Lily Luca –El Alamein – 2016 (©David Desreumaux)

Lily Luca –El Ala­mein – 2016 (©David Desreumaux)

27 octobre 2018, Lily Luca en apé­ro concert

« Espiè­gle­rie, cynisme et volupté »

Avec

Lily Luca  (gui­tare, chant)


Théâtre du Grand Rond (Tou­louse)

Si vous ne connais­sez pas encore Lily Luca, il suf­fi­ra de regar­der cette pho­to­gra­phie de David Des­reu­maux, il suf­fi­ra de dire qu’elle est l’une des chan­teuses adou­bées par Anne Syl­vestre, pour devi­ner qu’elle ne fait pas dans la miè­vre­rie ou l’insignifiance, encore moins dans la dentelle.

Alors, quand le théâtre du Grand Rond la pro­gramme en apé­ro – concert cinq jours durant, on s’efforce de ne pas la man­quer. C’est avec la cer­ti­tude d’un moment jubi­la­toire, intel­li­gent et savam­ment construit qu’on la retrouve ce soir.

Elle appa­raît dans une tenue que l’on devine étu­diée, che­ve­lure brune libre­ment lâchée sur les épaules, bouche sou­li­gnée de rouge vif, haut d’étoffe légère, à peine trans­pa­rente, short et col­lant noir pour le bas. Très vite elle plante ses yeux noirs dans ceux des spec­ta­teurs qu’elle regarde lon­gue­ment, tan­tôt mutine, tan­tôt sévère… le public esquisse déjà des sou­rires… Il est déjà dans sa poche !

N’allez sur­tout pas croire que les chan­sons de Lily Luca vous assènent pro­vo­ca­tions, colères ou dou­leurs au pre­mier degré ! C’est infi­ni­ment plus sub­til ! Car s’il ne fait aucun doute sur le sens pro­fond, sur le regard acé­ré qu’elle porte sur notre monde et ses déses­pé­rances, sur la condi­tion des femmes, sur nos vies amou­reuses brin­que­ba­lantes, c’est avec un talent fou d’auteur et d’interprète qu’elle chante. Avec elle, nous sommes pri­son­niers volon­taires de son art, de ses regards, de ses mimiques, de sa gui­tare dont elle se sert comme d’un ins­tru­ment de ponc­tua­tion, de res­pi­ra­tion, mais sur­tout nous sommes atten­tifs au pou­voir de ses mots.

Ce soir nous enten­drons treize chan­sons, par­fois enchaî­nées sans pause. Treize chan­sons dans ce lieu inti­miste, ce qui donne encore plus de force à leur mes­sage. Elles nous arrivent en effet comme autant de confi­dence même si par­fois Lily s’amuse à jouer les chan­teuses à la rage débri­dée – comme en rap­pel dans cette chan­son fétiche de son réper­toire, La stra­té­gie du fou­lard en coton – ou bien s’adresse aux enfants ou s’en va s’assoir sur les genoux d’un spec­ta­teur, tout cela à la grande joie d’un public conquis, déci­dé­ment par­te­naire de son jeu.

On aime­rait pou­voir faire par­ta­ger la sub­ti­li­té de chaque titre… Forme et fond. Le pre­mier s’adresse à l’amoureuse, Tais-toi, parce que « Les mots ça fait trop peur » – ingé­nieuse chan­son sur la stra­té­gie du silence pour com­men­cer un concert, n’est ce pas ? Puis son car­net de voyage cou­vert de ratures, sou­ve­nir per­son­nel d’un exil de jeu­nesse en Ecosse, « cœur curieux cherche impré­vu » jusqu’au jour où c’est à son tour de prendre à l’arrière de sa voi­ture un auto – stop­peur. Le ton devient plus acerbe « le long de l’eau du Rhône » à Lyon, sa ville qui « dégou­line » de puan­teurs et de dégra­da­tions – les petits la,la,la, ne font que sou­li­gner davan­tage le gris de cette carte pos­tale qui s’enchaîne sur le ton faus­se­ment enfan­tin de celle qui rêve du futur 2000 où « les scien­ti­fiques, ils auront su trou­ver la solu­tion magique ». Voi­là pour le début du concert…

On l’attend par­ti­cu­liè­re­ment, bien sûr, sur le thème de la condi­tion faite aux femmes et l’on ne sera pas déçue quand on l’entendra répé­ter J’suis open et nous conduire du rire des pre­mières situa­tions à la gorge ser­rée quand elle évoque la sur­charge des tâches, un p’tit coup de Lexo­mil, ou bien pire les rela­tions sexuelles for­cées et les coups…« Un peu de fond de teint et ça roule… » On aime aus­si ces moments d’émotion, de ten­dresse quand elle reprend cette magni­fique chan­son adres­sée au dis­pa­ru qui fait mille et une dis­crètes appa­ri­tions, « Je suis loin d’être las­sée, conti­nue de pas­ser »… Quand elle donne de la voix à ce petit gar­çon sou­mis aux dik­tats de la mas­cu­li­ni­té et qui sup­plie « Lais­sez-moi pei­gner mon poney » ou quand elle conjugue le verbe pleu­voir pour évo­quer la tris­tesse amou­reuse… « Veux-tu pleu­voir à deux ? Pleu­vons comme il se doit. »

N’aurait-elle pas rejoint les rangs de ceux dont elle se moque gen­ti­ment, les « artistes tor­tu­rés » même si elle nous pro­pose ce soir une ver­sion assez débri­dée de la chan­son épo­nyme de son der­nier album ? Ce qui est cer­tain, par contre, c’est qu’elle en a « le charme impé­né­trable » ! Impos­sible de lui résister !