Les Grandes Bouches – Je te salue ma rue – 2019 – (©Thierry Clamens)

Les Grandes Bouches – Je te salue ma rue – 2019 – (©Thier­ry Clamens)

1er mars 2019 sor­tie offi­cielle du nou­vel album des Grandes Bouches

Je te salue ma rue 

Avec

Phi­lippe Dutheil  (gui­tare, voix– musiques), Fran­cis Ricard (textes, sauf Tous pareils, texte de Phi­lippe Dutheil, et J’vous dis pas texte de Magyd Cher­fi ) Anne-Laure Grel­le­ty – Madaule (per­cus­sions, voix), Arthur Guyard (cla­viers, syn­thé bass) Car­la Grau­dré(saxo­phone sopra­no, voix) Valen­tin Jar­ry (bat­te­rie) Louis Navar­ro (contre­basse) Jonas Thi­bon – Rome­ro (Per­cus­sions) William Guyard ( saxo­phone ténor) Nico­las Algans (trom­pette) Manuel Len­grand (trom­bone)- Yoann Bon­nin (Mpc), Nata­sha Kang, Cyprien Zeni, San­drine Gar­cia, Leï­la Cisse, Agathe Da Rama (chœurs)


« Est-ce seule­ment un hasard que l’on n’use plus du vocable « ensemble » pour par­ler d’un groupe de musi­ciens ou de chanteurs ? 

Il s’impose pour­tant, évident, pour dire les Grandes Bouches : L’ensemble qui chante « l’être ensemble » ! 

A chaque « tour de chant », dans chaque disque, ils réac­tivent ce désir, cette néces­si­té, ce bon­heur d’être ensemble.

IIs nous offrent avec ce nou­veau spec­tacle ce plai­sir com­plice de par­ta­ger une mémoire com­mune, et le regard aigu, la pen­sée déca­pante, citoyenne, iro­nique et réso­lue qu’ils savent poser sur le monde d’aujourd’hui. Ces chants poé­tiques sont des signes et des outils de résis­tance vitaux.

Par­ta­geons les heu­reuses et rayon­nantes sen­sa­tions de com­pli­ci­té fra­ter­nelle que leurs nou­velles chan­sons nous pro­mettent. ERNEST PIGNON-ERNEST

Ce bon­heur d’être ensemble

Cer­tains albums font figure de sym­bole, le der­nier des Grandes Bouches est de ceux-là. Sym­bole qu’il par­tage avec beau­coup d’autres d’abord : celui de la résis­tance. Résis­tance à la déma­té­ria­li­sa­tion mas­sive et sans frein à laquelle on veut nous habituer. 

Un album est d’abord un objet, un habillage, un visuel, des formes et des cou­leurs comme autant de mes­sages, avant même d’écouter celui que for­mulent les mots des chan­sons. Le for­mat de la pochette est ici tota­le­ment inha­bi­tuel, 18cm x 18cm. L’image signée du peintre Thier­ry Cla­mens, est très colo­rée, évo­quant d’emblée les graf­fi­tis, l’empilement des affiches sur nos murs urbains, des sil­houettes gros­sières, des têtes cari­ca­tu­rées, bouche grand ouverte, qui rit ou hurle, yeux tout ronds. Le titre comme tra­cé à la main « Je te salue ma Rue ».

Ce pre­mier mes­sage ne sur­prend guère car on connaît le pro­pos du groupe tou­lou­sain, des musi­ciens- citoyens, « ambas­sa­deurs de la chan­son citoyenne et fes­tive ». Ils n’ont pas atten­du les mou­ve­ments sociaux qui hantent notre actua­li­té pour évo­quer les cou­ra­geux com­bats popu­laires du pas­sé et inci­ter, dans notre pré­sent, à la vigi­lance, au ras­sem­ble­ment, au partage. 

Mais plus éton­nant est le conte­nu de la pochette. D’abord un petit livret habillé de car­ton gris qui tient faci­le­ment dans la poche. La police de cou­ver­ture évoque les carac­tères d’impression des tracts. On y trouve tous les textes et, pour cha­cun, la men­tion, des noms des musi­ciens et chan­teurs, ain­si que le lieu d’enregistrement entre Tou­louse et… New-York !

Ce n’est pas tout. Un port­fo­lio de six feuillets car­ton­nés, sur fond ivoire, illus­trés de pein­ture, porte les textes patiem­ment cal­li­gra­phiés à la plume… C’est tout sim­ple­ment un bel hom­mage à l’écriture, au livre, à l’Art enfin. Il était néces­saire de s’y attar­der, de savou­rer ce choix artis­tique qui lui don­ne­ra néces­sai­re­ment une place à part dans la pro­li­fé­ra­tion des sor­ties d’albums.

Au-delà de cet embal­lage si ori­gi­nal, Les Grandes Bouches ont sor­ti l’artillerie lourde musi­cale pour un retour fra­cas­sant au jazz, au swing, aux cuivres qui viennent si bien dia­lo­guer avec la voix de Phi­lippe Dutheil, avec les textes du poète Fran­cis Ricard. L’album s’ouvre sur les voix de la rue, ses remous, puis viennent un grand barouf d’instruments et des chœurs au refrain… Quelque chose de Ber­nard Lavilliers ou de Patrick Ochs avec Rue de la Muette dans la voix de Phi­lippe Dutheil qui déroule un texte par­lé magni­fique, un texte coup de poing rejoint par le saxo­phone qui dis­tille la dimen­sion tra­gique. « Mais les rêves se brisent comme verre /​Les étoiles changent de forme /​Quand on s’exile on change de terre /​Dieu a fait l’eau mais lui /​Il ne sait pas nager. »

A plu­sieurs reprises en effet on peut savou­rer, dans cet album, le chant du saxo­phone (Je te salue ma Rue, le Pont ou La Meute) ou celui de la trom­pette (Tous pareils). Quand le nombre d’instruments vient à se réduire très sen­si­ble­ment c’est pour mieux sou­li­gner la pro­fon­deur du mes­sage, comme en fin d’album, ce chant d’espérance et de confiance en l’humain, seule­ment accom­pa­gné au pia­no « Il y a long­temps que je vou­lais vous dire /​Qu’on peut s’aimer /​Plus long­temps autre­ment /​Qu’il reste des villes à bâtir… »

Car la vie de la rue, son lan­gage, le disent si fort, si vio­lem­ment par­fois, par­tout dans le monde, auprès des enfants « sur les flancs des vol­cans de Qui­to », , tout comme auprès des filles, « dans ma jungle, mon Ama­zo­nie », écrit Magyd Cher­fi – car nous sommes « tous pareils » – jamais ne s’éteint cet espoir, fût-il infime, dans les « veilleurs aux aguets », « les pas­seurs vigi­lants » dont sont les poètes. Même si la route est longue et dif­fi­cile… C’est un superbe texte inter­pré­té dans la tra­di­tion du rhythm’ N blues, qui nous le rap­pelle dans La ligne droite. Res­tent deux mots d’ordre dans cette huma­ni­té : ne pas détruire les ponts – Si tu détruis un pont /​Où pas­se­ra la vie ? – et se pré­mu­nir contre la ten­ta­tion de rejoindre La meute.

C’est avec le souffle lyrique du Chœur d’enfants de la Cho­rale des Petites Bouches de Mon­tech que se referme cet album qui chante l’insoumission et le goût du com­bat et de l’Aventure… Un rap sai­sis­sant où le poète se fait « sen­ti­nelle », avant que « nos pauvres mots [ne]chavirent », avant que ne se perdent les voix de la rue.

« Nous vivrons mieux 

Quand l’horizon ne perdra 

Plus son sang 

Quand la terre sera bleue 

Quand les lisières n’auront plus mal… »