La Belle Bleue sur la scène d’Alors Chante (© Jean-Pierre Menard)
La Belle Bleue – Le refuge
3e album (2013)
Textes de René Bergier (guitare, chant) et Mathieu Picot (guitare, mélodica, tzuras, chant) – Antoine Sorin (contrebasse, basse, chœurs), David Gouin (guitare, mélodica, didjeridoo, chœurs), Anthony Cany (batterie, percussions, guitare, chœurs)
L’album est arrivé dans nos mains, le soir des 30 ans d’Alors Chante, alors que le groupe des cinq, lauréat des « bravos du public », ouvre cette mémorable célébration. Il y a là de quoi susciter notre curiosité même si le groupe né il y a une bonne dizaine d’années, en est déjà à son troisième album. Il est vrai, ils ne laissent pas indifférents ; on comprend le choix judicieux du public. Ils occupent la scène avec toute l’énergie d’un rock incisif qui donne envie d’en goûter davantage. On pense à les entendre à de prestigieux prédécesseurs, notamment au groupe qui choisit autrefois le noir quand celui-ci opte pour le bleu…
Quoi de mieux pour affiner notre ressenti que d’écouter leur album qui offre en prime le contenu des textes ? Dans leur cas, c’est chose indispensable car le texte est poésie, presque prose parfois, serrée, dense, semée d’images oniriques. Il est bon de pouvoir lire, simplement lire le livret, joliment habillé par le graphisme de Roxane Malcavat. On tient en mains un recueil de poésie signée René Bergier, et Mathieu Picot.
Nantais d’origine, les auteurs ont plongé leur plume à l’amer de leur décor originel. Dès la première chanson (Passager) on pense à la série de BD de François Bourgeon qui nous fit tant voyager au début des années 80 : « Lumière de la foudre, les hauteurs qui se chargent /Déchargeant leurs poudres /Elles embarquèrent aux vents du dernier orage /L’éternelle nuit blanche »… On se dit que l’on va voir apparaître la belle Isa. Mais il n’est guère question d’amour dans ces chansons-là. L’écriture est un combat (Le ciment), rude, à l’issue incertaine. Pour le mener il faut qu’explosent l’énergie, le souffle (Adrénaline) qui nous poussent et ne nous laissent guère le choix sinon c’est l’apathie, l’immobilité à ressasser les mêmes souvenirs (Rembobine). On pressent comme une obsession, une peur de cet enfermement, pire que la prison de Un an sans nom… Le danger ? Ressembler à « Pierrot… Cela fait 10 ans qu’il se statufie, il en a 38, il en fait 50, un sourire figé en dit long sur son malheur ». Alors on n’a pas d’autre choix que celui d’avancer (Le refuge) d’escalader, d’aller vers la cime, quels que soient les obstacles, les épreuves « Gare aux pierres qui roulent, aux mirages, aux rapaces /Gare à toi surtout », avec le passé qui éclabousse (Hier) mais tant pis « Allez chambre le vin on porte un toast à l’aube ». Et cette marche-là s’achèvera dans une danse, La valse du miroir, pour un dernier poème accompagné au piano seulement !
Les chansons de cet album vous offrent une traversée étrange, peuplée d’êtres bizarres comme le souligne le son du didjéridoo, mêlé à celui de guitares déchirantes, de percussions quasi tribales.
Étrange, la valse lente de cet homme, « uniforme et képi », qui verbalise dans sa vie ordinaire et, un jour donne la mort, puis s’interroge… « Au hasard de mon p’tit bonhomme de chemin /Si j’avais laissé vivre ». Étrange aussi cette demi-déesse, cette reine des monts du Morimondo. Un conte, une épopée, celle des Éléphants du Morimondo (voir le clip sur leur site est conseillé !). C’est même sur des questions existentielles que l’album s’achève en longs alexandrins, lentement bercés par la guitare (L’architecte) : Mais qui m’a fait de chair et d’os, d’eau et de sang ?
Cette Chanson n’est pas bluette, elle est même exigeante, frôlerait parfois la grandiloquence, comme on peut le dire de certains poèmes de Hugo ou d’Aragon. Mais elle est faite pour être interprétée, incarnée, portée par les instruments, les voix, les corps. Et bien entendu c’est en scène qu’elle prend toute sa dimension. Ce que l’on en a vu donne à rêver de s’embarquer sur La Belle bleue pour cette traversée-là.