Daguerre – 107218 km/h –  2019 – (©LamaoEditions)

Daguerre – 107218 km/​h, 2019 (© LamaoEditions)

25 février 2019 – Daguerre, 107218 km/​h

2e album-livre chez Lamao Edi­tions – sor­tie offi­cielle le 20 mars 2019 en librairie

Avec
Oli­vier Daguerre (gui­tare acous­tique, chant), Michel Fran­çoise (réa­li­sa­tion – gui­tares élec­triques, per­cus­sions, basse, chœurs)
Musi­ciens addi­tion­nels :
Mikaël Bentz (vio­lon, alto), Lucas Riz­zot­ti (kora), Riko Ger­main (cla­ri­nette)

Paroles et musiques : Michel Fran­çoise /​Oli­vier Daguerre

Illus­tra­tions : Sarane Mathis 


« La terre se déplace sur une orbite autour du soleil à la vitesse moyenne de 107218 km/​h sans jamais dévier de sa tra­jec­toire mais sans jamais repas­ser par le même point. »

107218 Km/​h

107218 km/​h …Où peut bien nous mener ce chiffre ? Que sommes-nous sur cette Terre, cette pla­nète qui suit son orbite infa­ti­ga­ble­ment, sans se sou­cier de nous ? Chiffre ver­ti­gi­neux, pro­fon­deurs abys­sales de nos inter­ro­ga­tions sans réponse…

C’est en musique, réso­lu­ment rock, au son des gui­tares élec­triques de Michel Fran­çoise, presque obsé­dantes, envoû­tantes, au son d’une ryth­mique per­cus­sive, sou­vent très mini­ma­liste que la voix d’Oli­vier Daguerre tente de répondre. Cette voix est à elle seule un appel au voyage, dans les tré­fonds du cœur. « Loin­taine, et calme, et grave » on aurait envie de pour­suivre sur les traces du poète, « elle a /​L’inflexion des voix chères qui se sont tues. » Car dans ce nou­vel album elle est pla­cée au tout pre­mier plan. Elle a le grain du vivant, des heures rabo­tées au temps qui passe, aux amours, aux aspé­ri­tés d’une vie d’être humain qui n’a rien lais­sé pas­ser… On se sent lit­té­ra­le­ment por­té, on la suit dans ses méandres, du mur­mure au cri. Comme nous y appelle le des­sin de la cou­ver­ture, signé du jeune Sarane Mathis, qui avait déjà accom­pa­gné le pré­cé­dent album-livre. Une encre qui écla­bousse la page, des lavis qui des­sinent des ombres et des éclats de lumière, des per­son­nages en prise avec des espaces et du temps…

Cette fois, après les noirs et les dégra­dés de gris de La nuit Tra­ver­sée, c’est du bleu. Que du bleu. Du bleu du ciel, du bleu de l’eau, de la mer. Des écla­bous­sures de bleu dans la tête, dans le cœur bat­tant de l’homme qui pour­suit son voyage, un voyage inté­rieur que pro­posent les chansons.

La cou­ver­ture nous montre une route, un couple juché sur une moto, la pas­sa­gère, che­veux au vent, ouvre grand les bras. La route les aspire…

Tour­nons les pages. Nous retrou­vons le couple, ados­sé à un arbre. Cha­cun semble iso­lé, absor­bé dans ses pen­sées… La moto attend au loin… Au fil des pages, elle et lui paraissent s’opposer, s’affronter en gros plan. Les mots du titre de la chan­son Dans l’incendie claquent alors au milieu. Puis une porte, une entrée dans le creux d’arbres immenses… On songe à l’entrée des Enfers dans le mythe d’Orphée et Eury­dice. Écla­bous­sure page sui­vante : l’eau qu’essaie de balayer le mou­ve­ment obs­ti­né de l’essuie-glace…

On retrouve le couple, sépa­ré cette fois. Lui semble pour­suivre sa route, seul, loin devant elle, avant que plu­sieurs pages n’offrent des pay­sages, des éten­dues de bord de mer, l’éclaboussure d’une ava­lanche, un banc soli­taire que la femme plus tard vien­dra occu­per, face à l’immensité.

Du ciel. De l’eau.

Enfin, au der­nier cha­pitre, une image étrange de sta­tion de métro, comme échouée sur le sable après un cata­clysme, puis un voi­lier sur les flots et ces mots qui se détachent sur les fonds sombres « Et s’élève le chant des sirènes /​Les âmes en pleurent, les âmes en peine /​S’élève le chant des sirènes… » Enfin de nou­veau la route, une route de mon­tagne, la roche d’un côté, le pré­ci­pice de l’autre, une route qui se perd dans un série de virages avant le der­nier des­sin où l’on devine des branches d’arbre, se décou­pant sur le ciel… Une dédi­cace : A Ouzon.

On avoue se lais­ser conter une his­toire au tra­vers de ces pages. Et c’en est une autre, dif­fé­rente, quand on feuillette le livre en écou­tant les chan­sons, avant qu’une troi­sième lec­ture ne soit pos­sible à tra­vers les seules chansons.

Voyons un peu cette his­toire, celle que racontent les chan­sons, dans le pro­lon­ge­ment de La nuit tra­ver­sée.

Comme par­ta­gé par la ligne vir­tuelle de l’Equateur, l’homme est sans cesse habi­té de ten­sions contraires. « Il y a deux mondes, deux hémi­sphères ». Il se sent comme pris « dans l’œil du cyclone » et la ren­contre de l’Autre, même s’il voit son nom par­tout, reste un che­min de croix. Alors, la quête noc­turne et dou­lou­reuse conti­nue « Bou­le­vard des ombres »… Vient ce refrain – un son, une accroche tel­le­ment proches d’Alain Bashung…- qui pour­rait être repris par tant d’entre nous « Celui qui s’en va, s’en veut /​A petits pas, sur­pris /​Celui qui s’en va, s’en veut /​Il sait ce qu’il détruit ». Iné­luc­ta­ble­ment « cha­cun reprend sa vie » et tend vers demain, « Tour­ner le page et chan­ger de cha­pitre » avec cette volon­té farouche, « Fran­chir le Rubi­con », et tant pis… Tant pis pour « les poings ser­rés, le mors aux dents ». Comme Fran­cis Cabrel chante « Quoi que tu fasses, l’a­mour est par­tout… Dans les moindres recoins de l’espace », Daguerre sait bien que l’on n’échappe pas à cette loi : « Refaire et défaire… Tu peux tou­jours chas­ser la pluie » rien n’y fait, on est tou­jours prêt à « fon­cer dans les bar­rières /​Pour cueillir une fleur… » Mal­gré les « ava­lanches » sur nos vies, on se sent prêt à « [peindre] d’autres hori­zons /​Les yeux fer­més »…

Les chan­sons de cet album semblent nour­ries du même constat, de cette lutte sans mer­ci, de cette envie de vivre, du refus de faire sem­blant, de se conten­ter de jouer à « pigeon vole »… Peut-être est-ce ce qui explique les réfé­rences nom­breuses aux mythes antiques ? L’homme est appe­lé à « [ouvrir] les fenêtres, à esca­la­der »… car « la lumière est dehors » ! Par­ve­nir à faire son­ner, réson­ner tout ce qui vibre en soi, trou­ver la « colo­phane » à pas­ser sur le crin de ses émo­tions, sur les bat­te­ments de son cœur. Retrou­ver la grâce de l’enfance qui n’a cure de « la pluie gla­ciale, du sol mouillé, des pré­ten­tieux [qui] font la gri­mace », et qui laisse « un peu de bleu /​Parc Opé­ra-Bas­tille. » 

La der­nière chan­son, En poin­tillés, est un point d’orgue conso­la­teur. La dou­ceur de la kora s’invite et met sa touche d’espérance au bilan dou­lou­reux de cette tra­ver­sée, « Le temps est lourd, mer agi­tée /​Les vagues s‘écroulent sur la jetée »…

Mais « s’élève le chant des sirènes… » Et c’est pré­ci­sé­ment pour ce chant là que l’on conti­nue la tra­ver­sée… Ne jamais dévier de sa tra­jec­toire, sans jamais repas­ser par le même point.