Jean-Claude Dreyfus (© Olivier Denis)

Jean-Claude Drey­fus (© Oli­vier Denis)

18 août 2017 – 15e Fes­ti­val DécOUVRIR 

Lec­ture musi­cale de L’inondation, nou­velle d’Emile Zola par Jean-Claude Dreyfus
Garance, Inès Deso­rages et Mar­gaux Guille­ton dans Déca­lages et les goguettes de Patrice Mercier

Avec, par ordre de passage :

Jean-Claude Drey­fus (lec­ture) accom­pa­gné par Nico­las Ehrets­mann (gui­tare électrique)

Garance, Inès Deso­rages et Mar­gaux Guille­ton dans Déca­lages, accom­pa­gnées par L’ensemble DécOUVRIR 

Patrice Mer­cier (textes et chant) accom­pa­gné au pia­no par Clé­mence Monnier


Salle du Foyer rural – Concèze (Cor­rèze)

S’il est un soir qui peut illus­trer l’esprit qui anime ce fes­ti­val DécOU­VRIR c’est bien celle-ci. Ultime soi­rée de cette quin­zième édi­tion qui nous a tous ravis si l’on en croit le public très nom­breux jusque tard dans la nuit. Une soi­rée que l’on pour­rait qua­li­fier de « baroque » avec ses contrastes, ses para­doxes, ses temps de réflexion, de cha­grin et de dou­ceur, de charme aus­si… Du rire et des larmes… Bref, une soi­rée comme le cours de la vie, tou­jours improbable.

La lec­ture d’un texte bou­le­ver­sant d’Émile Zola par Jean-Claude Drey­fus, acteur d’envergure, impo­sant par le talent comme par la sil­houette, comme le sont dans nos sou­ve­nirs, Michel Simon, Jean-Roger Caus­si­mon, Michel Gala­bru ou Rai­mu… et bien enten­du le Gérard Depar­dieu d’aujourd’hui. Com­ment rendre compte de l’intensité d’un tel moment de spec­tacle ? Dès les pre­miers mots, nous nous lais­sons lit­té­ra­le­ment hap­per par le récit et par l’accompagnement tout en finesse de la gui­tare élec­trique de Nico­las Ehrets­mann. Bien sûr on ne man­que­ra pas de sou­li­gner l’art d’Émile Zola : une énon­cia­tion à la pre­mière per­sonne qui faci­lite l’illusion, l’enchantement. On ne met guère de temps à croire à cette his­toire, au per­son­nage, à ce vieil homme reve­nu du pire, seul sur­vi­vant d’un drame natu­rel : la crue de la Garonne sur ses terres en 1875. On par­tage tout avec lui, la féli­ci­té des pre­mières pages, sa joie, son orgueil devant l’abondance, sa ferme « chan­tant par toutes les fenêtres », une famille unie, une nature bien­fai­sante. Tout est lié : la pro­messe d’un prin­temps fer­tile et celle d’un mariage… Le pro­mis est solide, sa force est un gage de bon­heur. Sou­dain, on enten­dra le cri, le pre­mier cri de détresse et de mort que la voix de l’acteur ampli­fie : La Garonne, la Garonne !!… Alors com­mence une lutte sans mer­ci, inégale, contre les eaux qui montent jusqu’au toit des mai­sons. On par­tage dans la voix du lec­teur, et celle de la gui­tare, « un nau­frage au milieu de l’océan ». Les bruits, les cris – ceux des bêtes et des hommes – les visions d’horreur, les angoisses, les luttes décrites dans leurs plus petits détails tech­niques, les moments d’espérance… Puis les aban­dons, les ago­nies, la folie… Les êtres humains réduits à l’état de feuilles empor­tés par le vent. Et pour finir cet homme, « le vieux qui [s’est] entê­té à vivre… Une herbe mau­vaise », confron­té à la pho­to­gra­phie des deux cadavres retrou­vés enla­cés à Tou­louse : par­mi sept cents, ceux des deux fian­cés unis dans un bai­ser de la mort.

On com­pren­dra aisé­ment qu’il n’est guère facile de s’arracher à l’emprise de la voix du lec­teur, des images qu’elle sus­cite, aux émo­tions, voire aux larmes que l’on a volon­tiers lais­sées cou­ler. Alors, les chan­sons des trois jeunes femmes, Garance, Inès Deso­rages et Mar­gaux Guille­ton qui suc­cèdent à la lec­ture, leur grâce, leur jeu­nesse et même leur fra­gi­li­té nous seront bien­fai­santes. Cha­cune mon­tre­ra un aper­çu de son uni­vers dont on a déjà par­lé le pre­mier soir. De cette suc­ces­sion, on garde en tête la dou­ceur des voix, une cer­taine mélan­co­lie, un vague à l’âme, une ten­dresse à regar­der déjà, du haut de leurs jeunes années, le temps pas­ser. L’aînée d’entre elles, Garance, affiche un vrai tem­pé­ra­ment et semble déter­mi­ner à ne pas s’en lais­ser conter. Étienne Cham­pol­lion leur a écrit des arran­ge­ments sur mesure et ce qui nous est don­né à entendre ne manque pas de panache ! Dans un deuxième temps – et presque tou­jours avec l’ensemble – ces trois grâces vont s’amuser à se déca­ler, à reprendre quelques chan­sons qui ravi­ront le public. Outre une publi­ci­té, celle de la purée mous­se­line, on enten­dra Qu’on me donne l’envie de John­ny – faut le dire on reste un peu sur sa faim car il en faut de l’énergie, … de l’envie sur cette chan­son ! – un char­mant Itsy Bit­sy petit Biki­ni en trio, Cas­ser la voix par Garance qui s’en arrange plu­tôt bien. Effec­ti­ve­ment on n’a pas envie de la lais­ser ren­trer toute seule, la pau­vrette ! Autre moment qui ravit le public – on peut devi­ner pour­quoi – Le cul de ma sœur de Ber­nard Dimey qu’il n’aurait sans doute pas été inutile de citer… Un joli moment a cap­pel­la avec des petites per­cus­sions cor­po­relles puis une gloire bien méri­tée pour Étienne Cham­pol­lion à l’accordéon, aux prises avec les trois qui chantent : Pour un flirt avec toi. On ne dira rien du dénoue­ment, bien sûr ! Cela ne nous regarde pas !

Mal­gré tout le plai­sir res­sen­ti à voir ce trio, il n’en demeure pas moins que le temps impar­ti est très lar­ge­ment dépas­sé et que l’on songe alors au der­nier artiste programmé…

Voi­ci donc avec Patrice Mer­cier la conclu­sion de ce fes­ti­val, une conclu­sion qui allie tout ce que l’on peut dési­rer : évo­ca­tions d’airs connus, textes par­ti­cu­liè­re­ment habiles, cise­lés, jamais méchants dans l’intention, inter­pré­ta­tion qui donne de la noblesse à l’exercice ; car enfin, le mot « goguette » évo­que­rait plu­tôt le caba­ret, les chan­son­niers… Une scène qui dis­trait et ne laisse que rare­ment une trace. Boire, rire, s’amuser, pous­ser sa chan­son vont de pair… Voi­là la tra­di­tion des goguettes.

Patrice Mer­cier est accom­pa­gné par Clé­mence Mon­nier au pia­no, exer­cice où elle excelle. Il est vrai qu’elle en connaît un rayon en matière de goguettes puisqu’elle exerce aus­si son art avec trois gars, Les Goguettes, en trio mais à quatre. Si vous vou­lez connaître leur bilan du quin­quen­nat de Fran­çois Hol­lande, c’est simple vous ache­tez leur album ! À la dif­fé­rence de Patrice Mer­cier, eux se consacrent en effet sur­tout à l’actualité politique.

Lui, avec une impla­cable digni­té, le geste sobre – de la gran­deur disions-nous – pré­tend nous livrer son « jour­nal intime d’opinions publiques ». Il nous fera rire aux éclats avec son clin d’œil aux dérives des milieux spor­tifs, la bicy­clette en l’occurrence. Inutile sans doute de vous pré­ci­ser à qui l’air est emprun­té. Puis ce sera au tour du « SMS d’un élève en détresse », – une prouesse vocale sur l’air de SOS d’un ter­rien en détresse de Daniel Bala­voine ! – le mal­heu­reux confond dic­tée et ono­ma­to­pée, en appelle à la dis­pa­ri­tion de l’homophonie. L’évocation de sa « pre­mière fois », ses pré­ten­dus déboires sexuels avec Madame Danièle à Bruxelles. La pluie en Bre­tagne, son refus des réseaux sociaux, son droit à mou­rir comme il veut… Lui, ce sera comme Félix Faure sur l’air de La femme d’Hector ! Le cau­che­mar d’une vie enva­hie par les pro­duits déri­vés de Star Wars ou bien, sur l’air de Ces gens-là… la « vegan mania » ! Enfin il répon­dra à la com­mande de Mat­thias Vin­ce­not dans une goguette, cuvée spé­ciale fes­ti­val de Concèze : Comme d’habitude deve­nue, à la grande joie des fes­ti­va­liers, Comme j’habite Tulle.

Mais Patrice Mer­cier fait aus­si de ses goguettes des chan­sons sur des sujets net­te­ment plus sen­sibles et déli­cats comme sur l’histoire de cette bou­teille qui s’en ira dieu sait où, jusque dans le gosier d’une baleine… « Contre le plas­tique, y a rien à faire »… Les inter­mi­nables conflits en Syrie, où l’on ne com­prend rien aux forces en pré­sence, avec ces mots, sup­plique adres­sée à Clé­mence, « S’il te plaît, des­sine-moi un mou­ton »… On garde pour la fin de cette évo­ca­tion, la chan­son sur l’euthanasie qui nous fait rire aux éclats – c’est dire l’art de l’auteur ! – Je l’aide à mou­rir… Et sur­tout cette bou­le­ver­sante dénon­cia­tion des vio­lences faites aux femmes qui a coû­té des larmes à beau­coup d’entre elles dans le public. Les pas­santes de Georges Bras­sens sou­dai­ne­ment mues en vic­times des amours assas­sines. Là, plus ques­tion de rire !

Le public est debout pour saluer ce der­nier concert et c’est jus­tice ! Pour ce qui nous concerne on salue le tra­vail d’écriture, l’interprétation irré­sis­tible de Patrice Mer­cier qui honore le pro­jet de Mat­thias Vin­ce­not, le poète amou­reux de la Chanson.