Frédéric Bobin, Claude Fèvre et Pierrick Vivarès (© Paul Barbier)

Fré­dé­ric Bobin, Claude Fèvre et Pier­rick Viva­rès (© Paul Barbier)

2 avril 2015 – L’in­sur­rec­tion poétique

Prin­temps des Poètes 2015

Avec Claude Fèvre (lec­ture, chant), Fré­dé­ric Bobin (chant, gui­tares) et Pier­rick Vivares (chant, gui­tares)


Théâtre de l’Ourdissoir – Lave­la­net (Ariège)

par Cécile D.

Pierrick Vivares - L'insurrection poétique (© Michel Nino)La scène est sobre, intime : une table, une petite lampe rouge allu­mée, des gui­tares, trois sièges, trois micros, des câbles et deux enceintes… Les deux musi­ciens entrent en scène et ouvrent par leurs accords la voie aux rimes si spé­ci­fiques de Nou­ga­ro, lus par la voix sin­gu­lière, souf­flée, presque rauque de Claude Fèvre (elle nous dira à la fin du concert qu’elle l’avait per­due il y a quelques jours…). « Il serait temps que l’homme s’aime »… « Assez ! » Le ton est don­né, le trio est en scène et nous embar­que­ra sans répit dans une insur­rec­tion poé­tique et musi­cale qui parle au cœur et au ventre.

Fré­dé­ric Bobin et Pier­rick Vivares, que j’ai presque envie d’appeler par leur pré­nom tant leur pré­sence sur scène était cha­leu­reuse, simple et com­plice, chantent, s’accompagnent l’un l’autre, ou jouent avec, et sur les textes lus par Claude Fèvre. L’évidence de ce trio sur scène est tout aus­si pal­pable que leur estime réci­proque. Et, quand ce ne sont pas les sons des gui­tares, à la fois folk, rock et swing, qui mettent en valeur les mots, ce sont les mots qui sou­lignent les sons ou qui jouent leur propre musique… Les textes sont à la fois tendres et féroces, tru­cu­lents et légers, chro­niques sociales où l’actualité rai­sonne, et où l’homme, cet Étrange bipède, est à chaque fois interpellé.

Frédéric Bobin - L'insurrection poétique (© Michel Nino)J’aurais beau­coup de mal à faire un compte ren­du exhaus­tif de tout ce qui m’a mar­qué durant cette soi­rée… Ces trois voix ensemble, leur cha­leur, leur pro­fon­deur et leur phra­sé simple, per­cu­tant, imper­ti­nent. Les textes, le frot­te­ment des mots, des syl­labes, le rythme, les rimes justes, sonores, les pro­pos effi­caces, tout en nuances, tendres et drôles, iro­niques et cruels aus­si, la poé­sie, la verve, la vie qui hurle, déraille, dérai­sonne mais garde espoir… Les plumes d’Aragon, Nou­ga­ro, Phi­lippe Bobin (qui écrit les textes mis en musique et chan­tés par Fré­dé­ric), Pier­rick Vivares, Sou­chon et d’autres encore, se ren­contrent, se répondent, s’entremêlent, s’enrichissent… Une jeune femme de 20 ans, pros­ti­tuée, scande son Au sui­vant, répon­dant à Brel, tan­dis que « Tatia­na fait des passes (…) sur le périph ». L’homme est inter­pel­lé, tou­jours : celui qui peut à la fois « écrire des vers, tenir des revol­vers », celui qui délo­ca­lise des usines à Sin­ga­pour, caché der­rière sa Façade, il a « envie de meurtres en rafales » ou bien « tel­le­ment d’amour à par­ta­ger », mais sou­haite avant tout ne « sur­tout pas se mélan­ger, mal­gré la proxi­mi­té »… Puis se nouent, pour tout nous dire de ces contra­dic­tions, de ces bles­sures et de cet espoir aus­si, Tant qu’il y aura des hommes de Bobin, et l’Espérance en l’homme de Nou­ga­ro : « Il suf­fit d’une voix, d’un cer­tain regard pour qu’on voie un espoir tou­jours recom­men­cer… ».

Frédéric Bobin, Claude Fèvre et Pierrick Vivares - L'insurrection poétique (© Michel Nino)La soi­rée a été riche, dense, pro­fonde, et cette insur­rec­tion poé­tique par­ta­gée, pleine de colère, nous dit la révolte néces­saire et l’espoir entre chaque mot, entre chaque note. L’échange est vrai, lumi­neux, évident. Et, en ce qui me concerne, je ne pour­rais pas finir sans par­ler de cette Vieille ouvrière, chan­tée par Fré­dé­ric Bobin. Elle me raconte cette ville « en jachère », où j’ai pas­sé huit mois entre la dou­leur d’une sépa­ra­tion et la nais­sance d’une voca­tion, « au pied de ces che­mi­nées qui ne fument plus guère ». L’émotion était là, pro­fonde, ryth­mée par le son écor­ché de sa gui­tare élec­trique… À la fin du concert, le public conquis et com­plice réserve au trio une belle ova­tion, et ne les laisse par­tir qu’au terme de trois rap­pels… qui, comme l’hirondelle de Nou­ga­ro, mettent « l’étincelle et le feu au cul d’un immense espoir » !

Article initialement publié sur le site Nos Enchanteurs :
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