Véronique Pestel, Intérieur avec vue 2019 (©Claudine Ripoll)

Véro­nique Pes­tel - Inté­rieur avec vue, 2019 (© Clau­dine Ripoll)

26 sep­tembre 2019 – Inté­rieur avec vue

nou­vel album de Véro­nique Pestel

Avec
Véro­nique PESTEL (pia­no, voix), Jean Dui­no (arran­ge­ments sauf 11 & 14, gui­tares), Patrick Bru­ga­lières (accor­déon, accor­di­na, ban­do­néon, cla­viers, arran­ge­ments 11 & 14), Isa­belle Des­bats (cor anglais), Mathilde Bru­ga­lières (vio­lon­celle), les chœurs de Jean, Véro­nique, Babeth et Patrick… et les enfants de l’école mater­nelle de Doman­cy (74) pour Métis­son métis­sa. 

Textes et musiques de Véro­nique Pes­tel mais aus­si textes de Rémo Gary, Jean-Michel Piton, Armen LubinMar­ce­line Des­bordes-Val­more et Ara­gon.

Et en scène ! Poèmes d’Alber­tine Sar­ra­zin, de Kiki Di Mou­la, de Jean-Fran­çois Mathé, d’Abdel­la­tif Laâ­bi… au hasard des néces­si­tés (inté­rieures) !


Voi­ci un album à tou­cher, à regar­der, à écou­ter avec le cœur grand ouvert. C’est avant tout une action de grâce – nous assu­mons la conno­ta­tion spi­ri­tuelle – ren­due au vivant, à tout le vivant. C’est sans doute prendre un risque que de com­men­cer ain­si, sur ce ton empha­tique. Et pour­tant… Pour­tant l’écoute des chan­sons du der­nier album de Véro­nique Pes­tel laisse dans son sillage une envie de paix inté­rieure, trop rare pour ne pas être dite, revendiquée. 

Regar­dons cet album dans sa pochette habillée d’un dégra­dé, du mauve à la rouille… Teintes d’automne sans doute, mais aus­si, asso­ciées au jaune safran où repose le disque lui-même, cou­leurs mêlées des moines boud­dhistes… Mains ouvertes, offertes, mains qui parlent en gros plan sur la cou­ver­ture… Et ce titre Inté­rieur avec vue qui pro­clame cette quête d’équilibre entre la vie inté­rieure et le besoin de l’Autre, du monde autour…

On en convien­dra, il ne s’agit pas d’une chan­son à lais­ser pas­ser comme brise légère. Il s’agit d’une chan­son qui s’apparente à la lec­ture d’un bon livre dont on aime relire des pages, cocher des pas­sages, rete­nir des mots. D’ailleurs les poètes s’y invitent : Rémo Gary, Jean-Michel Piton, Mar­ce­line Des­bordes-Val­more, Ara­gon… Ils y mettent leur empreinte et appellent à une écoute atten­tive de la richesse de leurs vers. Sur tous ces mots Véro­nique Pes­tel a posé sa musique, valse lente, airs lati­no qui donnent envie de dan­ser, bal­lade ou comp­tine… La tona­li­té d’ensemble est don­née par les gui­tares et l’accordéon. Véro­nique a donc lais­sé par­ler d’autres ins­tru­ments que son pia­no. Quand elle y revient dans Le parc de Sceaux et Mal­gré tout, il n’en prend que plus force. C’est que ses par­te­naires sur cet album sont Jean Dui­no, son art de gui­ta­riste et Patrick Bru­ga­lières et son accor­déon. L’ensemble est empreint de dou­ceur, de déli­ca­tesse et de joie. Et, notons bien qu’il n’empiète jamais sur la voix don­nant toute son ampleur au ser­vice de l’écriture.

Dans cet album, il s’agit bien de prendre de la hau­teur, de regar­der de sa fenêtre ce monde, cette vie qui pal­pite par­tout, ce souffle vivant en soi et hors de soi. Regar­dez les cou­leurs… Sur­tout les cou­leurs… Celles de la « mamie métisse », née d’« une maman de réglisse /​Et d’un papa coco-noix », à la grande joie des enfants qui retien­dront l’histoire de son petit chat… Celle des Epi­dermes, hymne goû­teux, suc­cu­lent de Jean Dui­no. Car il s’agit d’un hom­mage puis­sant à la vie sous toutes ses formes, même si l’homme y est sou­vent déses­pé­rant, le pire des êtres… « Mais la vie garde son âme /​L’âme ancienne du vivant /​Qui renou­velle sa flamme ». Se sen­tir de pas­sage par­mi tous ces « gens qui marchent dans les âges, depuis des siècles char­riés par le vent »… Pas­ser le témoin comme Mar­ce­line Des­bordes-Val­more Aux trois aimés, leur confier « les cris de [son] amour », leur léguer son espé­rance. Aller de soi à l’autre, de l’autre à soi ou pas… Mais qu’on le veuille ou non, on est bel et bien dans la longue chaîne des vivants… Suf­fit de regar­der l’oiseau, « tom­bé du haut de son per­choir » à trop se pen­cher… Suf­fit de s’accrocher aux branches, « Branches d’amour /​Branches d’années » qui se tendent…

Pas ques­tion de s’arrêter trop long­temps à son his­toire, de prendre le risque de s’y enfer­mer… Même si les sou­ve­nirs nous soufflent par­fois de déli­cieuses images où il fait bon s’attarder comme dans Le parc de Sceaux, cette chan­son hau­te­ment « bar­ba­resque » – jusqu’aux « la, la, la, la, la »… Cette idée de pas­sage est toute entière conte­nue dans Dimanche en bord de rail et ces images qui défilent à la vitre du train comme autant d’arrêts pho­to­gra­phiques, comme autant de bouts de vie : « Six ânes, trois cor­beaux, un grand arbre, des petites mamies en chaus­sons devant leur porte, six meules de foin, les for­sy­thias, les pru­nus »… Tiens, ce sont peut-être bien leurs cou­leurs, le « jaune témé­raire » et le « vin rose », qui ins­pirent celles de l’intérieur de la pochette ? Les cou­leurs de l’attente du prin­temps… Que faire du jar­din d’hiver, comme nous le décrit le poème de Jean-Michel Piton, que faire « des arbres fri­leux qui tremblent la peau nue » si ce n’est de la musique, de la chan­son car « Cho­pin aime les san­glots /​Qu’il fait dou­ce­ment glis­ser de son pia­no » ?

Lais­sons comme Véro­nique, le der­nier mot au poète, aux nobles alexan­drins d’Aragon qui sait si bien dire cette grande chaîne de la vie « Rien n’est si pré­cieux peut-être qu’on le croit /​D’autres viennent ils ont le cœur que j’ai moi-même ». Ter­mi­nons sur « Mal­gré tout je vous dis que cette vie fut belle ». Ce sont ces mots, comme autant de petits pas, qui sont venus vers nous.