Rue de la Muette, Ombres chinoises (© droits réservés)

Rue de la Muette, Ombres chi­noises (© droits réservés)

Rue de la Muette – Ombres chi­noises

Album, 2015

Avec Patrick Ochs (chant ), Gilles Puy­fa­gès (accor­déon), Vincent Mon­dy (cla­ri­nette basse, cla­ri­nette), Sib (saxo­phone sopra­no), Éric Jac­card (per­cus­sions, batterie)


Il faut par­ve­nir à s’arracher à l’immersion dans ces nou­velles chan­sons de Patrick Ochs et de ses trois amis, en extraire le suc, dire ce qui pal­pite là sous la blouse, ce cœur tou­ché au vif. Pour­vu que ces mots posés sur d’autres mots, mêlés aux atmo­sphères sonores, sachent créer l’envie de par­ta­ger ce monde, cette éva­sion vers un ailleurs.

Car Patrick Ochs, sa voix de rocaille ou de galets bal­lot­tés, usés par des flots amers, les cla­ri­nettes, l’accordéon nos­tal­gique, les déli­cats frô­le­ments de cym­bales ou le cajun, vous alpaguent et vous entraînent dans leur sillage. De la pre­mière à la trei­zième chan­son ils ne vous lâche­ront pas.

La tra­ver­sée est mou­ve­men­tée, car cette mer-là n’est pas d’huile. On a par­fois mal à l’humanité qui cherche son che­min, qui « men­die l’amour, toute la vie on espère tou­jours une vie plus belle… ô vie cruelle ! » (Men­diants), qui s’égare par­fois quand elle se résume à « mon­ter, mon­ter l’escalier sans jamais fati­guer, j’ai pous­sé ceux qui me gênaient, j’suis pas­sé devant, j’ai pen­sé que je ne tom­be­rais jamais » (Regar­dez tom­ber les gens). On a mal à cette huma­ni­té qui crie sa révolte quand des mil­lions de gars meurent dans la boue des tran­chées (la reprise de La chan­son de Craonne clôt l’album). N’est-elle qu’ombres chi­noises, cette vie-là ? Quand elle ne suit plus cette ombre, qu’on ne peut plus la faire dan­ser, on devient trans­pa­rent, on reste seul au milieu de la ville, on n’existe plus (trou­blante Ombre chi­noise).

Mais ces chan­sons abordent sur­tout des rives irréelles, bai­gnées de brume et de nuit, les rives du sou­ve­nir (Mar­vin, ce train arrê­té en rase cam­pagne et cette ren­contre qui change la vie – à jamais – ou bien cette appa­ri­tion de Ray Charles dans un récit très ciné­ma­to­gra­phique : La valse de Ray) à moins que ce ne soit plu­tôt celles du rêve et sur­tout du rêve amou­reux jamais assou­vi : La nuit je mens du regret­té Bashung, où le texte len­te­ment égre­né, sub­ti­le­ment accom­pa­gné par un accor­déon lan­gou­reux, prend une dimen­sion poé­tique subli­mée, Malaï­ka, adap­té de Fadhi­li William, « Malaï­ka ça veut dire mon ange… j’aimerais voler sous tes ailes » ou N’allez pas au bal de la marine où l’on pour­rait aper­ce­voir Del­phine Sey­rig et Mickaël Lon­dasle val­sant « juste avant la guerre, à la lueur des chan­de­liers » sous le regard de Mar­gue­rite Duras.

Reste à par­ler de l’enfance et de ce qui en sub­siste en nous, de nous car, dans cet album, elle est là, pal­pi­tante. Dans l’Assas­si­nat, récit poi­gnant d’un soir qui peut chan­ger l’Histoire, les enfants appa­raissent « affa­més », en déroute, sem­blables aux Effa­rés de Rim­baud, « ayant de la peine à oublier les chaînes qu’ils venaient de bri­ser. » Dans Petits enfants ils forment un cor­tège noc­turne, un défi­lé de cirque oublié, méta­mor­pho­sés sou­vent en ani­maux, élé­phants, léo­pards, chim­pan­zés, jaguars… pen­dant que « les adultes endor­mis se reposent des jour­nées de soli­tude et d’inquiétude. » Mais sur­tout c’est la valse de Peti­lou qui met sa note tendre sur le che­min de la course du temps de son grand-père dont il lâche la main, tout comme le tableau que des­sine aux cou­leurs de Marie Lau­ren­cin : La vache qu’un gar­çon était en train de traire. Comme toute fable elle parle aux enfants mais encore plus à l’adulte ! « Cha­cun mange plus petit que soi »… C’est un bijou cette chanson-là.

Rue de la muette c’est quinze ans de tour­nées, cinq albums, tant et tant de scènes, plus de mille. On espère que ces chan­sons d’Ombres Chi­noises, écrites, com­po­sées à quatre pen­dant quatre mois en Dor­dogne, iront loin, à la ren­contre de mil­liers de regards et de cœurs, por­tées par les musi­ciens, sur­tout par la voix et le corps de l’homme qui danse : Patrick Ochs.

Article initialement publié sur le site Nos Enchanteurs :

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