Corentin Coko, éloge de la poésie sans façon (Ⓒ droits réservés)

10 mars 2016 – 18e Printemps des Poètes

Coren­tin Coko (accor­déon, flute, per­cus­sions, voix), Jéré­my Cham­pagne (gui­tare, trom­bone, per­cus­sions, voix)

Salle Avelana à Lavelanet (Ariège)

« POÉSIE PLUTÔT SUPPORTABLE (SANS PARACÉTAMOL)

L’enjeu de la poé­sie au XXIe siècle, c’est sans doute de ne pas res­ter enfer­mée dans la barbe de vieux mes­sieurs savants, dans des salons bour­geois de l’élite cultu­relle, dans des livres pous­sié­reux réser­vés à de pom­peux spé­cia­listes néo-poéticiens…

Lorsqu’on m’a pro­po­sé de créer un spec­tacle autour des poètes du XXe siècle (thème du Prin­temps des Poètes 2016), j’ai bien sûr pen­sé à Louis Ara­gon, à Jacques Pré­vert, à Robert Des­nos, à Guillaume Apol­li­naire, à Jean Coc­teau… J’ai aus­si pen­sé à des poètes par­fois moins recon­nus : à Gas­ton Cou­té, à Jean Riche­pin, à Ber­nard Dimey… Des poètes que j’ai par­fois mis en musique…

Mais ce que j’avais le plus envie de don­ner en public, à notre époque où le fos­sé ne fait que se creu­ser entre les ‘‘élites cultu­relles’’ et le peuple, c’est cette poé­sie écrite sans emphase, sans pré­ten­tion, avec la langue de la rue, de la terre, une langue pleine d’humour, de déri­sion – et de véri­té. On peut faire de la poé­sie avec des mots simples, des mots de tous les jours, des mots qui nous parlent. C’est d’ailleurs sou­vent le plus dif­fi­cile, de faire simple… »

Coren­tin Coko

Coren­tin Coko n’en est pas à son coup d’essai en matière d’aventure poé­tique, de recherche savante ou pas… et sur­tout de ren­contres. C’est même ce qui guide sa vie d’artiste. Alors quand il annonce qu’il va jouer en acous­tique, qu’il fera par­ti­ci­per le public, qu’il mêle­ra ses textes à ceux de Pré­vert, Apol­li­naire, Des­nos, Cou­té ou Dimey, on dit « banco » !

On est allé le cher­cher en connais­sance de cause quand, au mois d’avril der­nier, l’organisation de la mani­fes­ta­tion natio­nale « Prin­temps des poètes » dévoile le nou­veau thème : Le Grand Ving­tième, Cent ans de poé­sie… Cent ans, excu­sez du peu… Il y a de quoi se perdre, tant la matière est foisonnante.

Dix mois plus tard voi­ci le résul­tat : une soi­rée qui laisse au cœur le sou­ve­nir d’un spec­tacle accom­pli, entre chan­son et poé­sie ; des musi­ciens sans fard, sim­ple­ment là pour la ren­contre. Et c’est d’ailleurs sur ces mots que s’ouvre leur concert. Coko, yeux fer­més, accom­pa­gné seule­ment de la res­pi­ra­tion du trom­bone, déclame son poème inau­gu­ral, Brève évi­dence : « Une ren­contre est un poème /​ Une chan­son est un jar­din /​Et la vie souffle et passe /​Comme le vent ». On aime­rait, on vous l’avoue, sus­pendre le temps, res­ter dans cet ins­tant qui nous arrache aux aspé­ri­tés du réel, quand il pour­suit avec sa chan­son Des mots. Mais il ne s’attarde pas trop long­temps à ce lyrisme, il s’en revient vite du côté de la déri­sion, de l’humour, de la fan­tai­sie avec son Tan­go des organes qui lui vaut l’adhésion du public. Car il sait Coko que le spec­tacle vivant c’est exac­te­ment ce qu’il réclame pour être com­plet : la diver­si­té des émo­tions, le pas­sage du comique au tra­gique, du rire aux larmes. Depuis Sha­kes­peare, on n’a pas trou­vé meilleure recette.

À plu­sieurs reprises alors Coko s’amuse et amuse le public, le sur­prend de ses réfé­rences his­to­riques avec la Com­plainte des Cale­çons, un texte de Robert Des­nos sur une musique de Mireille, avec le Char à bancs des mori­bonds, de Gas­ton Cou­té, qui vaut son pesant de grif­fures adres­sées aux poli­tiques d’hier et d’aujourd’hui, ou bien encore Le pinard de Richepin.

Tou­te­fois, on est sin­gu­liè­re­ment tou­ché par des textes et chan­sons qui font un dou­lou­reux écho à l’actualité, comme Étranges Étran­gers de Jacques Pré­vert que Jéré­my Cham­pagne déclame avec juste quelques notes égre­nées de l’accordéon de Coko. S’ensuit une dédi­cace per­son­nelle à tous les migrants d’hier, de demain et à tous ceux qui militent pour sou­la­ger la misère. C’est ain­si qu’il glisse aus­si, très sub­ti­le­ment du texte d’Aragon Un homme passe sous ma fenêtre et chante, pre­mière chan­son de son amie Fran­ces­ca Sol­le­ville nous confie-t-il, à son texte d’aujourd’hui, Gaffe à ta vie : « Deviens abeille /​Deviens soleil /​Deviens tour­billon /​Deviens feu /​Deviens joie /​Deviens com­men­ce­ment ». C’est que ce spec­tacle, qui se veut hom­mage à la poé­sie, est sur­tout un puis­sant appel à l’« irré­sis­tible vie ». Si Coko paraît déri­ver vers une forme de miso­gy­nie quand il chante T’es grosse c’est pour mieux célé­brer la femme, T’étais si belle, et sur­tout la mater­ni­té : « Un enfant comme une bulle de cham­pagne /​Un enfant comme un vent de gour­man­dise /​Un enfant comme un corps dan­sant /​Un enfant comme une source de joyeuse sin­cé­ri­té /​Un enfant comme un chant d’amour /​Va naître » (Bulle de cham­pagne).

Cette soi­rée nous a valu enfin un ins­tant raris­sime de par­tage, un « ping pong poé­tique » où le public, tous âges confon­dus, a dit à son tour des bouts de poèmes qui avaient été mis à sa dis­po­si­tion à l’entrée. Entendre des lycéens riva­li­ser pour avoir leur ins­tant de décla­ma­tion, fran­che­ment, c’est jubi­la­toire ! Et les voir s’attarder pour ques­tion­ner les musi­ciens à la fin, c’est une récom­pense pour nous qui sommes invi­tés chaque année à concoc­ter ce ren­dez-vous Poé­sie et Chanson.

Lais­sons les mots de la fin à Coko qui, pour accom­pa­gner Jou­vence, osa même esquis­ser une danse : « Rede­ve­nons enfant /​ Rede­ve­nons pous­sière /​Rede­ve­nons prin­temps ».