Melinée album Berline (@ Cindy Beuhlah)

Méli­née album Ber­line (© Cin­dy Beuhlah)

Janvier 2016 – Mélinée album Berline

avec Méli­née Bena­mou (textes, musiques, accor­déon) Jona­than Bra­toëff (gui­tare), Sami­ra Aly (vio­lon­celle), Euge­nio Cor­sa­ro (pia­no), Gre­go­ry Dal­tin (Accor­déon), Mar­cel Kröm­ker (contre­basse), Joe Smith (bat­te­rie, percussions)

« Je suis de ceux qui pré­fèrent conti­nuer à se lais­ser flot­ter sur le dos les yeux tour­nés vers le ciel. »

Etty Hil­le­sum (1914 – 1943

Voi­là six ans que Méli­née a quit­té Tou­louse pour Ber­lin. Un coup d’amour, bien entendu.

Était-ce pour « ce beau gar­çon » et « son regard cou­leur pis­cine » ? Ou bien pour l’Astron­homme et son « ciel de mys­tères », sur fond de valse lente ? Celui qui garde au cœur tant de ques­tions en suspens ?

Lais­sons ce mys­tère et regar­dons plu­tôt l’attrait irré­sis­tible du Tacheles (pro­non­cé Tares Laisse, ce qui nous vaut le titre d’une chan­son) ce squat artis­tique ber­li­nois, éva­cué depuis, mais dont le jar­din reste encore un musée à ciel ouvert. Voi­ci que Méli­née nous offre dix sept titres, pour rendre compte de cette aven­ture là, pour nous faire par­ta­ger ses sen­sa­tions, ses émo­tions de sa voix claire – au pre­mier plan sur tout l’album, c’est si plai­sant ! – cette voix de jeune femme Entre ciel et terre. Sus­pen­due dans le vide, avec « le cœur qui penche en arrière ». C’est de cette recherche d’équilibre dont il est ques­tion : ça tangue, ça penche, on n’est jamais sûr de rien. On se sent Amou­reuse de l’ombre, même si la chan­son inci­te­rait à la danse, « des taren­telles sur la mélo­die du bon­heur » – l’accordéon, bien sûr ! D’ailleurs « Face aux aléas de notre ère/​A la for­tune et au des­tin »… Nous sommes rien. Et c’est la voix du vio­lon­celle qui le dit.

Mais elle aime, Mélinée

Amou­reuse de l’ombre, peut-être, sou­vent… mais amou­reuse ! Elle aime Ber­lin d’abord. Le graf­fi­ti « Love » écla­bousse le mur der­rière ses boucles brunes en mou­ve­ment. La pre­mière chan­son, chan­son épo­nyme de l’album, Ber­line, lui est consa­crée ; le texte s’étale comme un soleil, sur la pre­mière page du livret. Contre­basse, gui­tare et per­cus­sions nous entraînent dans une joyeuse sam­ba. En point d’orgue le titre Fern­seh­turm, cette tour sym­bole de l’ancien Ber­lin Est, « comme une bous­sole » dans son ciel, comme « témoin du cré­pus­cule » aus­si car rien n’est jamais sûr. D’ailleurs c’est avec ce titre, texte dit- en alle­mand cette fois-ci – que se referme l’album au son mélan­co­lique de la gui­tare élec­trique. Car Méli­née sent pro­fon­dé­ment Ber­lin en berne, Ber­lin qui s’égare dans la course folle des « capi­tales asep­ti­sées » d’aujourd’hui. Elle leur pré­fère, dans une atmo­sphère très sombre, très rock, ses « allures d’égarée », ses « balafres » et ses « brèches », comme une « bles­sure à genoux sur la Spree ».

Elle aime le théâtre aus­si, sur un air nos­tal­gique qui cha­loupe ten­dre­ment et laisse venir à soi les sil­houettes éva­nes­centes des Enfants du Para­dis (Sur les planches). On aime la danse, le tan­go argen­tin tout par­ti­cu­liè­re­ment (Tan­go en si, Les Tan­gue­ros). Elle aime la musique, il va sans dire, et nota­ble­ment l’accordéon, « com­pa­gnon de for­tune » pour qui des mots tendres sont écrits, chan­tés (Mots geints). Dan­ge­reux rival pour qui vou­drait la place dans ses bras !

Vous l’aurez com­pris, dans cet album très dense, musi­ca­le­ment abou­ti et de tant de façons, Méli­née se livre, se délivre. C’est un album confi­dences où elle rejoint Etty Hil­le­sum dans le titre Femme : figure de femme libre, bien qu’enfermée, mar­ty­ri­sée à Ausch­witz. Elle a lais­sé à la pos­té­ri­té l’édifice de ses mots d’amour pour l’Homme.