Pascal Mary – Album Presque– 2018 (©Lucie Larrive)

Pas­cal Mary – Album Presque, 2018 (© Lucie Larrive)

2 février 2018 – Nou­vel album Pas­cal Mary, Presque

Avec
Pas­cal Mary (paroles et musique, chant) & Mar­tin Le Ray (pia­no)


Cer­tains albums sont des fenêtres qui s’ouvrent sur le charme. L’indicible charme, qui vous appelle vers l’Ailleurs. Fût-il sombre et dou­lou­reux, on s’y laisse trans­por­ter pour goû­ter la saveur d’être vivant, pour lais­ser venir à soi les émo­tions les plus sub­tiles. Le nou­vel album de Pas­cal Mary est de ceux-là, de ces pas­se­relles que l’on emprunte pour atteindre le Beau et le Vrai. Il convien­drait de mettre en garde avant de s’y plon­ger. Bien choi­sir le lieu, le moment pour ne rien perdre de cet ins­tant pri­vi­lé­gié. A l’abri du tumulte du monde.

On dira d’abord qu’il est bon d’avoir l’album dans les mains pour plon­ger son regard dans l’immensité de l’image offerte où n’apparaît plus le visage de l’artiste mais une aqua­relle de Lucie Lar­rive, entre bleu tendre et tons jaune-oran­ger. Le temps pour­rait alors faire une pause.

La voix est douce et claire, sans effets, sans emphase. Elle est celle du confi­dent, du com­plice. Elle sait chan­ter à notre oreille les sons doux et cares­sants, elle sait aus­si se faire joyeuse et mali­cieuse, épou­ser les méandres impré­vi­sibles de la vie : « La vie c’est rires /​La vie c’est pleurs /​La vie c’est du noir en cou­leurs /​La vie c’est tran­chant comme du velours /​La vie c’est long et puis c’est court. » Tout et son contraire, c’est ain­si que se ter­mine l’album sur une musique que l’on ver­rait chan­tée en des­cen­dant le grand esca­lier du Casi­no de Paris. Car Pas­cal Mary et le pia­niste Mar­tin le Ray ne manquent pas d’humour. Dans un registre sou­vent très jazz, très swing ils nous ramènent au temps des caba­rets. C’est une musique sur laquelle on danse, on sau­tille, on s’émeut, on pleure… Bien enten­du, on s’amuse volon­tiers à sai­sir au vol des sou­ve­nirs comme la Chan­son sait en semer dans nos mémoires. Par ins­tants on croit entendre Léo Fer­ré qui se serait dépouillé de la gran­di­lo­quence, Her­vé Suhu­biette pour par­ler tou­lou­sain, ou Laurent Viel pour par­ler pari­sien, Michel Del­pech, plus sûre­ment Michel Legrand… Enfin, pour tout dire c’est une voix qui nous devient fami­lière, intime, cor­diale. En un mot, amie.

Pas­cal Mary chante pour aller au- devant de nous tous, qu’il use du pro­nom « nous », ou bien « on ». Qu’il nous nomme « petit homme » ou « petite âme » ou qu’il nous tutoie. C’est bien de nous tous qu’il s’agit. Tous pareils, chante-t- il. « Quand le bon­heur boîte et bégaye /​Tous pareils »… Nos sem­blables, nos frères sont par­fois si fra­giles. Les éga­rés, ceux –mêmes que Bar­ba­ra évoquent dans Le Mal de vivre, ceux qui n’ont pas eu la force de conti­nuer leur che­min, qui ont « refer­mé leur des­tin » ceux là aus­si nous ressemblent.

Chez Pas­cal Mary pas d’exclusivité égo­cen­trique. L’entrée en matière de l’album est à cet égard très signi­fi­ca­tive avec Sans fin, remar­quable évo­ca­tion des étapes de la vie. De la nais­sance « C’est à grands coups d’ pous­soir /​Qu’on t’a viré du dor­toir » à la mort « Tiens v’là l’cimetière /​C’est pas­sé comme un éclair »… Car s’il est une ques­tion qui taraude, qui obsède, c’est bien notre fini­tude et la grande énigme de l’au-delà. On peut même dire que, dans cet opus, c’est le leit­mo­tiv, le fil… Simple allu­sion ou car­ré­ment sujet de la chan­son comme l’indique le titre épo­nyme Presque : « Encore un pas j’y suis /​Connaî­trai-je enfin le mys­tère »… La plus émou­vante chan­son reste sans doute Maman, écrite, nous le pres­sen­tons, à l’encre amère des larmes, au moment de se dire adieu. Au revoir ?… Com­ment savoir ? On vou­drait remer­cier l’artiste pour ces mots : « C’n’est pas à toi que j’dis adieu maman /​Mais à ton corps qui s’est fait vieux maman /​Et comme tes yeux sont des étoiles /​Dans les cieux tu s’ras pas plus mal maman ».

L’écoulement des jours, « ce sen­ti­ment de n’être jamais ras­sa­sié » (Qui sait), la vie même reste un grand mys­tère. Alors reste à croire en l’Amour, le seul capable de don­ner du sens. Reste à trou­ver son doux Souffle-dou­leur, celui/​celle qui ne s’arrêtera pas aux « orages… à ces pay­sages où [le] cœur va sans âge /​Ni rai­son ». Reste à vaincre les peurs et les dés­illu­sions, à pas­ser au-delà des déchi­rures. Que l’on garde l’humour et les armes bien four­bies (Un homme mort) ou bien que l’on dénonce la dou­leur, la ful­gu­rance et le dan­ger du regard qui vous fou­droie, vous aveugle (Comme un aveugle à la fenêtre).

Cet album c’est enfin un appel à aimer « Les jours où je dépose /​Et les armes et les roses sur la page »… Une invi­ta­tion au voyage au Jar­din des délices… Lar­guons les amarres, « Déri­vons de concert /​Sachons quit­ter le port ». Culti­vons « des fleurs entre les pierres ».  Offrons-nous un voyage à Cythère, seule réponse pos­sible à la menace du temps. Allons nous perdre dans une aqua­relle de Lucie Larrive.

Désap­pre­nons l’ailleurs
Le manque et l’autrement
Vivons toutes les heures
Sans reproches et sans peurs
Comme à la der­nière heure
Comme au pre­mier instant