La Maison Nougaro aux Ponts-Jumeaux - Toulouse (© Claude Fèvre )

La Mai­son Nou­ga­ro aux Ponts-Jumeaux – Tou­louse (© Claude Fèvre)

22 août 2019 – Visite de la péniche Sanc­ta­nox

Expo­si­tion « L’enfant phare » sur l’enfance de Claude Nou­ga­ro – Ouver­ture au public de la Mai­son Nougaro 


La Mai­son Nou­ga­ro – Port de l’Em­bou­chure (Tou­louse)

« Tou­louse, je l’ai d’abord dans la peau de la mémoire. C’est une île en pleine terre. Disons qu’à tra­vers ma dia­spo­ra de racines, c’est encore ma meilleure terre d’accueil. Un sou­ter­rain à l’air libre. » Tou­louse le 9 sep­tembre 1991 (Texte manus­crit sur papier qua­drillé, figu­rant dans l’exposition)

Voi­ci que le rêve de Cécile et des tout pre­miers sou­tiens autour d’elle est deve­nue réa­li­té. Pas­sons vite sur dix ans de trac­ta­tions, retards, décep­tions, contraintes bud­gé­taires… Le 9 sep­tembre prochain,pour les quatre vingt dix ans de la nais­sance de Claude Nou­ga­ro, l’inauguration don­ne­ra lieu à une grande fête. Mais il est notoire que cette mai­son est née d’un com­bat. On s’étonne que devant l’immensité de l’artiste tou­lou­sain il ait été si dif­fi­cile de venir à bout de ce pro­jet d’un lieu per­pé­tuant son lien à la poé­sie, la Chan­son, la musique, le des­sin, à l’Art en somme.

Aujourd’hui, du jeu­di au same­di, l’entrée est libre, gra­tuite, et le pro­jet est clair : ce sera une mai­son grand ouverte sur le bruis­se­ment de la ville, sur les artistes, sur les amou­reux de l’Art… Depuis un mois la péniche Sanc­ta­nox s’ouvre sur les pre­miers visi­teurs, tous por­teurs d’une anec­dote, de sou­ve­nirs de l’artiste. Timi­de­ment les pre­miers jours, peu à peu plus nom­breux, ils arrivent sur les bords du canal, au port de l’embouchure.

Et nous pou­vons cer­ti­fier que l’eau est verte, que la brique rouge est à por­tée du regard, comme dans la chan­son… Dans ce lieu cir­cule en effet un peu de l’âme de Tou­louse. La nou­velle se répand et la péniche, ses 80 m², ont vite fait d’être bour­don­nants des inter­ro­ga­tions, des com­men­taires. Cha­cun dans l’équipe se fait fort de jouer le guide, de répondre aux ques­tions devant les vitrines qui, après 19 h, se trans­forment en tables de bar pour une qua­ran­taine de per­sonnes. On peut y dégus­ter des bons vins, man­ger un bon plat… (Ren­sei­gne­ments et réser­va­tions par mail : barbarbare@​maison-​nougaro.​fr)

Et bien sûr, on y écoute de la musique… Une pro­gram­ma­tion ne tar­de­ra pas. En atten­dant c’est un peu au gré des pas­sages et des échanges avec l’équipe pré­sente… Le pia­no de Claude (un excellent pia­no) est à la dis­po­si­tion des musi­ciens comme le sont les livres de sa bibliothèque.

Mais repre­nons la visite depuis le quai… Mon­tons, le cœur bat­tant (c’est quand même un évé­ne­ment d’être là !) les quelques marches, pous­sons la porte… Un seuil rem­pli de l’univers de Claude nous enve­loppe aus­si­tôt et nous plonge dans une créa­tion luxu­riante… Textes, des­sins, sculp­tures de femmes lianes, dont l’une illustre le titre La danse dans l’embrasure d’une fenêtre don­nant sur le quai. Des livres publiés en nombre sur Claude dont le superbe recueil en fac-simi­lé des manus­crits, édi­tion éta­blie et com­men­tée par Laurent Balan­dras. Les disques d’or, de pla­tine… On des­cend quelques marches. Il faut lever la tête pour s’apercevoir alors que le pla­fond est tapis­sé de télé­grammes signés de tous les noms illustres de la chan­son… Et sou­dain, on bénit cette époque révo­lue où les SMS n’étaient pas de mise !

La longue salle de bar se ter­mine par une petite scène où trônent une bat­te­rie et le pia­no. Tout au fond, le mur est déco­ré de l’agrandissement de l’amulette que Claude por­tait au cou pen­dant les concerts. 

Chaque vitrine com­porte une série de pho­tos, docu­ments offi­ciels, objets, assor­tis de textes manus­crits de Claude, textes tou­jours élé­gam­ment cal­li­gra­phiés dans sa langue savou­reu­se­ment poé­tique nous per­met­tant de plon­ger dans son res­sen­ti… On va ain­si de sa nais­sance – parents et grands-parents – à son ado­les­cence, à ses pre­miers émois amou­reux qu’il tra­duit dans une chan­son char­gée de soleil, Un été. Le 30 mai 2000, il revient sur sa bio­gra­phie qu’il résume ain­si « Per­ché sur un arbre généa­lo­gique ita­lo-occi­tan, ce drôle de moi­neau eut la pal­pi­tante révé­la­tion de sa propre voie, en enten­dant vers sa dou­zième année, les voix noires du jazz. »

La figure du père, ténor à l’Opéra, appa­raît comme impo­sante, auto­ri­taire, dans toute une vitrine où nous repé­rons assez vite le rôle que Claude pré­fé­rait, celui du che­mi­neau… C’est vrai que l’i­mage est forte.

On sou­rit devant l’encrier, les plumes ser­gent major et ce texte dans un petit car­net : « Ah les plumes ! J’ai toute une his­toire avec les plumes. A com­men­cer par la plume de mon enfance, la ser­gent major, l’encre vio­lette. Quand au bout de mes doigts, j’ai vu cette plume pondre des Ze, des Za, des Zi, des P, des L, j’ai com­pris que les mots seraient mes seuls mots d’ordre. »

Quel cadeau aus­si que toutes ces bandes des­si­nées de son enfance ( Tar­zan, Pam, Poum et le capi­taine Pim, Cri-Cri et les mille et une faces de Lau­rel et Har­dy…). On s’at­tarde à la lec­ture de sa copie d’élève de 3ème B, une rédac­tion cou­ron­née d’un 16/​20 et de l’appréciation du pro­fes­seur : « Très bon devoir artiste… mais qui ne sut se bor­ner ne sut jamais écrire. Ici cela s’applique mal, mais vaut en ce sens qu’il faut réser­ver du temps aux autres matières. » Il en faut bien du talent pour déce­ler dans ces mots et ce style l’admiration du pro­fes­seur ! Claude ne man­quait certes pas d’humour quand il évo­quait ses heures d’école et l’on se sent ému de lire ces mots fai­sant sûre­ment allu­sion à son spec­tacle Fables de ma Fon­taine et son banc pour tout décor : « Si l’idée d’un banc sur la scène m’a tra­vaillé, c’était, je n’en doute plus, pour reve­nir au banc d’une école fan­tôme, cancre repen­tant, pas­ser un ultime exa­men. » Et l’évocation de l’école des Minimes (appe­lée école des cochons !), de l’instit pêcheur à la ligne et ama­teur de bel can­to, ne manque pas de piquant : « Et moi le reje­ton d’un bary­ton d’opéra, il m’avait à l’œil, à l’oreille, et aux doigts, les 5… »

On aura com­pris que la visite de cette expo­si­tion est un pri­vi­lège pour qui veut com­prendre la source, le ber­ceau d’une œuvre, s’attarder sur ces années que Claude gar­dait pré­cieu­se­ment en lui. Que de traces il a lais­sées, que de mots grif­fon­nés sans fin par celui qui aimait pas­sion­né­ment la vie et savait nous en rendre toute l’onctuosité, toutes les saveurs : « Les tra­ver­sées tournent au vinaigre et les rivages de la paix n’apparaissent tou­jours pas du haut des mâts. Qu’importe, nous aimons jouer, jouer à la vie, cette incon­nue… » (Tou­louse le 6 /​12 /​98)