Festival Bernard Dimey 2016 (© droits réservés)
5 mai 2016 – L’homme de la manche
Divertissement poétique à travers l’œuvre de Bernard Dimey (Nogent ‑Haute-Marne), Jean-Michel Piton (interprétation, musique), Nathalie Fortin (piano), Bertrand Lemarchand (accordéon, percussions)
Centre culturel Robert Henry à Nogent (Haute-Marne)
Quand s’installent Nathalie Fortin au piano, Bertrand Lemarchand aux percussions, dessinant ainsi un espace sonore, où « l’homme de la manche » s’installera, une voix nous parvient des coulisses. Haute, profonde, vibrante, intelligible voix. Elle envahit soudain la salle entière. C’est une prière qui s’élève à Sainte Sara, la « sainte de pierre noire », invoquée par celui qui se sent « noir de l’intérieur »… C’est donc dans une atmosphère quasi liturgique que s’ouvre ce spectacle. Elle appelle à l’élévation et nous n’échapperons plus à cette puissance-là. Il s’agit bien de cette dimension dans ce spectacle. Par le choix des textes, il nous transporte au bord du vide, aux limites de la vie, aux portes de l’au-delà. Seule échappatoire, la fréquentation d’« amis très chers, pour échapper un peu à l’époque où [il] vit ». Ils ont pour prénoms Honoré, Victor, Alexandre… Peut-on imaginer plus bel hommage à la littérature ?
La silhouette massive de Jean-Michel Piton, le visage encadré d’une barbe fournie et de cheveux blancs tombant sur les épaules apparaît côté cour… Mi-clochard, mi-ermite, il avance à pas très lents. Il enchaîne les textes qui font écho étrangement à nos vies, vie collective comme vie intime. Il est question de l’enfance perdue, paradis de ses douze ans, des musiciens des rues, rois de la romance, définitivement disparus. C’était beau, ce temps-là. « Nous le regretterons longtemps ». Mais on n’échappe pas à sa condition d’homme qui marche sur deux pattes. On a juste le choix de devenir féroce ou pas… Dimey, lui, n’aura jamais ce talent d’être féroce.
Le festivalier connaît ce soir une expérience singulière : réentendre certains textes mis en scène l’après-midi même, comme la chanson Mimi ou Châteaux d’Espagne et surtout Je vais m’envoler que Jean-Michel Piton s’amuse à transporter du côté du rap, procurant ainsi une respiration, un instant de franche comédie. Ainsi, on approche cette magie du spectacle vivant qui ajoute au texte sa part charnelle de voix, de gestes, de rythmes, de tonalités. Chaque interprète peut ainsi offrir sa re-création, sa « lecture » multipliant sans fin la portée de beaux vers.
Jean-Michel Piton a choisi une certaine grandiloquence, la tentation de la tragédie très éloignée des bars et du Beaujolais où certains seraient tentés d’enfermer ce répertoire poétique d’une exceptionnelle richesse. Approcher ainsi les textes de Dimey c’est être confronté à la tragédie de notre humaine condition, entraînée inéluctablement vers sa fin.
Dimey était clown à sa façon. « Les rires, ils sont frigorifiés » mais aujourd’hui encore, même s’il est « parti faire le con chez les anges », il nous « vend du paradis » quand on le chante, quand on le met en musique, quand on le déclame avec force comme Jean-Michel Piton ce soir.