Jérôme Pinel – Un autre jour, 2022 (© Patrice Camparmo)
14 novembre 2022 – Un autre jour
Nouvel album 14 titres de Jérôme Pinel à paraître le 25 novembre 2022
Avec
Jérôme Pinel (voix, textes), Charlotte Couleau (claviers – chœurs), Olivier Pelfigues (batteries), Raphaël Moraine (guitares), Xavier Le Gouix (basse), Arnaud Bonnet, Louise Grevin, Hannah Al-Kharusy, Ophélie Renard, Audrey Dupuy (cordes)
Daran (réalisation artistique, guitares et basse additionnelles)
Avertissement : Ce texte ne saurait passer pour une chronique. C’est une pure fiction, un jeu d’écriture où se trouvent insérés en caractères gras les 14 titres de l’album et quelques mots, expressions, empruntés ici ou là aux chansons.
1. Les avions – 2. Les amants de l’arrière-saison – 3. La tête avant les pieds – 4. La tour – 5. Sous un prunier – 6. Drague au drive – 7. Fichu Fichu – 8. Mac Fly – 9. L’eau coule – 10. Pour jouer c’est maintenant – 11. Une mer les sépare – 12. La valise d’Habib – 13. Griot des départementales – 14. Rêve, petit, rêve
Les souvenirs dans la poussière
J’étais encore môme quand c’est arrivé… J’avais 12 ans et demi et sous ma casquette, tout un peuple d’idées farfelues. J’étais, c’est vrai, en pleine poussée d’homme. Il me prenait des envies folles d’aller voir la mer, de saisir l’horizon à pleines mains, d’y dessiner mon bateau…
La vie va, la vie va vite… Rêve, petit, rêve…
Il avait fallu tout rassembler, se préparer à quitter la tour. On en avait profité pour trier – enfin, c’est ce qu’affirmait ma mère… Et voilà qu’elle ne répétait plus « Pour jouer c’est maintenant » sa phrase préférée quand elle me voyait bailler aux corneilles, qu’elle en avait marre de me voir rêvasser à ne rien faire… Pendant des semaines, j’ai regardé partir à la poubelle plein de ces objets que j’aimais pourtant bien. Mais je n’ai rien osé dire. Les voisins en faisaient autant. Du coup, ça s’empilait dans les containers et l’homme qui les poussait sur le trottoir râlait… On le comprend.
C’est dans cette période que j’ai traîné dans le quartier comme je ne l’avais jamais fait auparavant. Je n’en pouvais plus de cet appartement où plus rien ne ressemblait à rien. Je ne reconnaissais même plus ma mère dont les yeux perdaient leur éclat chaque jour un peu plus. Ils se délavaient. Me voyaient-ils encore ? Je me demandais ce qu’il pouvait bien y avoir sous son fichu qu’elle ne quittait pas à cause de toute cette poussière qu’elle remuait… Je me répétais, c’est fichu, fichu… Sans comprendre pourquoi, c’était ce mot-là qui me venait.
Dehors le monde continuait de tourner comme si de rien n’était… J’emportais toujours un album de Mac Fly, mon héros à cette époque-là… Pilote d’essai, voilà, c’est ça… Rejoindre les avions qui crayonnent le ciel ! Mais la plupart du temps, je ne lisais pas, je jetais juste de temps en temps un œil sur les images.
Il y avait ce banc sous un prunier juste à côté de l’école– on ne sait pourquoi, dans cette ville en friche, en verre et en béton, il avait résisté. Un hirsute bout de vie sauvage…
C’est là que j’échouais et que je regardais s’assoir à mes côtés le jogger se tenant les côtes, la mère, son enfant et son blues. Ils ne se parlaient pas, ne se regardaient même pas. Je pensais, on dirait qu’une mer les sépare… Mais j’aimais bien les deux serveuses qui n’en finissaient pas de glousser à se raconter la drague au drive. Et puis, il y avait le chanteur, celui qui promenait toujours son chien et sa guitare, et se mettait à fredonner des trucs tristes à pleurer… Alors, on voyait arriver, leur pas au diapason, deux petits vieux se tenant par la main. Ils aimaient ses chansons, les amants de l’arrière-saison … C’est comme ça que les appelait le chanteur.
Enfin, celui que j’attendais, que j’espérais, c’était Habib, celui que tout le quartier appelait l’Artiste, en appuyant bien sur le A… Habib saluait le chanteur en riant. Il l’appelait le griot des départementales en lui tapant sur l’épaule… D’où pouvait bien lui venir ces mots-là ? Tout le monde disait qu’Habib peignait des choses bizarres. Il paraît même qu’il avait fabriqué une valise en fil de fer barbelé… Douze kilos la valise d’Habib** !…
Enfin voilà, ces gens-là, j’allais bientôt ne plus les voir… Dispersés, éparpillés, les souvenirs… L’eau coule…
Ils ont tombé la tour. Pendant des jours et des jours, une énorme mâchoire d’acier a tout arraché, étage par étage, tout jeté dans la benne des camions. Les souvenirs en poussière… On raconte que quelques jours avant, une femme s’est jetée du dernier, la tête avant les pieds.
**La valise est une sculpture d’Habib Hasnaoui (né en 1955 en Algérie)
Très touchant, quelle complicité avec l’auteur, bravo, bravo pour vos blogs, quelques-uns m’ont guidé
Thierry
Votre message est très précieux au moment où je mets un terme à la rédaction de nouvelles chroniques. J’espère bien que les 820 disponibles continueront de toucher quelques lecteurs sensibles comme vous. Claude Juliette