Monsieur Roux + Boule (©Evelyne Balliner)

Mon­sieur Roux + Boule  (©Eve­lyne Balliner)

26 octobre 2016 – Concert de Monsieur Roux & Boule, solo bicéphale

avec Erwan Roux /​Mon­sieur Roux & Cédrik Boule /​Boule, gui­tares, uku­lé­lé, voix

Le Bijou (Toulouse)

Ren­contre inédite, inso­lite – et jouis­sive vrai­ment – de deux tem­pé­ra­ments d’artistes tou­jours prêts à égra­ti­gner gaî­ment ce fou­tu monde de tra­vers. C’est un vrai cadeau qu’offre, deux soirs durant, la scène du Bijou.

On sait Erwan Roux amou­reux des par­tages, des che­mins de tra­verse qui sans cesse le confrontent à l’Autre, son frère. Il l’a démon­tré avec le pro­jet Sans fron­tières – tout est dit dans le titre – entou­ré du qué­bé­cois Sébas­tien Lacombe et du bur­ki­na­bé Abou­laye koné ou bien avec le spec­tacle Un jour de neige, mêlant danse, chan­son, musique. Il aime évo­quer sa Bre­tagne, ou la Mayenne avec une pin­cée d’humour que le public reprend volon­tiers « Laval peut bien se don­ner des airs, ça sera jamais Bue­nos Aires ». C’est pour mieux scan­der « J’suis pas d’un pays ou d’une nation »… sa patrie c’est l’autre, l’ailleurs et l’autrement. Défi­ni­ti­ve­ment. Et ce soir cet autre c’est Boule avec lequel il offre un savou­reux cock­tail sucré salé. Cha­cun chante des chan­sons de l’autre, cha­cun accom­pagne, tous deux gui­ta­ristes aguer­ris. On aime cette franche cama­ra­de­rie, ce que l’équipe d’Hexa­gone  nomme Soi­rée échan­giste, ou Deuxième géné­ra­tion. En l’occurrence ici les deux appel­la­tions peuvent qua­li­fier le projet…

D’ailleurs si le par­cours de l’aîné, Mon­sieur Roux, lui a confé­ré une forme de noto­rié­té sur les ondes – il y a presque dix ans déjà, notam­ment avec le titre Petit ras­ta – on est en droit de s’interroger sur l’effet pro­duit encore aujourd’hui sur le public. Dif­fi­cile en effet de pas­ser sous silence le com­por­te­ment de quelques spec­ta­teurs du pre­mier rang, bruyants buveurs de bière, façon troi­sième mi-temps de rug­by qui se moquent comme de colin tam­pon de décou­vrir un autre artiste. Ils sont venus pour Mon­sieur Roux, ils ont envie de se payer une tranche de rire, un point c’est tout ! Ils nous ont sin­gu­liè­re­ment dérangés.

Il demeure que ce concert est une brillante illus­tra­tion de tout ce que l’on peut dési­rer par­ta­ger. Des artistes qui dressent un tableau de notre humaine condi­tion sans jamais se dépar­tir de l’autodérision, de la bien­fai­sante satire. Mon­sieur Roux com­mence seul en scène avec un « sui­cide amou­reux » : « Tout fout l’camp, même toi… » avant que Boule n’arrive, per­son­nage lunaire, comme tom­bé du lit pour chan­ter « Je prends le temps d’être en retard … Si tout le monde en fai­sait autant, on arri­ve­rait tous en même temps. » Tous deux bous­culent à l’envi nos codes de bonne conduite, les prennent à revers comme lorsque Boule évoque son expé­rience du tra­vail – un mois seule­ment ! – « Dans mes rêves, je revois les clous et je deviens mar­teau… » Il défend réso­lu­ment son droit de rêver, d’aimer la vie autre­ment, le droit d’écouter « les mésanges bleues dans le ceri­sier » quand l’autre aime « bouf­fer des piz­zas en tri­po­tant son I phone à la con »… Dans une nou­velle chan­son il reven­dique les faux départs, « l’engrenage rouillé » qui « met du piquant dans la vie ». La ten­dresse affleure déli­ca­te­ment chez ce chan­teur comme dans cette chan­son qu’interprète Mon­sieur Roux pour cette mamie par­tie là-bas, avec cet espoir pour elle d’une mort en vacances : « J’espère que là-bas…tu pro­fites de la vie. » Et c’est Boule qui s’empare du dou­lou­reux texte de Mon­sieur Roux « J’suis le bouf­fon de la cité, le souffre dou­leur du quar­tier »… Dans cet échan­gisme, c’est Mon­sieur Roux qui chante le texte oni­rique de Boule, « l’automobile à bulles » pour se faire la belle avant d’entonner Der­nières nou­velles du cos­mos, porte déli­ca­te­ment entrou­verte sur l’univers d’une auteure autiste. On est très, très loin de la franche rigo­lade qu’attendait peut-être de sa part un cer­tain public.

D’ailleurs la fin de ce concert est sans ambigüi­té. Mon­sieur Roux choi­sit de réveiller une ancienne chan­son, un vieux rêve de paix sur la Terre, un monde où patries et bons dieux auront fou­tu le camp. Quant à Boule il chante sa chan­son post­hume, sa réin­car­na­tion : « Je revien­drai en vous, dans vos sou­rires et vos mémoires par-des­sus-tout… Je me recycle en plein de petits rien du tout, je m’éparpille par­tout… »

Hé bien, que ces deux là se le disent, leurs chan­sons bicé­phales se sont épar­pillées en nous et nous font un joyeux cortège.