Fraissinet en duo – 2018 (© Droits réservés)

Frais­si­net en duo – 2018 (© Droits réservés)

16 février 2018 – Frais­si­net en duo

Album Voyeurs

Avec

Nico­las Frais­si­net (Pia­no, gui­tare, voix) Ger­main Umden­stock (Gui­tare, basse)


Le Bijou (Tou­louse)

Oui, c’est vrai, j’ai gran­di en anglais dans les notes que j’ai apprises, une par­tie de mon sang et mes pre­mières har­mo­nies sont écos­saises, j’ai aimé sur des arpèges kabyles, j’ai goû­té le sel scan­di­nave et les par­fums de Peaux de Pologne.

Ma musique vibre de celles du monde.

MAIS ! mes pre­miers mots sont fran­co­phones. “Maman” “Papa” “Oui” “Non” “Je” …Pre­miers fon­de­ments d’une culture ancrée dans la chair.

ET qui dit pre­miers fon­de­ments, dit pre­miers moyens d’expression – petits mots écrits avec leurs taches d’encre, impos­sibles cédilles à cal­li­gra­phier, mini-vic­toires sur chaque lettre au bel arron­di, points sur les i 

Le jour de mes pre­mières chan­sons j’ai essayé plu­sieurs langues pos­sibles, cha­cune de celles que je par­lais… par­mi elles, l’anglais avait presque tout pour lui, la ron­deur, l’in­to­na­tion comme déjà-mélo­die. Il ne lui man­quait qu’une seule chose selon moi : la force vis­cé­rale de remettre à nu les sentiments,…pouvoir déte­nu par LA langue mater­nelle. Frais­si­net (3 avril 2016)

Fran­co­pho­nie, mon amour

Dans le noir il y a des éclats de toi qui me tiennent par les deux mains /​Dans le noir je crois qu’il y aura peut-être une voix

C’est ain­si, avec ces mots emprun­tés à la chan­son Regards que l’on pour­rait ten­ter de dire cette tra­ver­sée sen­sible vécue ce soir dans le noir, dans l’intimité de la salle du Bijou. Dira-t-on assez la cha­leur, la dou­ceur aus­si de ces concerts vécus ici, à por­tée de cœurs et d’âmes qui se frôlent ?

Pour com­men­cer, on pour­rait tout aus­si bien rap­pe­ler ces fenêtres entrou­vertes sur son his­toire par un chan­teur qui, pudi­que­ment, se confie entre les chan­sons. Car c’est la pre­mière fois que nous enten­dons Nico­las Frais­si­net ain­si livrer, déli­vrer autant à ses spec­ta­teurs. Ces bouts de vie qui en disent long.

Par­fois la confi­dence oriente l’écoute comme lorsque, venu au centre de la scène, à courte dis­tance de son pia­no, il évoque la comp­tine Maman les p’tits bateaux avant de chan­ter La mémoire de nos pères : « Maman s’il y a la guerre demain /​Est-ce que vrai­ment tout ira bien ? » quand « l’orage est de retour » et que sou­dain « la mémoire de nos grands frères » tam­bou­rine, fait son tin­ta­marre, inter­roge notre ave­nir… Par­fois le récit donne sa cou­leur ciné­ma­to­gra­phique aux textes des chan­sons où la thé­ma­tique du regard revient obsé­dante. Rap­pel bio­gra­phique d’un pan de vie consa­cré au ciné­ma… Assis­tant, régis­seur, par­fois même chauf­feur, et c’est alors qu’émergent le sou­ve­nir de la figure de Jean Roche­fort et la nais­sance d’une ami­tié… Un par­tage artis­tique aus­si. Des chan­sons écrites pour lui comme cette éton­nante inter­pel­la­tion de l’aîné « Regarde petit con Au creux de ta jeu­nesse je caresse /​Le temps et son ivresse qui nous presse ».

De ces épi­sodes par­lés, confiés, on retien­dra bien enten­du la jus­ti­fi­ca­tion de cet énig­ma­tique gant noir por­té à la main gauche… Une ques­tion de vision, de vue, qui n’a rien de méta­pho­rique cette fois.

Mais sur­tout, sur­tout l’évocation de ses « trois muses ». Trois belles et grandes « femmes-pia­no » qui orien­te­ront défi­ni­ti­ve­ment ses choix musi­caux, artis­tiques. La pre­mière est de fic­tion, la bou­le­ver­sante Ada, inter­pré­tée par Hol­ly Hun­ter, dans La leçon de pia­no – le ciné­ma encore ! – la seconde, Tori Amos, rockeuse au pia­no dont elle mêle la rugo­si­té, l’authenticité des sons à l’électro, au jazz. Enfin la troi­sième, Bar­ba­ra… Il suf­fit d’entendre sa reprise bou­le­ver­sante de Dis quand revien­dras-tu pour com­prendre la puis­sance de son influence.

Voi­là donc des paroles qui nous rap­prochent de sa vie d’artiste mais aus­si de ses choix d’homme, de citoyen du monde. On l’écoute nous racon­ter son voyage au Bur­ki­na Faso il y a quatre ans, dans le cadre de l’opération Une chan­son pour l’Education… Un ins­tant il nous guide dans le vil­lage de Gou­dou, au pied du bao­bab, dans ses racines géantes, en com­pa­gnie de Ger­main qu’il ren­con­tra là-bas. On entend les bruits, les sons de l’Afrique, gestes d’hommes, de femmes et d’enfants qui s’en viennent se mêler au pia­no et à la gui­tare. « Je n’avais pas cru la lon­gueur du voyage qui me sépare de ton image… » Si l’on en croit l’hymne offert à la Fon­da­tion CANSEARCH enga­gée dans la recherche contre les can­cers de l’enfant, on se dit qu’il n’en a pas fini avec cette chan­son qui lutte et se bat contre Les Mutants aveugles et sourds que nous sommes tous, peu ou prou, « tueurs à [notre] manière »…

De ce concert, des chan­sons choi­sies en grande part dans le der­nier album Voyeurs, on retient la puis­sance et les nuances de cette voix deve­nue fami­lière, mais aus­si la force d’interprétation. L’énergie avec laquelle il fait du pia­no la caisse de réso­nance de ses émo­tions. Car Frais­si­net joue, chante de tout son corps, bien qu’amarré au pia­no. « Homme-pia­no », dans le sillage de ses modèles fémi­nins. On garde pré­sents son sou­rire tel­le­ment lumi­neux et son par­tage confiant avec le par­te­naire qui l’escorte sans jamais le quit­ter des yeux. Les sons de la gui­tare s’enroulent autour des notes du pia­no, déli­cats, sen­sibles… Par­fois le pia­no seul accom­pagne le chant, par­fois c’est tout un uni­vers de sons élec­tro qui donnent une ampleur qua­si sym­pho­nique à la chan­son, comme pour Le cœur qui bat.

Ce concert c’est un appel obs­ti­né à l’Autre, ce frère, ce sem­blable. Ce serait presque une lutte quand il s’agit de faire taire « ta peur, de [sécher] tes regards blêmes tes tas de haine ». Alors un seul cri, scan­dé : « Arrête ! » Sur le même tem­po c’est aus­si une invi­ta­tion au par­tage, à gran­dir encore, tou­jours. Ensemble : « Je ne sais rien de là-haut /​Je ne sais rien de là-bas /​Je ne sais rien je l’avoue /​Et com­ment vivre au-delà. » C’est un appel à aimer la vie, « Le soleil vert et l’ivresse » à s’aimer tant qu’il en est temps… « Il faut s’embrasser avant de s’embraser… Avant l’ère des marées noires… »

Quand Frais­si­net revient en rap­pel, face à un public qui vou­drait que l’envoûtement pût ne jamais prendre fin, il chante « Lève –toi encore avant le jour »… Et là « Nous irons loin », il nous l’assure… Et nous nous sur­pre­nons à y croire sou­dain, por­tés par ce sou­rire, cette musique, cette voix …

« Le som­met nous attend »… A cha­cun le sien, à sa juste mesure, à sa hau­teur d’homme, de femme de cœur.