Strange Enquête, Mettre son sac à l’arrière (©Patrice Camparmo)

Strange Enquête, Mettre son sac à l’arrière (© Patrice Camparmo)

5 octobre 2017 – Strange Enquête, nou­vel album Mettre son sac à l’arrière

Sor­tie offi­cielle le 24 novembre 2017, dis­po­nible à la sor­tie des concerts à par­tir du 5 octobre, concert au Bijou

Avec

Jérôme Pinel (textes, voix) & Manu Mou­ret (contre­basse)

Les illus­tra­teurs : Jean Gil­bert Capriet­to, Joe, Guil­hem AndrieuGérard Gar­cia, Julien Gui­net, Franck Tour­rel, Lily Luca, Maryse G., Habib Has­naoui, Tolo, Xpo Aero­son, Lely Meow, Patrice Cam­par­mo


Quand on n’a pas la mer, on se l’invente

Et on fait du rou­lis des voi­tures qui passent au loin sur la nationale 

Le rou­lis de ces vagues qui s’échouent l’une après l’autre sur la grève d’une plage 

On rêve

Quand on n’a pas la mer, on se l’invente

Et on fait du rire cris­tal­lin qui tra­verse la cime des arbres 

Le chuin­te­ment dis­cret d’une dune qu’une brise noc­turne cha­touille par le grain de sable 

On rêve 

Quand on n’a pas la mer on se l’invente

Et on fait du bruis­se­ment d’un vête­ment qui glisse sur l’épaule nue d’une femme

Le bruis­se­ment d’un navire fen­dant le large, le souffle de l’horizon hur­lant dans les cordages 

Et on rêve à demain comme d’un port où l’on accos­te­ra à l’aube

Le cœur plein d’entrain à l’idée d’en décou­vrir un autre

Le cœur qui s’emporte à l’idée du grand inconnu

Des dan­gers, des tré­sors que l’on n’aurait jamais crus

Et nous sommes argo­nautes du jour qui arrive

A l’assaut de la vie quand nos yeux s’ouvrent sur la rive

Quand on n’a pas la mer, on se l’invente

Et on s’endort en écou­tant le vent et tous les rêves qu’il chante

« Quand on n’a pas la mer, on se l’invente On rêve »

« Quand on n’a pas la mer, on se l’invente

On rêve »

C’est ain­si que tout pour­rait com­men­cer. Avec ce qu’il est juste de nom­mer un poème, emprun­té à la série des cinq « inter­ludes » de l’album qui déroulent un récit plus intime. La contre­basse y répète une sem­blable escorte. C’est ain­si que vous pour­riez écou­ter cet album, en com­men­çant par ce titre, le dix-sep­tième… Étrange, non ?

Un disque qui com­pile tant et tant d’invitations au voyage, d’invitations à par­tir. Dès le pre­mier texte c’est « l’asphalte [qui] nous aspire »… « Accro­chez-vous à mon rêve ! » Un long tra­vel­ling, camé­ra fixée au tableau de bord, quand défilent les mornes décors urbains « à l’heure de par­tir » … « Der­nier feu-rouge, der­nier car­re­four »…

« Fureur de vivre à la pointe du pied… Cap au large, en avant toute ! »

Le visuel de l’album nous montre deux gars, une contre­basse, un ciel immen­sé­ment bleu gris, un lieu per­du au milieu de nulle part, une sta­tion ser­vice comme notre ima­gi­na­tion en des­sine au Texas, au Neva­da, enfin, très loin d’ici… ! L’asphalte au pre­mier plan. Les deux gars attendent… Rêvent-ils ?

Vous ouvrez alors cet album que vous tenez dans vos mains et ces deux gars, per­dus dans la plaine, au bord d’une route guettent, visages tour­nés dans la même direc­tion. La contre­basse est tou­jours là.

Les textes de Jérôme Pinel nous embarquent dans des his­toires où l’accompagnement de la contre­basse, aux res­sources sonores infi­nies sous les doigts – et les pieds ! – de Manu Mou­ret, sou­ligne les temps forts, les scan­sions syl­la­biques d’une voix aux accents du Sud. Car ne vous y trom­pez pas, ce que vous enten­dez sur cet enre­gis­tre­ment c’est bien ce que vous voyez en scène : un duo, voix et contre­basse, à laquelle s’ajoute tous les effets pro­duits par son ampli et ses pédales d’ef­fets. On vous le dit, une nou­velle fois, Manu Mou­ret à la contre­basse, c’est l’homme orchestre.

Cet album, c’est la soif de vivre. La soif et la faim de tout ce qui fait fré­mir, vibrer, tan­guer aus­si… Comme cette nuit d’une Nou­velle aven­ture, chambre 44 et cette « claque, cette grande claque » qu’inflige la nais­sance d’un petit… Ce petit on le retrouve sou­vent, à l’arrière de la voi­ture – « il est toute votre vie » – dès le pre­mier titre, mais aus­si dans cette aven­ture aux appa­rences trom­peuses de drame, Déso­lé vrai­ment. Et sur­tout, il est là, ce fils, en fili­grane de ce long texte de dix minutes, épi­logue de l’album, « pied au plan­cher dans du vide ». À nou­veau en route, « on est tous pas­sés au plan C », après pas mal de pelles… On finit par par­ta­ger la voix inté­rieure de l’artiste nomade, sai­si sou­dain par le doute, la peur des effets de son absence : « J’ai peur que la porte s’ouvre et puis plus rien… » Car ceux qu’il aime sont là, pas­sa­gers clan­des­tins du voyage, dans l’ha­bi­tacle de la voi­ture, dans ses yeux de pas­sa­ger qui jette un œil sur la ban­quette arrière. C’est l’i­mage de cou­ver­ture du livret.

L’album nous amuse par­fois quand Jérôme Pinel s’en prend aux dérives gro­tesques de notre huma­ni­té. Quels textes savou­reux Les pis­cines gon­flantes et sa famille Kin­der sur­prise, ou bien – plus sombre- Tue-moi. Le plus sou­vent l’album nous émeut pro­fon­dé­ment. Quand l’histoire dépeint l’effet dou­lou­reux d’un seul mot Chi­ca­go, « le genre de petit mot qui vous écorche les oreilles », la cité ain­si stig­ma­ti­sée, « déver­soir à ragots ». Quand on hésite entre ce « vieux palace à fan­tômes » qui nous habite tous et le vent qui [nous] appelle. Quand Les jours off déroulent la « vie en stand by » les jours de doute, de perte de sens, ces jours où le poète écrit… Quand l’homme dans son T3 danse chaque soir avec sa fureur de vivre… « C’est de la rage qui sort » dans son corps, sous ses pas, et « quand il ouvre, sur le trot­toir, le monde est moins froid ». Quand une petite valse accom­pagne le cha­grin d’un fils à l’évocation de sa mère ter­ras­sée, dans sa mai­son de retraite, par l’apparition sou­daine d’un sou­ve­nir… Une tra­hi­son amou­reuse… Enfin bien sûr, on ne sau­rait oublier Alain, le « concierge d’un lycée qui se désa­grège » et ses récits fan­tasques qui font rêver.

Le moment est venu de vous dire que l’album s’accompagne d’un livret de des­sins, une illus­tra­tion signée d’un artiste dif­fé­rent pour chaque titre. Un pro­lon­ge­ment, une lec­ture, une invi­ta­tion à croi­ser les expres­sions artis­tiques, comme le duo Strange Enquête aime le pro­po­ser déjà dans ses clips. On attend main­te­nant le recueil des textes qui per­met­tra de mettre en lumière l’originalité et la force indé­niable d’une écri­ture, unique dans le pay­sage de la chan­son, celle de Jérôme Pinel.