Romain Didier – Souviens-moi, 2021 (© droits réservés)
5 novembre 2021 – Souviens-moi
En écho au 11e album 12 titres de Romain Didier, sorti le 24 septembre 2021
Avec
Romain Didier (textes, musiques), Thierry Garcia (guitares), Thibault Niobé (basse), Kentin Juliard (batterie et programmation), Catherine Petit (violons), Niobé (oudou, bugle)
Avertissement : Ce texte ne saurait passer pour une chronique. C’est une pure fiction, un jeu d’écriture où se trouvent insérés en caractères gras les 12 titres de l’album et quelques mots, expressions, empruntés ici ou là aux chansons.
1. Merci d’être venus – 2. Je me souviens du bal – 3. La goutte d’eau – 4. La nostalgie – 5. Le Prince sans royaume – 6. Une aberration – 7. La femme qui sommeille – 8. Si on ne s’aime plus en duo avec Catherine Petit – 9. On dirait qu’ça passe – 10. On n’est pas à Vérone – 11. La maison tout près d’Avranches – 12. Une chanson de Sylvie Vartan
Du gris, du rose sur la vie*
« Merci d’être venue, Odette ».
Elle regardait cette main fine qui se tendait et qu’elle osait à peine serrer. L’homme qui l’accueillit en s’inclinant avait ce petit je ne sais quoi de gracile qui lui fit penser immédiatement : J’aime deviner chez les hommes la femme qui sommeille en eux… Elle se sentit frissonner de la tête aux pieds en l’entendant dire : « Cette maison est maintenant la vôtre… » Il esquissa un sourire complice en s’écartant pour la laisser passer.
Odette fit quelques pas vers la fontaine. Elle s’y arrêta comme à bout de souffle. Elle retira ses gants et se mit à suivre le mouvement de l’eau du bout de ses doigts. Là, maintenant, elle aurait voulu suspendre le temps, être la goutte d’eau transparente et légère avant sa chute dans le bassin… Rêva-t-elle de l’océan comme dans la maison tout près d’Avranches ? Elle ôta son chapeau cloche et sentit un souffle taquin jouer dans ses boucles brunes.
L’homme était parti sans qu’elle ne s’en aperçût. Elle pensa : « Allons mon cœur, calme-toi. On n’est pas à Vérone. Il n’est ni roi, ni prince… À moins que… Un prince sans royaume ? » Elle rit de ses pensées en embrassant du regard, les cyprès, les pins en corole, l’imposante statue de la Dea Romana et surtout, surtout la somptueuse villa blanche, la villa Médicis.
Ses pensées caracolaient, l’étourdissaient depuis qu’on lui avait remis Le Grand Prix de Rome de peinture. Était-ce seulement la réalité, cette récompense jamais remise à une femme ? Elle devinait que pour beaucoup, en 1925, c’était une aberration. Pensez donc, elle avait à peine 21 ans !
De cet instant précis, Odette devait se souvenir toute sa vie. Plus de quarante ans plus tard, alors qu’elle cheminait sans le savoir vers une fin précoce, elle aimait évoquer ses années de jeunesse sur le mont Pincio, à Rome. L’aventure italienne, disait en riant sa petite fille.
« Je me souviens de tout, des terrasses, des fontaines, des cafés, des soutanes, de la première cigale qui déclare la saison, de l’éclat de la lune, des nuits d’été et du manège sidéral… Je me souviens du bal, des lampions qui s’éteignent… »
Du gris, du rose sur la vie ; la nostalgie avait un goût de paradis.
Elle poursuivait sans même se soucier d’être entendue : « La jeunesse, les promesses, les jamais, les toujours, les jeunes gens aux mains fines, on dirait qu’ça passe, que le temps les efface. Mais, non, ça reprend sa place. L’important, c’est d’aimer la vie, de s’aimer encore… Venise fait naufrage si on ne s’aime plus… »
Et voilà que l’Italie, Rome, la villa Médicis, revenaient la visiter.
Sa petite fille était loin, elle ne l’écoutait déjà plus. Elle dansait devant le transistor qui diffusait une chanson de Sylvie Vartan.
*Texte librement inspiré de la vie d’Odette PAUVERT (1903 – 1966), première femme à recevoir le Grand Prix de Rome de peinture en 1925 avec son tableau La légende de Saint Ronan.