Matthias Vincenot _ Ensemble DécOUVRIR_ Hors cadre (Ⓒ droits réservés)

11 mars 2016 – Hors cadre

Album paru chez EPM, col­lec­tion DIRE
Avec la voix de Mat­thias Vin­ce­not, les com­po­si­tions, arran­ge­ments d’Étienne Cham­pol­lion et l’Ensemble DécOU­VRIR : Étienne Cham­pol­lion (pia­no, accor­déon, per­cus­sions), Louis Thé­ve­niau (cla­ri­nette), Vincent Imbert (1er vio­lon), Ben­ja­min Clou­tour (2nd vio­lon), Flo­rian Texier (alto), Louise Har­rault (vio­lon­celle), Élisa­beth Cal­lot (contre­basse), Chris­tophe Devil­lers (contre­basse) et la par­ti­ci­pa­tion d’Éric Seys (flûte) et Ugo Berar­di (bas­son)

Sortie de l’album au Centre Malesherbes de l’Université Paris-Sorbonne

« C’est du slam à sa façon, puisque le slam pur n’admet pas de musique. C’est hors catégorie.
De la poé­sie dite, mise en valeur par un bel habillage. C’est hors format.
Un pro­lon­ge­ment de la tra­di­tion de l’oralité, dans un esprit de trans­mis­sion. C’est d’aujourd’hui et de tout temps. C’est hors mode.
De la musique aux influences mul­tiples par des musi­ciens hors pair.
Une for­mule sin­gu­lière qu’on n’a pas l’habitude d’écouter. C’est Hors cadre. »

Mat­thias Vincenot

C’est une évi­dence que cha­cun écoute avec ses réfé­rences, son his­toire, sa culture, au sens le plus large et le plus noble du mot. Alors, les mots qui nous viennent immé­dia­te­ment, en décou­vrant cet album inso­lite, Hors Cadre, ce sont ceux de Claude Nougaro :

« les mots bruis­sants, comme des rameaux
les mots cise­lés, comme des émaux »

Ces mots-là disent assez la musique d’une voix – celle de Mat­thias Vin­ce­not est posée, lim­pide, sans recherche d’effets – et le maillage des sono­ri­tés, comme bijoux tra­vaillés pour en extraire le jus sucré, la saveur marine ou le souffle cares­sant. Et la lumière.

Depuis l’adolescence, l’étudiant, puis le doc­teur ès Lettres, publie comme on res­pire. Il s’en vient offrir en scène son monde inté­rieur. Mais s’arrachant à cet intime, il s’en vient aus­si à la ren­contre de l’autre, son frère ; il par­tage et crée ain­si des évé­ne­ments : Prix Georges Mous­ta­ki qu’il crée avec Thier­ry Cadet, fes­ti­val DécOU­VRIR de Concèze en Corrèze.

Quand ce jeune homme ren­contre un autre artiste, Étienne Cham­pol­lion, poly ins­tru­men­tiste, com­po­si­teur, à l’affût de toutes les aven­tures, celui qui ne peut pas­ser inaper­çu en scène tant il accom­pagne de tout son être un pro­jet — il faut l’avoir vu aux côtés d’Émile Marsh – c’est la garan­tie d’un voyage. Un détour vers le rêve, comme le disait déjà un recueil publié en 1998, par le poète de 17 ans. On n’est pas sérieux à cet âge-là ! Pas plus qu’à trente ans, si l’on en croit cet album un peu fou, à contre-cou­rant de toutes les ten­ta­tions et ten­ta­tives contemporaines.

On conseille­rait volon­tiers de s’accorder de toute néces­si­té qua­rante minutes de pause, de s’arracher au réel pour écou­ter cet album. À l’heure où l’on com­mence à mon­trer, démon­trer, les ver­tus de la médi­ta­tion, voi­là qui pour­rait nous y conduire dou­ce­ment, por­té par la voix, les mots et ces musiques où pia­no, cla­ri­nette et cordes s’assemblent pour en esquis­ser le décor.

La musique de cet ensemble escorte avec déli­ca­tesse, pudeur et vir­tuo­si­té. Elle sublime le texte dans la tra­di­tion de la mélo­die fran­çaise dont se rap­proche l’interprétation de Tu n’es plus là par Damien Roquet­ty. Elle nous trans­porte le plus sou­vent dans des atmo­sphères roman­tiques proches d’Edvard Grieg, ou post — roman­tiques comme Camille Saint-Saëns, Gabriel Fau­ré, Ravel… mais on entend aus­si des petites valses proches de celles de Yann Tier­sen (La valse des jours de plus et sur­tout Géné­ra­tion deux mille quoi où Mat­thias Vin­ce­not convie pas moins de cin­quante-trois artistes !)

Dans la plu­part de ses poèmes, emprun­tés à dif­fé­rents recueils, l’auteur recourt au pro­nom « nous » ou « on », échap­pant ain­si à une expres­sion lyrique qui relé­gue­rait l’autre, son sem­blable, au rang de voyeur. C’est que ses images, ses sen­sa­tions, ses émo­tions — au-delà même de sa géné­ra­tion qu’il inter­pelle — sont celles de tout être humain.

L’album que l’on découvre page à page, c’est une médi­ta­tion sur le temps qui passe. Elle s’ouvre sur un mor­ceau de moins d’une minute, Au réveil, qui, sur les notes du pia­no, invite à sen­tir naître la jour­née. Il en va ain­si, de poème en poème : rémi­nis­cence tein­tée de nos­tal­gie (Tous deux sur la scène, Ce soir-là), une évi­dence « Nous sommes tous des fleurs cou­pées » (Lais­sez-nous l’enfance) des dou­leurs aus­si « Quand on tue les miens je sais d’où je viens » (Vin­tage), des révoltes comme celle du vieil homme dans son tes­ta­ment rageur, le sen­ti­ment qu’il s’en eût fal­lu de peu pour que tout fût autre­ment (Les dis­cor­dances des temps), l’évidence qu’il y a « si peu de cer­ti­tude » (Douce insé­cu­ri­té) ou gale­rie de por­traits, Des vies au vil­lage, que l’on pense avoir croi­sées tant elles nous sont fami­lières. Celles qui marinent le front plus ou moins droit… Car n’allez sur­tout pas croire que le monde et ses « comé­dies inhu­maines » sont étran­gers à cette poé­sie ! Non, ils affleurent sans cesse. Alors « on se rebelle », on essaie d’être « pirates pour ne pas res­ter à quai » (Ques­tion de voie), ou bien on se déniche Un endroit connu de nous seuls pour nous réfu­gier, à moins que l’on ne devienne « voleurs de chan­sons arra­chées à l’air du temps que nous res­pi­rons ». Et l’amour, bien sûr l’amour. Tou­jours en fili­grane. « Un amour qui irise le moindre ins­tant pas­sé », l’amour qui, heu­reu­se­ment, par­fois se pose (J’étais à deux pas du désir) et met « le monde à por­tée de mains » avant qu’il ne s’enfuie.

Au fond, pour échap­per aux choses qui changent, puisque le poète l’ose, écou­tons-le quand il écrit « Quand je serai jeune… J’aurai l’air d’être en avance ». Et alors, ensemble « nous irons défri­cher la col­line », et peut-être, qui sait, « retrou­ver le che­min » (Nous irons…).

Matthias Vincenot & l’Ensemble décOUVRIR, un détour vers le rêve (Ⓒ droits réservés)