Nicolas Jules - Les Falaises, 2019 (© Thibaud Derien)
21 septembre 2019 – Les Falaises
Bientôt la sortie officielle du 7e album de Nicolas Jules
Avec
Nicolas Jules (guitare, basse, batterie, claviers, voix), Pascal Thollet (guitare), Ivan Herceg (basse), Roland Bourbon (batterie, marimba), Nicolas Moro (mandoline)
« Je n’aime qu’un ou deux pour cent de ce qui se fait en chanson. Moi, c’était beaucoup de rock, beaucoup de blues et beaucoup de musique du monde. J’ai écouté énormément de tango, de musiques congolaises, du jazz et de la musique expérimentale…
Beaucoup de mes amis sont très attirés par des arrangements pop et les belles mélodies. Les jolis arpèges, les harmonies de voix, ça me fatigue. Je n’aime pas quand le son est trop propre. Il faut qu’il y ait des aspérités, sinon j’ai l’impression que je glisse et que je tombe. Je préfère les escaliers aux toboggans. C’est comme en cuisine. J’adore manger, mais pas quand le plat est trop sophistiqué. Quand un produit est bon, je le préfère nature. »
C’est en écoutant Ratures le dernier titre, d’une longueur rare (11’54) que cet album de Nicolas Jules révèle tout son sens, sa « substantifique moelle ». Qu’il nous pardonne – ou pas d’ailleurs – cette référence. Paradoxalement elle pourrait en effet heurter son art poétique sans concession, brut, abrupt, cassant comme la tonalité de l’ensemble des chansons : « Je n’écris bien que ce qui fait mal… Car chanter la littérature c’est faire de la confiture /ça sent le sucre et la retraite ». Et vlan ! Voilà qui est dit. La voix sombre, presque éraillée parfois, ne chante pas, elle dit le texte final qui déroule ses « aspérités », sa nudité des sentiments, son refus de l’angélisme, du lyrisme fade… Ecoutez « Je ne vise pas le cœur /Je vise la tête »… ou bien encore « Je chante l’indésirable /L’intestin et le râble… » Alors on osera une autre référence que le langage cru d’un Rabelais, en rapprochant ce projet d’écriture de celui d’un « poète maudit », des Chants de Maldoror, d’un certain Comte de Lautréamont, une lecture à donner le vertige où l’on aurait pu lire « Ma chanson noire rutile sous le soleil ».
On qualifie déjà cet album de « rock », ce qui répond effectivement à ce refus affiché de la « pop » légère et consensuelle. Si guitare, basse, batterie se côtoient, le plus souvent ce sont des atmosphères lourdes, métalliques, rugueuses… On imagine déjà les inventions sonores de Roland Bourbon en scène et le jeu de guitare de Nicolas. Dans l’entretien avec François Alquier, il précise : « J’ai joué presque tous les instruments et il n’y a aucun montage. C’est du live. J’ai laissé les imperfections vocales ou musicales, ça donne un côté plus rugueux, plus vivant. C’est mon disque le plus radical. Il y a de l’abandon de ce qui pourrait être de l’ordre de la séduction. Il n’y a aucune volonté de séduire en tout cas. »
Ce qui nous séduit, c’est précisément cette écriture qui fait fi de toute bienséance, qui refuse les images attendues, qui taillent dans le vif, dans la chair, privilégie les ratures et les entailles, et ne plonge pourtant pas dans le réalisme. On sait que le thème n’a rien de bien original. Il s’agit le plus souvent d’amour. Ses espoirs, ses écueils inévitables, ses désillusions « J’espérais tes rayons /J’espérais ton soleil /Mais j’ai du tomber sur un ciel d’éclipse » (Bas du front), ou bien « Je pariais /Sur la vérité de tes yeux /Pari perdu » (La photo) …
On peut même tourner en dérision ce manège, ces jeux amoureux, comme dans Magicien le titre d’une minute à peine, qui s’achève sur la, la, li, la, la… Mais le choix des comparaisons, les images créent un décor presque fantasmagorique où le bruit et la fureur viennent par exemple d’un « hôtel crasseux », de « la pointe rouge d’un fer à souder », d’un « crash d’avion », d’un « tube de néon » (Aux innocents) … « Et merde aux objets polis ! » dit-il dans le texte final. La nature s’en mêle aussi, « le froid est un sabre blessant », « le vent dans les trous /La pluie sur les soudures » (Briquet Bic), « Quand tu m’embrasses /Je vois des falaises »… Le mot titre est enfin prononcé…
Les corps trahissent aussi : la beauté se glace, les yeux se givrent, les mots/missiles sont déviés… Quant au cœur il n’est qu’ « un vieux moteur de Tupolev » ( Bas du front) … Quand l’amour n’a pas l’exclusivité, la chanson se nomme La lumière et le bruit, « plus fort que la boucan de mes pensées » tout ce qu’il faut pour une « gueule d’étranger à la dérive » … Car on ne saurait échapper au besoin d’amour : « Je suis un groupe de rock /Tout seul dans ma chambre d’hôtel /Mais je ne casse rien /rien d’autre que mon espoir de te retrouver » (Le crayon) Même si force est de constater que le plus souvent on n’échappe pas pour autant à sa solitude « Avec toi je suis tout seul /Et sans toi je suis un gang » (Gang)
En amont de la sortie officielle de cet album Nicolas Jules, seul aux manettes de son projet, a bombardé le réseau FaceBook de petites vidéos, au moins une trentaine où il invite ses amis à s’exprimer face caméra sur « Falaises ». C’est décalé, foldingue souvent, dans le ton même de ses photos habituelles qui cultivent l’insolite. C’est aussi à l’image de Nicolas Jules en scène, surtout s’il est seul… Improbable, inattendu, comme cette descente à plat ventre de l’escalier roulant sur la pochette de l’album. Impossible de ne pas être tenté de regarder, d’écouter. Pari gagné !