L’Olympia,  hommage à Jean-Michel Boris, novembre 2020 (©Droits réservés)

L’Olympia, hom­mage à Jean-Michel Boris, novembre 2020 (©Droits réservés)

13 jan­vier 2021 : Pod­cast de deux heures d’entretien enre­gis­tré chez Jean-Michel Boris, rue Jean-Bap­tiste Pigalle à Paris, par Boris Gasio­rows­ki pour son émis­sion Terre d’écoute, Fré­quence Paris Plu­rielle, 106.3 FM

La scène, le temps, l’espace retrouvés 

Avec

Jean-Michel Boris au micro de Boris Gasio­rows­ki. Illus­tra­tion sonore : Gil­bert Bécaud, Jacques Brel, Georges Bras­sens, Claude Nou­ga­ro, Edith Piaf et Théo Sara­po, Ray­mond Devos, John­ny Hal­ly­day, Charles Azna­vour, Barbara

28, bou­le­vard des Capu­cines, la fabu­leuse aven­ture de l’Olympia Bru­no Coqua­trix de Jean-Michel Boris, Marie-Ange Guillaume, Acro­pole, 1991


« La scène qui me lève, me lave et me révèle

Scène révé­la­tion

Scène, le temps, l’espace retrouvés 

Scène sainte, scène vierge, scène brû­leuse de langue de bois, scène vivante, scène voyante et visionnaire. 

Scène sainte »

Claude Nou­ga­ro, L’Ivre d’images, Le cherche midi, 2002

On muselle le spec­tacle vivant depuis un an ou presque, pour toutes les rai­sons que l’on sait. On ignore quand il revien­dra prendre toute sa place dans nos vies pri­vées d’une part de leur âme… Alors ces mots tein­tés de mys­ti­cisme de Claude Nou­ga­ro résonnent sin­gu­liè­re­ment. Ils nous semblent qu’ils n’auraient pas été démen­tis par Jean-Michel Boris, l’homme du mythique Olym­pia, dis­pa­ru en novembre der­nier. Avec lui, c’est tout un pan de l’Histoire du music-hall qui s’en est allé. Mais cet amou­reux du spec­tacle vivant peut encore et tou­jours nous déli­vrer un ensei­gne­ment à tra­vers les témoi­gnages qu’il nous a laissés.

Ecou­tons-le au micro de Boris Gasio­rows­ki conver­ser en toute sim­pli­ci­té avec sa mémoire vive, capable à 82 ans de citer tous les artistes pro­gram­més, un soir pré­cis de sa longue car­rière… Celui qui conduit cet entre­tien a toutes les qua­li­tés requises pour l’interroger puisque, à l’âge de 21 ans, en 1997, il a fait un stage auprès de lui, son « papa spec­tacle » dit-il… Ces deux heures en sont tein­tées de res­pect et d’affection réci­proques. Le plai­sir est immense…

On ne man­que­ra pas de le pro­lon­ger avec la lec­ture ou relec­ture d’un livre « vivant », comme le spec­tacle dont il est ins­pi­ré, co-signé Jean-Michel Boris – alors en charge de la direc­tion de l’Olympia pour dix ans encore – et Marie-Ange Guillaume, jour­na­liste au Monde de la musique… Le tout, entre­tien et livre, nous offre de vivre la tru­cu­lence, le pathé­tique par­fois, le cou­rage aus­si, la chance avec laquelle il faut comp­ter, le bon­heur irrem­pla­çable qu’offre la scène.

Jean-Michel Boris se raconte… Le lycée Mon­tes­quieu à Bor­deaux, des études peu glo­rieuses, la décou­verte du jazz, l’amour immense pour Bras­sens dont il achète les « petits for­mats » aux chan­teurs des rues, la fuite à Nérac pen­dant l’Occupation… Se des­ti­nant ini­tia­le­ment à des études de méde­cine, le jeune Jean-Michel Boris, voit sa vie bas­cu­ler dans l’été 1954 le jour où on lui demande de se rendre chez sa tante Pau­lette Coqua­trix. L’oncle Bru­no, homme d’expérience s’il en est (auteur, com­po­si­teur d’opérettes, de chan­sons, pro­duc­teur de spec­tacles…) lui « fait du charme » et le voi­là qui passe d’« Escu­lape à Molière ». Il entre alors au ser­vice de son oncle à L’Olympia fraî­che­ment racheté.

Il y découvre d’abord le métier auprès d’une équipe de machi­nistes… Puis, son oncle lui confie­ra peu à peu des res­pon­sa­bi­li­tés du côté de la comp­ta­bi­li­té, de la régie des tour­nées, et enfin de la pro­gram­ma­tion, avant qu’il ne le rem­place à la direc­tion. Il gar­de­ra de ce cur­sus sin­gu­lier, un inté­rêt et un res­pect pour les tech­ni­ciens, une admi­ra­tion pour la « machi­ne­rie », mais aus­si un goût, dont nous avons pu mesure l’ampleur, pour les petits lieux dévoués et voués aux découvertes.

Mais ce que cet entre­tien nous res­ti­tue – tout comme le récit auto­bio­gra­phique – c’est la vie foi­son­nante de ce music-hall.

Pas ques­tion à l’époque de réduire une pro­gram­ma­tion à un seul style de spec­tacle vivant ! Les fauves, les singes, les élé­phants (il y a des épi­sodes savou­reux autour d’eux, et même de l’affection pour cer­tains !) côtoient les équi­li­bristes, les jon­gleurs, les illu­sion­nistes … et les humo­ristes, les chan­teurs, les aguer­ris comme les débu­tants, les fran­co­phones et les anglo-saxons… Les groupes mythiques sont tous pas­sés à L’Olympia, pré­cise-t-il, sauf Les Pink Floyd et les Who… Et c’est à ce moment là qu’il évoque avec forces détails le fameux contrat de 1964 avec les Beatles – il est là, au mur, der­rière lui ! – la fameuse soi­rée avec Syl­vie Var­tan que « Bru­no aimait beau­coup », Tri­ni Lopez, Pierre Vas­si­liu… et un illu­sion­niste devant le rideau.

On se pas­sionne pour les anec­dotes émaillant le récit, on s’attache à des per­son­nages, comme Mary­line en charge du bar des cou­lisses, celle qui sou­te­nait Jacques Brel sou­mis à son trac dévas­ta­teur… et fai­sait des « sand­wichs excep­tion­nels » ! Dédé le machi­niste qui connais­sait la « cho­ré­gra­phie » du rideau en fin de spec­tacle et savait faire des « faux –rideaux » comme per­sonne ! Car ce que l’on admire, c’est ce tra­vail d’équipe mis au ser­vice du spec­tacle. Jean-Michel Boris n’oublie per­sonne, et sur­tout pas l’entourage des artistes, leur agent, comme Char­ley Maroua­ni (Brel, Bar­ba­ra, Claude Nou­ga­ro, Reg­gia­ni…), le rôle consi­dé­rable d’Europe 1 et de ses Musi­co­ra­ma

Au cœur de ses pré­oc­cu­pa­tions, il y a l’accueil… L’artiste est celui qui a besoin de sécu­ri­té, de calme, rap­pelle Jean-Michel. C’est pour­quoi, le plus sou­vent, pen­dant tout le concert il reste là, vigi­lant, der­rière le rideau rouge. Cer­tains séjournent si long­temps à l’Olympia qu’ils s’installent dans leur loge comme chez eux, et vont jusqu’à la faire trans­for­mer pour eux…

Bien sûr, on aime l’écouter évo­quer cer­tains artistes, le per­fec­tion­nisme de Clo­clo qui va jusqu’à glis­ser des phrases assas­sines adres­sées aux tech­ni­ciens, dans le texte même des chan­sons, la peur de l’ennui de Michel Sar­dou confron­té à des mois de pro­gram­ma­tion, l’affection et le dévoue­ment d’Edith Piaf capable de voler au secours de L’Olympia début 1961, elle-même assez mal en point …

Jean-Michel Boris parle avec pas­sion de ses décou­vertes, de l’entêtement qu’il lui fal­lut par­fois pour mettre en lumière un artiste – Claude Nou­ga­ro fut de ceux-là et même Jacques Brel auquel Bru­no trou­vait, à ses débuts, un air « boy-scout et patro­nage ». Il avoue sa timi­di­té natu­relle et les efforts qu’il dut faire pour gagner la confiance en lui-même, pour oser abor­der les « grandes vedettes ». Mais il ne manque jamais de rendre hom­mage à son oncle Bru­no auquel il doit tout et qui jamais ne l’empêcha d’agir. Quel per­son­nage se devait être pour­tant ! On le devine quand il évoque subrep­ti­ce­ment, entre deux anec­dotes, ses rela­tions ora­geuses, par­fois des années de brouille, avec Léo Fer­ré par exemple ou Ray­mond Devos

L’entretien s’achève avec, bien enten­du, quelques réflexions sur aujourd’hui, demain… Il admet ‑nous sommes en 2015- qu’Internet ne doit pas être négli­gé mais c’est pour rap­pe­ler aus­si­tôt que le spec­tacle vivant demeure excep­tion­nel. « Être dans la salle, c’est un miracle, s’exclame-t-il, c’est une bouf­fée d’amour … L’artiste a besoin de la scène, le public aus­si. » Il rap­pelle que le métier est dif­fi­cile, qu’il faut de l’endurance, du cou­rage et que l’on se doit d’évoluer avec la socié­té… Il se dit « épa­té » par Stro­mae, brillant, intel­li­gent, exprime son amour pour Mau­rane à laquelle il a fait envoyer des fleurs au len­de­main de son pas­sage au Sen­tier des Halles

Ses mots de la fin seront : « Du cou­rage, ne lâchez rien ! »

Un extrait du der­nier cha­pitre de 28 bou­le­vard des Capu­cines,  des « sou­ve­nirs épars » sous forme d’abécédaire, clô­tu­re­ra cette évo­ca­tion d’un homme à qui le spec­tacle vivant- la Chan­son tout par­ti­cu­liè­re­ment – doit tellement.

C’est ain­si que com­mence la lettre J :

« Je m’voyais déjà »

Les fameuses lettres du fron­ton de l’Olympia, c’est du rêve en barre. Et je pense que la pre­mière fois qu’il voit son nom là-haut, tout chan­teur nor­ma­le­ment consti­tué doit s’offrir un grand moment de belle émo­tion. Je ne serais pas sur­pris qu’il passe et repasse un cer­tain nombre de fois sur le bou­le­vard, « par hasard » pour le plai­sir incré­dule de retrou­ver chaque fois ces lettres rouges qui forment son nom. Pas celui d’Edith Piaf, ou des Rol­ling Stones, ou de Char­lie Min­gus – non, LE SIEN.

Pour écou­ter l’émission de Boris Gasio­rows­ki, Terre d’écoute : https://​sound​cloud​.com/​t​e​r​r​e​d​e​c​o​u​t​e​/​j​e​a​n​-​m​i​c​h​e​l​-​b​o​r​i​s​-​d​i​r​e​c​t​e​u​r​-​d​e​-​l​o​l​y​m​pia
https://soundcloud.com/terredecoute/jean-michel-boris-directeur-de-lolympia-partie‑2