B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Album Vian par Debout sut le zinc 2019 (©desi­gn gra­phique : Damien Pelletier)

13 Sep­tembre 2019, Pour fêter le 100ème anni­ver­saire de la nais­sance de Boris Vian, Debout sur le Zinc et les pro­duc­tions Jacques Canet­ti font paraître un album de 15 chan­sons de Boris Vian, dont 5 inédites.

Vian par Debout sur le Zinc

Avec

Romain Sas­si­gneux( Cla­ri­nette, gui­tares, chant, chœurs) Simon Mimoun (Vio­lon, trom­pette, chant, chœurs) Oli­vier Sul­pice (Ban­jo, man­dole, man­do­line) Cédric Ermo­lieff (Bat­te­rie, per­cus­sions, xylo­phone) Cha­di Chou­man (Gui­tares) Tho­mas Benoît ( Basse, contrebasse)


« Petite fille, je me sou­viens avoir vu débu­ter Boris Vian aux Trois Bau­dets. il dénon­çait notam­ment toute forme de confor­misme, de tota­li­ta­risme, de sno­bisme, consu­mé­risme … il me parais­sait si grand, si blême, si peu « exhi­bi­tion­niste ».Il avait écrit un petit texte qui était lu avant son entrée sur scène « Cer­tains spec­ta­teurs diront peut-être en voyant Boris Vian pour la pre­mière fois aux Trois Bau­dets : Com­ment ? Mais hier encore il ne chan­tait pas. Qu’ils se ras­surent. Aujourd’hui non plus ».

Debout sur le Zinc a choi­si de lui prê­ter ses voix et d’offrir à ses chan­sons d’entrer dans nos vies. » Fran­çoise Canet­ti Direc­trice des Edi­tions et Pro­duc­tions Jacques Canetti

Si grand, si blême, si peu « exhibitionniste…

Quinze chan­sons et te voi­là ! Par­don le poète, le musi­cien, le chan­teur… Par­don pour ce tutoie­ment fami­lier mais cet album te redonne vie.

Nous aimions tes textes, tes romans, tes chan­sons et poèmes, nous sommes émus depuis tou­jours devant tes courtes années de vie balayées par une mort injuste. Alors, bien sûr, nous avons accor­dé d’emblée beau­coup d’attention au choix de Fran­çoise Canet­ti, des Edi­tions et Pro­duc­tions Jacques Canet­ti. Voi­là que ces six gar­çons dans le vent, Debout sur le Zinc, ces ins­tru­men­tistes capables de cou­vrir un vaste champ musi­cal, de pas­ser de la bal­lade roman­tique au rock en pas­sant par le jazz, le blues, sans oublier leurs émou­vants accents klez­mer (magni­fi­que­ment mis en exergue dans l’âme slave, une vraie fête ! ) s’offrent et nous offrent une décou­verte, une redé­cou­verte pour les plus anciens d’entre nous. 

Ce n’est sans doute pas facile de faire des choix dans cette œuvre si ori­gi­nale, si foi­son­nante, de lais­ser quelques titres atten­dus pour pri­vi­lé­gier des créa­tions musi­cales. Un tiers des titres est mis en musique par le groupe et nous avons été par­ti­cu­liè­re­ment tou­chée par le choix des textes. Bien sûr, on s’attarde à Je vou­drais pas cre­ver (chan­son de loin la plus longue de l’album, plus de six minutes) à ce rock lent, noir et pro­fond qui porte la force du poème, ces vers bou­le­ver­sants « Et moi je vois la fin /​Qui grouille et qui s’a­mène /​Avec sa gueule moche /​Et qui m’ouvre ses bras /​De gre­nouille ban­croche », cette pré­mo­ni­tion ter­rible d’une mort immi­nente et son corol­laire, l’hymne à la vie… On aime aus­si que cette chan­son si pro­fon­dé­ment intime, soit ain­si pla­cée en fin d’album, juste avant une autre musique inédite qui le clôt super­be­ment : S’il pleu­vait des larmes… « Sur la terre entière /​Il y aurait déluge /​Des larmes amères /​Des cou­pables et des juges » poème uni­ver­sel – « balade à la fran­çaise », pré­cise le dos­sier – pour dénon­cer la mort absurde, la mort aveugle et sou­ve­raine sur notre Terre.

Quant aux trois autres poèmes, ils rendent grâce à la vie avec une si pro­fond ori­gi­na­li­té. Le titre Il est tard, por­té par une gui­tare lan­gou­reuse, évoque un homme aux prises avec son désir qu’il refreine « Sur le pick-up, y a Sina­tra /​L’amour de vous m’a gri­sé /​Ché­rie, je vais fer­mer la porte… ». J’te veux, une comp­tine légè­re­ment enfan­tine, donne voix au désir fémi­nin, affran­chi des tabous dans une invi­ta­tion à l’amour aus­si belle que celle de Jacques Pré­vert dans Je suis comme je suis. Dans On fait des rêves, c’est la décou­verte des beau­tés de la vie si l’on veut bien y regar­der de près, s’attarder au moment pré­sent « Y a la tris­tesse, y a les sou­cis, y a les caresses et c’est fini »…

Les reprises de cet album évitent l’écueil de l’imitation… D’autres pres­ti­gieux inter­prètes ont mis depuis long­temps leurs cou­leurs… Boris Vian lui-même, bien sûr, Mou­loud­ji, Jacques Hige­lin… Dans cet exer­cice, on attend par­ti­cu­liè­re­ment Le Déser­teur. Le groupe pri­vi­lé­gie les accents folks des années 70, la sobrié­té. Quelques notes de gui­tare intro­duisent la mélo­die avant que la voix ne s’élève pour por­ter la force d’un texte uni­ver­sel­le­ment connu. Pour Je suis snob, c’est un Rock n’Roll qui sou­ligne la déri­sion, la satire jusque dans la mort « Et le jour de ma mort /​J’veux un suaire de chez Dior ! ». Dans le titre d’une incroyable moder­ni­té Ne vous mariez pas les filles, ce sont des arran­ge­ments « jamai­can-ska » où le groupe s’en donne à cœur/​choeur joie pour pour­fendre la mas­cu­li­ni­té, à l’exemple de cette strophe « Avez – vous vu à votre bras/​Un mai­gri­chon aux yeux de rat /​Fri­ser ses trois poils de mous­tache /​Et se redres­ser, l’air bra­vache ? » Cette chan­son nous pro­met un ins­tant jubi­la­toire en concert, à n’en pas dou­ter ! Dans La valse jaune, un soup­çon ico­no­claste, Debout sur le zinc pro­pose tout autre chose qu’une valse…un « rock lent, désin­volte » avec en ouver­ture un sif­flet joyeux avec un ban­jo au loin… « Avec la terre ronde, ronde, ronde, ronde /​Le soleil /​Rayonnant comme un faune /​Danse une valse jaune /​Pour ceux de l’autre ciel ».

Cet album est avant tout une occa­sion rêvée de retrou­ver la foi­son­nante créa­ti­vi­té de Boris Vian, ses thèmes favo­ris, la liber­té de son écri­ture. On redé­couvre son goût des mots dans Il oublia d’oublier d’oublier, en même temps que son goût des his­toires aux confins de l’absurde avec ce Mathu­rin la fleur dont on suit les mésa­ven­tures jusqu’à leur terme « Mou­rant sous les roues car­nas­sières /​Dans son crâne vague il sen­tit /​Une dis­tor­sion étran­gère /​Avant de connaître l’ou­bli /​Et puis et puis…Il oublia d’ou­blier d’ou­blier d’ou­blier… » L’étrange est son domaine aus­si dans L’année à l’envers, une valse où le groupe dit « avoir cal­mé » la ryth­mique de Jacques Hige­lin… On s’étonne tou­jours de ce goût mor­bide de la mort qui affleure sou­vent à com­men­cer par le célèbre Quand j’aurai du vent dans mon crâne, pre­mier titre de l’album où Debout sur le Zinc se plaît à faire rica­ner ses ins­tru­ments, la voix aus­si, à mettre ain­si une sérieuse dis­tance avec le pro­pos « Et puis je n’aurai plus /​Ce phos­phore un peu mou /​Cer­veau qui me ser­vit /​A me pré­voir sans vie /​Les osses tout verts, le crâne ven­teux /​Ah comme j’ai mal de deve­nir vieux. » On aime d’autant plus les doux moments, les pauses, comme dans la pro­me­nade avec Ray­mond Que­neau, Rue Watt « au bout de Paris /​Près d’la gare d’Aus­ter­litz /​Vierge et vague et morose /​La rue Watt se repose /​Un jour j’a­chè­te­rai /​Quelques mètres car­rés / Pour plan­ter mes tomates /​Là-bas dans la rue Watt ». Et l’on savoure la dou­ceur sal­va­trice du titre apai­sé De velours et de soie, l’accompagnement ins­tru­men­tal tout en sen­sua­li­té « De soleil et d’argent /​Tes che­veux dans le vent mauve /​De plai­sir et de soleil /​Comme une nuit dans tes bras »…

Le 26 sep­tembre pro­chain, au Théâtre des Trois Bau­dets, Debout sur le Zinc don­ne­ra son nou­veau spec­tacle, là où Boris Vian avait chan­té ses pre­mières chan­sons, encou­ra­gé par Jacques Canet­ti en 1955. Tout un symbole…