Yves Jamait – Je me souviens (© Kbstudios)
29 janvier 2017 – 16ème Détours de Chant – Yves Jamait, tournée Je me souviens
avec Yves Jamait (guitares, voix) Samuel Garcia (accordéon, piano, chœurs) Mario Cimenti (percussions, saxophone alto) Jérôme Broyer (guitares)
Le Bascala – Bruguières (Haute ‑Garonne)
« Je prends la vie comme elle est, ici et maintenant, sans lui trouver d’autres raison que d’être en devenir, sans écouter les affabulations malsaines de prédicateurs et autres prophètes bouffis d’obscurantisme qui croupissent dans leur certitude… et j’avance, je bouge, je me meus, je change, je vis quoi !! ».
Yves Jamait se dit « chantiste » lui aussi… Pour la rime avec artiste ? Avec anarchiste ? Un mot pour mettre à distance ce métier ? Peut-être pour qu’il ne prenne jamais le pas sur l’homme qui écoute bruire le monde, regarde les saisons, sent cette vie dans ses veines, sous sa peau. Pile à l’emplacement du cœur, comme des milliers d’autres vies qui viennent au rendez-vous. Comme ce dimanche de janvier au nord de Toulouse où nous sommes huit cents dans la salle. Beaucoup entonneront les refrains du chanteur- « chantiste » populaire, surtout lorsqu’en rappel, il offre un pot-pourri de ses succès.
Populaire, oui, le mot va comme un gant au chanteur à la petite casquette de gavroche. On notera qu’il ne l’ôte qu’une seule et unique fois au cours des deux heures trente de concert. Une seule fois pour interpréter ce titre déchirant, Je passais par hasard, un titre pour la femme battue.
Enfant de Jacques Prévert, il n’oublie jamais d’où il vient, ce temps perdu donné à l’usine. Comme lui le soleil devait parfois le tirer par la veste « Dis donc camarade Soleil /tu ne trouves pas /que c´est plutôt con/de donner une journée pareille /à un patron ? » Alors entre les chansons, il évoque souvent ce temps là… Il n’oublie jamais les combats, le poing levé « A bas les cadences infernales ! ». Il aime égratigner, singer ceux qui nous gouvernent, ceux qui prennent la pose et le pouvoir. On avoue aimer son art de la gestuelle, de la grimace quand il tourne en dérision le candidat battu à la primaire de la Droite… On s’avoue bon public quand il garde une place pour dénoncer – non sans s‘interroger « Est-ce qu’on devient salaud par hasard… par envie ? » Cette question il s’en vient la poser en chantant dans les rangs des spectateurs…
Il continue aussi d’accorder une place de choix à l’accordéon, l’instrument de la rue, du populo – n’en déplaise aux journalistes qui le questionnent sur cette fidélité. Et cette fois, il en a même fait une chanson, valse entraînante où l’accordéoniste ne manque pas d’exalter son art, « Mais moi j’aime bien ta gueule, et je me sens moins seul quand tu respires trop fort et que d’un commun accord tu changes de registre… »
Dans cette tournée, il se penche il est vrai souvent sur les souvenirs –« ça sent la naphtaline » – ses tendres années qu’il a partagées avec un frangin de deux ans son aîné. L’occasion pour lui de se prêter, tout en singeant Johnny, au jeu d’une guitare « mature », sommaire, qui va à l’essentiel….. Alors on rit et pourtant… « J’ai le cœur à rebours qui se serre comme les poings de mon frère … »
Oh yeah !
D’une pichenette il change de registre, aussi vite que la vie. Il évoque des drôles de retrouvailles avec un père, « Ta vie brisa le môme /Mais ta mort le repose ». Après 40 ans d’absence « C’est la fin d’une nuit qui s’est éternisée… ». Souvent il caresse aussi son micro, au souvenir d’amours tendres, de désirs, de corps qui s’absentent. Alors les mains se crispent là, sur le ventre « Tu me manques tellement… » Car on titube quand « la vie est en loque ». L’alcool n’y est pour rien cette fois.
Spectateurs, on ne se lasse pas de ces mots, surtout lorsque le saxophone alto, les accompagne : « Je voudrais que tu sois là /Je voudrais que tu voies ça /C’est beau, c’est beau, même sans toi… » Bien sûr avec le temps s’allonge la liste des absents, la liste de ceux qui manquent comme Jean-Louis [Foulquier] auquel il rend hommage. Le coup de chapeau n’est pas réservé aux disparus. Il salue aussi, en plus de ses musiciens, ses techniciens, jusqu’au régisseur plateau, compagnon de trente ans, qu’il fait venir en scène, Sarcloret et Romain Didier qui a composé Bleu, une chanson pour le ciel de Lorraine, de Nancy « Le bleu d’ici /On le suspend au porte manteau /Le bleu d’ici /On se le remet sur le palto /Et au boulot ».
Un concert qui convoque, amis, amantes, frangin, qui convoque la vie sous toutes ses couleurs comme le soulignent les éclairages. Sur trois longs panneaux blancs en effet, derrière chaque musicien, les projecteurs mettent du bleu, du rose, du rouge, du vert … C’est selon… Yves Jamait n’en a pas fini avec sa soif, sa fringale. Il le chante, il le crie « J’en veux, j’en veux encore ! ». Il invite le public à se joindre à lui. Le public, lui, ne se fait pas prier. Il en redemande.
Tant qu’il en est encore temps.