisser s’exprimer, dans une extrême douceur, son instrument. C’est ainsi qu’elle nous souhaite la bienvenue dans « un pays sans nom qui n’appartient à personne »… Nous l’avons écrit récemment pour le festival Détours de Chant, Louise dessine des paysages où l’on aime s’égarer, voyageur immobile dans des terres inconnues, où l’Espérance aide à vivre « Elle ouvre souvent ses bras vides /Devant la gueule du chagrin ». Car dans ce pays, cette Joyeuse Ville, titre éponyme de son album, « On entend dans le soir la plainte des clochers qui pleurent l’humanité ». On a tant aimé que cette page des quatre concerts de Week-End avec ELLES s’achève sur l’évocation de « l’homme aux semelles de vent », celui qui refuse, celui qui est allé au-devant de ses rêves avant de se consumer sous le soleil d’Afrique… Celui qui plus qu’aucun autre être humain voulait embrasser « un pays sans nom qui n’appartient à personne ».