FaB’M, Vers un autre matin, 2020 (Ulrich Vincent / Myriam Charvet)

FaB’M, Vers un autre matin, 2020 (© Ulrich Vincent /​Myriam Charvet)

16 jan­vier 2021 – Vers un autre matin

Deux albums, des concerts en « Livestream »

Avec

Vers un autre matin, 3e album de FaB’M, Fabien Magna­ni (gui­tare, uku­lé­lé, chant, choeurs), Arno Mon­ni (gui­tare) Bas­tien Leroy (pia­no et cla­vier) Antho­ny La Rosa (basse et chœurs) Yvan Des­camps (bat­te­rie et percussions)

Du velours, album de Fre­dO­berT, Fred Dau­bert (gui­tare folk, élec­trique, har­mo­ni­ca, chant) Benoît Caillault (contre­basse, ban­jo, orgue, choeurs) Yan­nick Clu­seau (bat­te­rie, per­cus­sions, gui­tare folk, élec­trique, vio­lon, ban­jo, der­bou­ka, kajamb, ribab, chœurs) Gabin Lesieur (pia­no) Sébas­tien Tidière (accor­déon), Camille Mechain (vio­lon­celle), Jus­tin Caillault (cla­ri­nette), Aloy­sia Caillault (chœurs), Louis Alleaume (trom­pette) Ronan Mazé (saxo­phone alto) Meli­sande Caillault (trom­bone)

Les ren­dez-vous heb­do­ma­daires de Lili Cros & Thier­ry Chazelle 


Com­ment s’y prendre pour conju­rer ce mau­vais sort qui s’est abat­tu sur nous ? Aujourd’hui nous sen­tons bien qu’il faut s’arracher coûte que coûte à la mon­tée de la déses­pé­rance, qu’il nous revient d’inventer, de se mon­trer plus forts que la peur…

Alors regar­dons ensemble cette image emprun­tée à la pochette de l’album de FaB’M. Ce para­pluie noir sur fond gris, de quoi peut-il donc bien nous pro­té­ger ? Que nous dit cette pluie de confet­tis ? N’incite-t-elle pas, par­ve­nu « à la croi­sée des doutes, des rêves, des échecs inavoués », n’incite-t-elle pas à croire en demain, « vers un autre matin » ?

Quand on n’a pas encore atteint qua­rante ans, que l’on s’est nour­ri de voyages, de lec­tures, de poé­sie, de musiques pop –rock de sa jeu­nesse mais de chan­sons popu­laires aus­si, quand on s’abreuve de ses ren­contres, de celles d’Oxmo Puc­ci­no et Renaud Létang lors d’une rési­dence de créa­tion, de celle de la chan­teuse amé­ri­caine Hei­di Rickard qui s’en vient poser sa voix sur une chan­son, de Sol­veig et sa pop enso­leillée pour le duo de Embrasse-moi, quand on aime se perdre dans les formes et les cou­leurs des œuvres de Jean-Michel Bas­quiat, on en vient à célé­brer cette vie –là dans des chan­sons fraîches. Oui, ces chan­sons de l’album de FaB’M sont enjouées… Elles ont ce petit quelque chose de fami­lier – la voix l’est aus­si avec ce grain par­fois proche de Jean-Louis Aubert – cette pop qui vous donne envie de reprendre les refrains ; c’est sans doute pour cette rai­son, qu’à peine sor­ti, le pre­mier single De l’autre côté de la rue est entré dans la play­list offi­cielle Spo­ti­fy, « Fresh Varié­tés »… Tous ces mots auraient de quoi nous faire recu­ler, tant notre langue y semble sacri­fiée, ce qui n’est pour­tant pas le cas dans cet album qui fait la part belle aux arcanes du désir amou­reux, sous la plume de Fabien Magna­ni et de son ami Fran­çois Ter­rade : amour fugi­tif, amour rêvé, amour mor­ti­fère, amour « connec­té », amour tari­fé avec l’attendrissante figure de la pros­ti­tuée au grand cœur de la Chambre 28… C’est sans doute le titre, Meilleur espoir fémi­nin, qui cris­tal­lise tous ces sen­ti­ments par­fois contra­dic­toires, comme l’indique le clip où appa­raissent les figures fémi­nines de la dan­seuse. Tan­tôt bal­le­rine, tan­tôt dan­seuse de hip-hop ou de fla­men­co, gym­naste ou effeuilleuse de caba­ret … Au fond, cet album pour­rait aus­si être enten­du comme un bel hom­mage au fémi­nin sur­tout si on y ajoute la ten­dresse du titre dédié à un tout petit bout de femme, son enfant « belle comme un prin­temps /​Fière de son pre­mier soleil… »

Vers un autre matin, nous irons sans aucun doute, avec l’accompagnement et le sou­tien de ceux qui pro­posent, nom­breux, de nous escor­ter de leurs chansons.

C’est ain­si que nous nous sommes lais­sé prendre, après beau­coup d’autres, au charme de celles du trio Fre­dO­berT. Le charme, le pou­voir de séduc­tion, opère d’emblée avec la pre­mière chan­son 49.9 dédiée à la moby­lette orange de l’adolescence… Outre que la langue est savou­reuse, le bruit du démar­rage, l’orchestration – har­mo­ni­ca, ban­jo, gui­tare folk – ont leur incon­tes­table effet prous­tien… Impos­sible de ne pas pen­ser à Renaud, auquel d’ailleurs Fred Dau­bert offre une émou­vante lettre. Et c’est aus­si dans cette même fac­ture que la chan­son Comme un gamin clôt l’album, chan­son tendre pour le dis­pa­ru « T’étais l’Mimile de ma chan­son /​Elle est à toi… disait ton­ton… » Mais il serait réduc­teur de s’en tenir à cette paren­té, à cette dimen­sion nos­tal­gique. Certes une cer­taine image de la vie rurale a quelque chose de tou­chant avec ses per­son­nages d’un autre temps, voués à dis­pa­raître, à s’effacer de notre hori­zon, comme les habi­tués de Chez Jea­nine, comme « Le père Jules et son spleen en mai­son de retraite »… Mais les chan­sons de cet album ont aus­si quelque chose de Jean Fer­rat qui regar­dait notre socié­té sans conces­sion, sans illu­sion… La carte pos­tale, Les per­siennes dénoncent une incon­tes­table pro­pen­sion à regar­der du côté du pire et même à titre plus intime, plus per­son­nel, Le plan de table ou Le plus beau jour de ma vie, ne laissent guère d’illusion sur la des­ti­née banale du couple d’aujourd’hui. Alors, il reste l’humour de la fable éro­ti­co-ani­ma­lière Casa­mance ou celui du savou­reux por­trait de Ton­ton Mar­tine.

Reste que ces chan­sons nous trans­portent dans de sub­tils arran­ge­ments musi­caux, véri­tables toile de fond sonore : folk – Renaud évi­dem­ment – où vient se glis­ser le vio­lon­celle, accor­déon nos­tal­gique (Chez Jea­nine) pia­no jazz (Plan de table), bos­sa-nova (Casa­mance), cuivres, façon Orchestre du Splen­did (Ton­ton Mar­tine)… Un bon­heur qui se savou­re­ra plei­ne­ment en concert, bien sûr.

« Vers un autre matin »… On peut se fier à l’imaginaire des artistes. Nous irons… Cer­tains inventent déjà des sub­ter­fuges pour pal­lier à l’interdit du spec­tacle vivant. On s’inquiète évi­dem­ment de ces ini­tia­tives qui tendent à nous faire accep­ter l’inacceptable : l’invasion du vir­tuel. Cer­tains même pensent que l’on court un vrai danger.

Pour­tant nous avouons notre joie à retrou­ver chaque semaine par exemple Lili Cros & Thier­ry Cha­zelle dans leur « lives­tream », eux qui avaient déjà mis à dis­po­si­tion de leurs « fans » l’enregistrement de leurs trente six chan­sons dif­fu­sées pen­dant le confi­ne­ment. Ils rêvaient d’un voyage autour du monde et de ren­dez-vous ici et là, sur un point du globe, avec les inter­nautes. C’est pour cette rai­son qu’ils avaient ven­du leur mai­son … Tout est vrai dans leur titre Ma mai­son c’est toi ! Les voi­ci devant leur che­mi­née, dans leur salon, sur l’Île aux moines, en lien avec quelque deux cents spec­ta­teurs devant leur écran… « Chan­sons revi­go­rantes et anec­dotes amu­santes à l’heure de l’a­pé­ro ! C’est offert, c’est sur ins­crip­tion » https://​www​.lili​plus​thier​ry​.com/​l​ive

On savoure leur duo pré­cis, exi­geant, effi­cace, leur conni­vence amou­reuse, cette façon de mar­quer un léger temps de silence à la fin d’une chan­son, le regard qu’ils échangent alors et le sou­pir de Lili, leurs rires… On aime leurs anec­dotes, les confi­dences sur leurs débuts, sur l’écriture de leurs chan­sons, leur sou­hait de don­ner de la place à leurs fidèles spec­ta­teurs, de répondre à leurs ques­tions, leurs défis. De vrais chan­teurs popu­laires qui sont en train de nous faire par­ta­ger l’émergence d’une nou­velle chan­son, A nos retrou­vailles, dont ils peau­finent de ven­dre­di en ven­dre­di les arran­ge­ments et l’interprétation. « Bien­tôt la vie à tire d’ailes /​Les yeux plis­sés sur les bai­sers… » Tout un pro­gramme ! En atten­dant, ils se donnent pour objec­tif d’en créer une par mois et four­millent d’autres projets.

Alors voi­là, nous allons « vers un autre matin » … Les artistes conti­nuent de créer. Ils sont auto­ri­sés à se retrou­ver pour répé­ter et en pro­fitent plei­ne­ment… C’est ain­si que nous appre­nons que de nom­breux spec­tacles, concerts sont en ges­ta­tion, créant une furieuse envie de reve­nir en salle… Cer­tains nous aident à patien­ter comme Jean-Claude Barens qui nous avait tant offert pen­dant le confi­ne­ment du prin­temps 2020. Aujourd’hui encore il nous abreuve de poé­sie sur sa page Face­Book, sans aucune fron­tière ni de genre, ni d’époque, ni de lieu… Jugez-en : der­niè­re­ment il nous a don­né à lire Phi­lippe Léo­tard dont il évoque « l’âme cabos­sée et la gueule chif­fon­née », Jules Laforgue, Lau­rence Vielle (écri­vaine belge), Yan­nis Rit­sos, Cécile Car­ra (un texte superbe sur la vieillesse), Fran­cis Blanche, Esther Granck, Maram Al-Mas­ri (l’une des grandes voix fémi­nines du Moyen-Orient)…

« Tu lis ces mots, c’est que tu vis

Célèbre la vie qui passe »… Lau­rence Vielle