Lucien la Movaiz Graine (© Claude Fèvre)

Lucien la Movaiz Graine (© Claude Fèvre)

6 sep­tembre 2015 – Julien Mal­herbe, Heu­reu­se­ment

Avec Julien Mal­herbe (chant, accor­déon, gui­tare). Mise en scène Guillaume Renault.


Café asso­cia­tif « Chez ta mère » (Tou­louse)

La veille, « Chez ta Mère » s’est rem­pli pour le quar­tet dont on peut appré­cier la forte ori­gi­na­li­té dans un mini-album, Bla­bla­bla… Le public n’a pas vrai­ment com­pris qu’il lui fal­lait abso­lu­ment reve­nir car la sur­prise est de taille ! Oui, le solo de Julien – Lucien (allez savoir où se dresse la fron­tière entre réa­li­té et fic­tion ?) est de nature à pro­vo­quer un flot de sen­sa­tions, d’émotions que l’on vou­drait savoir tra­duire en mots. Essayons !

Plan­tons d’abord le décor : en fond de scène un paravent, à jar­din un abri, une tente – on ne sait trop – au centre un coffre, à cour un tabou­ret haut, un gué­ri­don de bar, carafe, verre d’eau et bal­lon de vin rouge, tasse à café… le tout vien­dra s’habiller peu à peu de gui­tares. Du coffre sor­ti­ra à la fin de la pre­mière chan­son, un petit lapin bleu nom­mé « Ophie » – c’est si dif­fi­cile quand on est petit de pro­non­cer cor­rec­te­ment nos pre­miers mots ! – Voi­là, vous savez tout ou presque… Enfin, disons que le spec­tacle, entre théâtre et chan­sons, part de cette peluche-là, de cette part d’enfance nichée si pro­fond que per­sonne ne peut nous l’arracher et qu’il faut, quoi qu’il en coûte, la pro­me­ner avec soi… jusqu’au bout ! Ophie res­te­ra là jusqu’à la der­nière chanson.

L’histoire, de l’enfance de la pre­mière chan­son à l’âge d’aujourd’hui, c’est celle d’un gars comme beau­coup de gars, qui essaient de trou­ver leur route. Et s’il porte un tee-shirt avec le slo­gan « La vie est belle », c’est une pro­vo­ca­tion très réus­sie (à moins que ce ne soit un cri, un appel) vu ce qu’il nous chante ! Que d’ornières sur le che­min où l’on se recon­naît. Sou­vent. Et c’est la réus­site de ce spec­tacle : Lucien la Movaiz Graine nous emmène donc dans son enfance à l’abri de sa cabane (mais ça dure si peu !) dans l’adolescence où il grif­fonne ses pre­miers vers – le cahier est authen­tique ! – dans sa rébel­lion pas seule­ment capil­laire et ses ren­contres des pau­més qui nous vaut une chan­son déchi­rante, presque dans les larmes. On le suit dans ses essais d’intégration dans le monde de papa, celui de l’entreprise. La veste de velours, les lunettes cer­clées, l’air comme il faut, ne suf­fi­ront pas à le sau­ver de tous les para­dis arti­fi­ciels pour résis­ter à la désintégration.

Et c’est alors que le spec­tacle jusqu’ici dou­lou­reu­se­ment réa­liste rebon­dit dans une séquence inou­bliable grâce à l’évocation de ce qui sauve au final de la déses­pé­rance : les chan­sons, la chan­son comme famille. J’ai rare­ment enten­du hom­mage plus émou­vant (Une chan­son) sui­vi de l’apparition du per­son­nage d’Yvette : long four­reau noir, talons de cir­cons­tance, per­ruque bou­clée, son rou­le­ment de « R » inter­mi­nables. Bien sûr, c’est une appa­ri­tion gro­tesque et le public s’en réjouit inévi­ta­ble­ment avant de com­prendre qu’elle aus­si porte son lot de souf­frances si mal dis­si­mu­lées sous ses excès. On veut croire que cette « Yvette Gélé­neRR » aura dans le par­cours de Julien Mal­herbe un des­tin sin­gu­lier. Elle le mérite… d’ailleurs un enre­gis­tre­ment de ses chan­sons arrive… Alors pour­quoi pas un nou­veau spec­tacle pour elle seule, dans le sillage de « Madame Raymonde » ?

Au bout du compte ce solo nous enchante lit­té­ra­le­ment. Com­ment résis­ter à son Armée des airs ? Vrai­ment, cette chan­son vaut que l’on vous fasse par­ta­ger une strophe entière. Jugez vous-même :

Connais-tu l’armée des airs, plus belle armée de cette terre,
Chan­teurs, dan­seurs, musi­ciens, qui font pleu­rer leurs adversaires ?
Connais-tu l’armée des airs, plus belle armée de cette terre,
Sculp­teurs, jon­gleurs, magi­ciens qui font pleu­rer leurs adversaires ?
Ils se déguisent en citoyen, sans le savoir t’en es p’t’être un,
Ils te tendent leurs grands cha­peaux, que tu les aides contre le fléau.
Pour mettre fin à la bataille, ils arrosent les villes de bals,
Pas une goutte de sang ver­sée, juste des notes à la volée.

Article initialement publié sur le site Nos Enchanteurs :
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