Plateau prix Nougaro, 30 ans du Bijou, 2017 (© Le Bijou)
3 octobre 2017 – Plateau prix Claude Nougaro, Région Occitanie
Catégorie « Chanson »
Avec
Laura Sauvaget /Laura Wild (ukulélé,voix) , Clara Sanchez (accordéon, voix) & Matéo Langlois (claviers, boucles, piano, saxophone, voix)
Le Bijou (Toulouse)
La 11ème édition du Prix d’écriture Claude Nougaro de la Région Occitanie – Pyrénées- Méditerranée a battu ses records de candidatures. Près de 400 jeunes, entre 15 et 25 ans se sont sentis suffisamment attirés par l’écriture pour imaginer un parcours créatif dans des domaines aussi variés que la Chanson, la bande dessinée, le scénario ou la fiction. Certes, l’étendue de la nouvelle Région n’y est pas étrangère. Mais à l’heure du tout numérique, de la communication réduite à cent quarante caractères, à l’ère du survol culturel, comment ne pas se réjouir que certains, très jeunes, prônent encore la lenteur ? Car il en faut… et de la patience aussi. Et le goût de la relecture, et celui du travail « bien fait ». Toutes ces valeurs que certains voudraient dénier à la jeunesse d’aujourd’hui.
Par-dessus-tout, dans le sillage de Claude Nougaro, il leur faut le goût des mots, « La faim des mots/la soif des mots » posés sur leurs émotions… « Les mots oiseaux qui laissent des traces » …
Rappelons que les prix remis sont un véritable encouragement à la création. Dans la catégorie « Découverte », pour les 15 – 18 ans c’est un séjour culturel à Barcelone qui est offert, pour les 18 – 25 ans, le 1er prix « Tremplin » propose un accompagnement artistique, un accompagnement des premiers pas dans le milieu professionnel. Et ce ne sont pas des mots vides. Ici, à Toulouse, nous suivons avec beaucoup d’intérêt le parcours de quelques un(e)s.
Il faut le dire, ce soir, le Bijou qui a invité trois de ces jeunes pour quarante minutes de concert chacun, a bel et bien réuni le milieu professionnel de Toulouse et de ses environs. On y voit patrons de salles, organisateurs de festivals, presse spécialisée. Une vraie vitrine donc… Et beaucoup, beaucoup de trac à la clef ! On n’en doute pas !
C’est Laura Wild, 1er prix 2017 qui entre d’abord en scène. Son visage s’éclaire d’un sourire à vous soumettre immédiatement à son univers. Vêtue d’une belle tenue noir profond, ses longs cheveux et ses yeux clairs lui dessinent une silhouette de chanteuse folk. Avec son ukulélé, les sons délicats qu’elle en tire, avec sa voix superbe, et un zeste indéniable de sensualité, avec la chanson Géorgienne qui ouvre son concert, évidemment on lui accorde notre attention. On veut bien suivre sa trace, on veut bien être du voyage. D’autant plus qu’elle nous promène dans des chansons en d’autres langues, et que celles en français offrent un univers sensible, délicat, où même l’amour fait peur… Pourtant on finira par l’abandonner. Difficile de tout comprendre. Elle joue tellement de ses silences – ce qui est évidemment parfait pour attirer, capter son auditoire au départ – de ses confidences murmurées entre les chansons, de ses gestes – ses mains qui se tordent – que l’on ne sait plus si c’est la construction d’un personnage ou simplement un excès de timidité. Bien naturel en somme quand on fait ses premiers pas en scène et que l’on est au Bijou à Toulouse ! On reviendra écouter Laura Wild, un nom de scène qui colle bien à cette énigme perçue… On reviendra écouter cette jeune chanteuse qui pourrait avoir un petit quelque chose de Camille Hardouin ou de Lior Shoov…ou même d’Angélique Ionatos.
L’autre féminine de la soirée c’est Clara Sanchez dont on a déjà perçu l’intention. C’est une très jeune chanteuse – vingt deux ans seulement – qui s’est inventé un personnage populaire, une gouaille des années 30, avec son accordéon, imposant – mais pertinent ! – compagnon, pour elle si petite. Elle plante sur sa tête un petit béret savamment incliné sur son oreille gauche. Sa coiffure est un langage : sur son épaule droite tombent ses cheveux ramassés en boucles légères, à gauche ses cheveux sont rasés… Comme une image paradoxale, ce portait de femme –fleur et d’audacieuse à laquelle il vaut mieux ne pas se frotter. Drôlement culottée parfois la petite qui traîne du côté des putes et des bordels. Drôlement culottée de chanter les mots des hommes ! Un tantinet provocante c’est sûr. Comme ses aînées du siècle passé qu’elle aime. Femme libre, penchant anarchiste et qui entend le faire savoir. Tout ce qu’il faut pour chanter au coin d’un bar où s’échouent les solitudes… Comme Pierrette d’Orient l’accordéoniste de Robert Doisneau… Ce regard planté droit dans l’objectif ! Allez voir Pierrette d’Orient et Mme Lulu – Bassin de la Villette (1953) et vous aurez une petite idée de ce que peut vous dire le répertoire de Clara Sanchez, la chanteuse de café. Sa reprise de la môme Piaf dans L’accordéoniste finit de nous convaincre de sa place singulière de chanteuse suspendue sur son fil, entre hier et aujourd’hui.
Pour finir, on a une joie véritable à présenter Matéo Langlois, 1er prix du « tremplin » 2016, et quelques unes de ses chansons d’un projet nommé La mouette libre. Ce jeune chanteur nous apparaît d’abord comme un chercheur, un bricoleur de sons. On s’est embarqué au départ dans un univers sonore, celui de la cité, et ce moment s’apparentait à une démonstration, entre beat box, sons électro, synthétiseur, boucles sans fin… On prend au vol ces mots : « Tous les matins, il sucre son café avec de l’amertume… » On s’attend donc à un voyage dans un monde gris et froid. Mais quand il s’en vient au piano, qu’il évoque une femme, une fleur que l’on peut respirer, une évocation sensuelle, charnelle, quand le piano agrémente le texte avec la virtuosité du pianiste de jazz, on se dit qu’il se passe quelque chose. On pense irrésistiblement à Michel Jonasz. Les textes des chansons dénotent une vraie recherche poétique. On aime quelques images fortes « Vivre si c’était comme un livre » avec ce solo au saxophone… Ou bien cette quête de soi, de sens, au bord de la mer et ce vol de mouette, sa grâce comme réponse. Le jeune chanteur paraît libre, vrai, sans forfanterie : simplement musicien très doué et amoureux des mots, même s’ils sont trop petits, les mots, pour tout exprimer…
On est bien prêt à croire cet aveu bienfaisant : « La vie c’est sans effort, je suis prisonnier volontaire. »