14 mai 2016 - Album Des vagues et des hommes
avec Corentin Grellier (guitare, chant), Fabien Valle (accordéon) et Youssef Ghazzal (contrebasse)
Cet album est un cadeau, un bijou ciselé, en contrepoint d’un joli temps de création.
On sait que depuis l’accompagnement bienveillant du café associatif Chez ta Mère où Olivier Chatellier reconnaît d’emblée un talent d’écriture, depuis la victoire de Camu au Prix d’écriture Claude Nougaro de la Région Midi-Pyrénées en 2015, depuis les Découvertes d’Alors Chante, un certain nombre de bons génies se penchent sur les chansons du très jeune Corentin Grellier. Le dernier en date, au cours d’une résidence au Bijou, est Éric Lareine, toujours attentif à la jeune génération. On aimera souligner en Camu, l’efficacité du réseau Chanson à Toulouse.
On plonge littéralement dans cet album dont la pochette, particulièrement élégante et soignée, est signée du plasticien Anto. L’image impose une immersion immédiate dans un univers poétique que ne démentiront pas les chansons. Pour donner leur tonalité, on ne craindra pas de les rapprocher de certains élans lyriques de Léo Ferré. L’ouverture de l’album, Un homme, propose d’abord les trémolos de l’accordéon suivis de quelques notes pincées de la contrebasse. C’est là le trait caractéristique de ce trio qui impose de mieux en mieux en concert son unité.
Si la guitare de Corentin Grellier rejoint de temps à autre les deux autres musiciens ce sont eux en effet, accordéon et contrebasse, qui offrent leur langage propre et c’est indéniablement trois langues qui s’échangent, s’assemblent, se répondent.
La première chanson donc présente un cortège d’hommes, comme le survol de l’humanité tout entière à la même seconde : « Un homme traverse la rue, à ses lèvres un doux chant (délicat clin d’œil à Brassens)… un homme épouvantail rassure les oiseaux… Un homme se baisse et ramasse un souvenir dans une flaque de poussière… un homme fait trois fois le tour de la terre pour y trouver le bon sourire… Un homme ouvre une boîte de sardines pour les relâcher à la mer… Un homme et un autre… » Vous l’aurez compris ici rien de proprement réaliste. À la première seconde, il faut abandonner sa raison raisonnante et larguer les amarres, s’interroger peut-être, le temps d’une chanson : « Qu’est ce que nos mains peuvent faire ? » ou bien alors écouter la deuxième avec l’accordéon sensiblement inspiré de Gotan Project ; on se laisse aller aux images insolites pour évoquer Le hasard qui bouscule la banalité des jours et vous tombe dessus sans crier gare « avec des airs de main ouverte ».
Mais bien entendu, c’est à la mer, sa lumière, ses sonorités, ses odeurs, à la navigation que les chansons empruntent surtout les plus élégantes correspondances. La chanson Les goélands, « les goélands fous joyeux qui dansaient », continue de nous bouleverser avec cette image de la mère restée sur le quai, « droite comme un i sans son point »… L’accordéon tourbillonne à la fin et achève sa danse folle dans une valse lente.
Quant à l’amour, au sentiment comme à l’érotisme — superbe J’adore, à l’orée du sommeil « Tu dors mes yeux sur tes paupières /comme un baiser, comme une prière » — l’auteur sait renouveler les clichés. On en juge particulièrement dans L’odeur de la mer où il rend hommage de bien belle façon à un amour fini, « Ton ventre était un port et ma tête un navire »… et cette image finale : « Moi j’écartais les bras, j’avais pas peur de l’eau… » Disons-le tout net, ce garçon a un talent fou pour dire adieu : « Alors amour amante adieu… Y a pas eu de barbe à papa dans les allées d’un beau parc… À l’arrivée du flash-back et du cinéma… ». Mais surtout, surtout : « Et chapeau bas à nos ébats ! ».
Avant de revenir à sa réalité peut-être écoutera-t-on une nouvelle fois la dernière chanson Dans les bras de l’accordéon, son invitation à s’aimer en métaphores instrumentales, « J’apprendrai à te jouer juste » et puis on s’offrira encore le concert imaginaire qui se joue dans la tête de La violoniste. On s’offrira ce « final en grande pompe… La foule se lève… Encore… le bleu du ciel… », cette espérance essentielle à nos vies : « Toujours du beau ! »